Auprès de mon arbre... (photo Nicole Bertin) |
Aux beaux jours, ses feuilles se parent d’un vert tendre, aussi douces que la mousse qui entoure ses flancs. À l’automne, il offre ses fruits. Ses glands sont autant de petites graines qu’il donne à la postérité. Par sa forme et son allure, on le croirait sorti d’une estampe japonaise ! Estropié d’un côté, ses membres desséchés témoignent d’une époque révolue.
Il est moins spectaculaire que sur les cartes postales du XIXe siècle, quand son corps abritait, dit-on, plus de dix personnes. Ses propriétaires actuels, M. et Mme Loiseau, en prennent soin : « nous éprouvons de l’admiration pour lui ». Un arbre d’un tel âge est un ancêtre, c’est pourquoi il ne correspond pas forcément aux canons de la beauté qu’imaginent certains visiteurs. Ils pénètrent dans la propriété (privée), pensant y trouver un phénomène ou pourquoi pas le colosse de Rhodes !
Certes, le chêne est imposant, mais c’est en le regardant de près qu’on partage son histoire. Émouvante est le mot juste. Il faut prendre le temps de l’écouter. Pour les uns, il serait contemporain de l’empereur romain Antonin. Il aurait été un jeunot à l’époque de Mediolanum Santonum !
Pour les autres, il n’aurait que 1 000 ans, période où fleurirent les premières églises romanes. Qui sait s’il n’a pas accueilli, en ses ramées, un druide à la serpe d‘or ? Qu’importe les rides, il conserve une sorte de majesté qui le transforme en compagnon d’éternité.
Le fameux chêne : il a souffert, mais il est toujours là ! (photo N. Bertin) |
Le 25 juillet 1883, Hippolyte de Tilly, maire de Pessines, membre de la Société des Archives Historiques de l’Aunis et de la Saintonge (aujourd’hui présidée par le Jonzacais Marc Seguin) publie un long article sur le chêne de Montravail. Cette description est fort intéressante car elle réunit moult informations. Il avait été question d’abattre l’arbre : « On avait répandu le bruit que cet arbre, aux proportions phénoménales, allait tomber sous le tranchant de la cognée, pour être débité en bois de feu. Nous sommes heureux maintenant de démentir cette nouvelle. Le propriétaire de ce vénérable doyen de nos forêts paraît décidé à respecter son âge qui se compte par près de vingt siècles ». On y apprend que « la partie intérieure du tronc, creuse, a été transformée en salle circulaire de deux mètres de diamètre. Une banquette en pierre établie à l’entour permet à 12 personnes de s’y asseoir commodément. Une ouverture carrée pratiquée dans l’écorce sert de porte à ce cabinet d’un nouveau genre ». Le chêne de Montravail mesure 14,10 mètres de circonférence à ras de terre et 10,85 mètres à un mètre au-dessus du sol. « Dans l’intérieur, on peut remarquer un fragment du tronc de 20 centimètres d’épaisseur, sur lequel il serait facile, à l’aide d’une loupe, de distinguer les couches concentriques que chaque année de croissance a formées et de les compter exactement, après avoir poli la tranche de ce morceau de bois. En établissant une proportion entre l’épaisseur de ce fragment et le rayon de la circonférence de l’arbre, on déterminerait approximativement le nombre de couches concentriques qu’il contient. Ce serait le moyen de connaître à peu près son âge et de contrôler l’exactitude des calculs de M. d’Orbigny qui lui assigne, peut-être avec raison, 2 000 ans d’existence » souligne l’auteur. Effectivement, ce chêne fait impression !
Et de conclure : « Cet arbre est certainement l’un des plus vieux et des plus remarquables qu’il y ait en France. Il n’a guère de rivaux que le chêne d’Allouville en Seine-Inférieure et celui de La Grange, commune de Villedieu dans le Maine-et-Loire, dont le tronc est tellement gros qu’on a pu établir dans sa cavité une chapelle connue sous le nom de sanctuaire de Saint-Joseph-du-Chêne ».
Que souhaiter à notre chêne ? Qu’il demeure encore longtemps en fredonnant cette belle chanson de Brassens : Au pied de mon arbre, je vivais heureux…
Nicole Bertin
Les excès de zèle des anciens propriétaires ont sans aucun doute détérioré le chêne : « On a creusé dans le bois mort de l’intérieur du tronc, un salon de trois à quatre mètres de diamètre, sur trois mètres de hauteur, et on y a aménagé un banc circulaire taillé en plein bois. On place au besoin une table ronde au milieu et douze convives peuvent facilement s’asseoir autour ; enfin une fenêtre et une porte vitrée donnent du jour à cette salle à manger d’un nouveau genre ». Le chêne a longtemps été la propriété de la famille Pitard, dont certains étaient échevins à Saintes, puis des Fonteneau.
• Plusieurs légendes gravitent autour du chêne qui aurait été le lieu de rendez-vous des chats. Les nuits de sabbat, les matous tenaient audience à son pied et faisaient ripaille. Ils allaient jusqu’à se faire les griffes sur son tronc. Le chêne, tel qu'il apparaît sur un croquis au XIXe siècle
• Les noces de chêne se célèbrent après 80 ans de mariage. Les mariés du domaine de Montravail entraient en son tronc creux pour y échanger leurs serments. Le chêne a été très endommagé lors de la tempête de décembre 99, où il a perdu une partie de son tronc. Dans les années 2000, la mairie a planté l’un de ses “enfants“ devant l’église. À Pessines, tous les habitants sont solides comme des chênes !
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