• Jean-Philippe Beaulieu répond à nos questions :
En effet, il se passe des événements extraordinaires. Le satellite européen Rosetta, après 10 ans de voyage, est en orbite autour de la comète 67P/Thourioumov-Guerassimenko. Il est actuellement à 7 km de la surface, donnant des images avec une résolution impressionnante. Quand la comète s’approchera du soleil avec son panache de gaz et de poussière, puis s’éloignera à nouveau, des images spectaculaires sont à attendre ! Le 12 novembre, le robot Philae, de la taille d’une machine à laver, s’est posé sur cette comète. Des reportages, dans le monde entier, l’ont montré. Au quartier général de l’observatoire européen austral à Santiago du Chili, nous avons regardé avec enthousiasme son atterrissage. C’est un moment historique… un petit robot se posant sur ce monde glacé à 500 millions de km de la Terre !
En 2005, les Américains, dans le cadre de la mission Deep Impact, avaient bombardé une comète en envoyant un bloc de 370 kg de cuivre chilien à 20 kilomètres par seconde. J’étais sur la montagne au Chili et nous avions pu observer la couronne de poussière dégagée par l’impact quelques heures après. A leur tour, les Européens ont mis en orbite un satellite Rosetta autour d’une comète et ils viennent de poser le petit robot Philae à la surface. On peut souligner la différence entre l’approche américaine, un peu comme le “vil coyote des dessins animés” et une approche un peu plus civilisée : se poser tranquillement avec un labo, faire des photos et des mesures.
Plus sérieusement, les comètes sont un témoignage du temps passé, d’il y a 5 milliards d’années quand notre système solaire était en formation. En analysant une comète, on peut comprendre la matière primitive qui a formé notre propre planète. Une large quantité des eaux de la Terre trouve son origine dans les comètes. De plus, les acides aminés et molécules complexes, briques élémentaires de la vie, peuvent être présents dans les comètes.
En étudiant la comète sur place, nous allons beaucoup apprendre sur nos origines. De plus, la comète va se rapprocher du soleil, devenir de plus en plus active. Philae et Rosetta seront aux premières loges !
A quoi sert une mission spatiale de ce type ? C’est une contribution très importante au développement des connaissances, apprendre l’origine de la vie et de notre planète. C’est aussi un laboratoire de recherche de nouvelles technologies qui pourront être utiles dans d’autres domaines à l’avenir. Cette opération regroupe des scientifiques et des industries de vingt pays différents. Ils travaillent dans un esprit de coopération sur du long terme, précieux au XXIème siècle. Il ne fait aucun doute que Philae peut stimuler l’intérêt des jeunes générations pour les sciences !
• Au printemps, un télescope basé près du Pôle Sud aurait détecté des ondes gravitationnelles issues du Big Bang. Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ?
Au final, la grande découverte de l’année, BICEP2 et les ondes gravitationnelles, a été un pétard mouillé, malheureusement. Une onde gravitationnelle, qu'est-ce que c’est ? Rendez-vous au petit matin à l’étang d’Allas-Bocage avec une canne à pêche et quelques cailloux. Tendez la ligne, le bouchon flotte tranquillement. Jetez une pierre. Vous verrez alors des petites vagues concentriques se propager. Le bouchon de votre canne à pêche va monter puis descendre au passage de l'onde, mais ne pas partir avec.
Les ondes gravitationnelles y ressemblent un peu. Ce sont des perturbations de l’espace-temps qui se déplacent à la vitesse de la lumière en modifiant sa courbure, un peu comme le caillou lancé dans l’étang entraîne la propagation d’une onde à la surface de l’eau. C’est une déformation de l’espace-temps. Certains modèles du Big Bang envisagent que des ondes gravitationnelles puissent être émises. Si on arrive à les détecter, ce serait le moyen de remonter encore plus loin dans l’histoire de l’univers.
En mars dernier, des Américains ont annoncé qu’ils avaient détecté ces ondes avec le télescope BICEP2 installé au Pôle sud. Ce télescope regarde très loin, à 13.5 milliards d’années de distance. C’est une image de l’univers âgé de 380 000 ans après le Big Bang. La mesure est très difficile car il faut éviter les contributions de la poussière distribuée dans notre galaxie qui perturbent l’image observée. En regardant de manière vraiment très fine, on pourrait peut-être trouver des indices de la présence des ondes gravitationnelles.
Les Américains sont partis du principe que dans la zone choisie, ils n’avaient pas de problème dus à la présence de poussière. Ils ont donc observé et annoncé la découverte des ondes gravitationnelles. Ils ont fait une annonce médiatique avant que les résultats scientifiques n’aient été évalués. Un de leurs objectifs était de publier avant que les résultats du satellite européen Planck ne soient présentés.
Leurs résultats ont déclenché des semaines d’effervescence à l’Institut d’Astrophysique de Paris.
Mes voisins de bureau travaillaient sur Planck. J’étais donc au cœur de l’action ! Après quelques jours, nous nous sommes retrouvés ensemble dans l’amphithéâtre pour faire une analyse à chaud des résultats et de leurs conséquences. Il y avait de l’enthousiasme, mais aussi des dents qui grinçaient car on remarquait la chose suivante : oui, ils avaient fait au mieux des capacités de leur télescope, mais ils avaient émis des hypothèses un peu prématurées. Ils avaient eu accès à des informations préliminaires européennes qu’ils n’avaient pas interprétées correctement et qui, au lieu de les inciter à la prudence, les avaient confortés dans leur analyse. S’ils avaient eu raison, c’était le prix Nobel assuré, donc ils avaient pris le risque.
Au fil des semaines, les discussions continuaient, les travaux avançaient… et les sourires se dessinaient sur les visages. Ils avaient voulu "griller" les Européens sur le poteau, mais malheureusement, ils s'étaient un peu trompés. En effet, ils avaient vu quelque chose, mais il ne s’agissait pas de la signature des ondes gravitationnelles. Juste un rideau de poussière cosmique. Une collaboration commune aurait évité d’avoir un tel battage médiatique. Cet espoir de progression de nos connaissances grâce à une découverte géniale s’est finalement terminé en poussière…
Le télescope Kech (10 mètres) sur le Mauna Kéa à Hawaï aux Etats-Unis |
Le télescope de Canopus à l'université de Tasmanie à Hobart, en Australie |
Je continue toujours à travailler sur la recherche de planètes extrasolaires avec mon équipe.
La dernière découverte marquante est le résultat de deux ans d’études acharnées. Nous pensons avoir trouvé une lune en orbite autour d’une autre planète. Dans notre système solaire, à l’exception de Mercure et Vénus, toutes les planètes ont des lunes pour compagnes. Pour la première fois, nous avons observé quelque chose qui ressemble à une lune de la taille de la Terre, en orbite autour d’un gros Jupiter. Un peu comme Pandora dans le film Avatar, mais un monde froid. J’insiste pour dire “nous pensons” pour souligner que nous sommes dans une situation particulière.
En fait, la conclusion la plus importante de l’étude, c’est qu’il est possible de détecter des lunes s’il y en a beaucoup. Nous sommes prêts. On devrait parvenir à en détecter une autre dans quelques années (et sans ambigüité cette fois).
• Coloniser Mars est dans l'air du temps. A quoi pourrait y ressembler notre vie quand on sait que le simple aller peut durer de six à neuf mois ?
Le premier problème, c’est d’y aller, puis d’y survivre et surtout de pouvoir revenir ensuite à la maison. Une mission durerait typiquement 18 mois et ce n’est plus vraiment dans l’air du temps, sauf pour les utopistes. Le projet Mars One de colonisation martienne a, à mon avis personnel, l’unique fonction de dégager des crédits pour permettre aux organisateurs du projet de vivre confortablement… sur Terre. Nous ne sommes pas prêts de mettre le pied sur Mars, même si mon premier livre d’astronomie, offert par mon grand-père, soulignait que l’homme marcherait sur Mars certainement d’ici 1985-1990 ! Pourquoi aller s’y installer ? Quelle serait la raison pour avoir une base martienne ? Elles ne permettront jamais de sauver l’humanité de sa folie. Nous n’avons pas de planète de rechange : nous n’en avons qu’une. Scientifiquement, je ne vois pas de raisons particulières de s’y installer. C’est tellement difficile, compliqué. Comme pour la Lune, l’homme ira un jour, sans doute la Chine avant les Etats-Unis. De toutes les façons, vivre sur Mars ne serait pas agréable. Pour ne pas mourir d’un cancer rapidement, il faudrait s’isoler dans des bases souterraines, sans fenêtres. L’atmosphère très ténue ne protège pas bien l’habitant de Mars des radiations…
• Pensez-vous que des bases habitables pourraient y voir le jour d'ici un siècle ?
Actuellement, je supervise un projet de fin d’études d’école d’architecture. L’étudiante étudie la question de l’habitat lunaire. Là aussi, un projet utopique, mais nous verrons ce que l’exercice de style va donner. Dans quelques mois, j’aurai sans doute quelques idées supplémentaires sur le sujet.
• Dernière question plus terrienne. Les crédits alloués à la recherche se sont-ils améliorés ?
La situation est plus catastrophique que jamais. Je l’avais déjà dit il y a deux ou trois ans, mais c’est encore plus grave. Nous devons faire face à une bureaucratie que même Kafka, dans ses cauchemars les plus sombres, n’avait pas envisagée…
Propos recueillis par Nicole Bertin
• Jean-Philippe Beaulieu, astrophysicien, est originaire de Jonzac en Charente-Maritime. Il est le fils de Françoise et Jean-Claude Beaulieu, ancien chirurgien et conseiller général.
À moins de 8 km de la surface du noyau de la comète Tchouri
• 24 octobre 2014 : Toujours installée sur son orbite circulaire à moins de 10 km du centre du noyau, Rosetta nous permet de découvrir la surface qui défile à moins de 8 km sous ses panneaux solaires. Encore inexpliquées pour la plupart, les formations visibles sont intrigantes et spectaculaires.
• Survol cométaire
Le 18 octobre, alors qu’elle circulait à près de 9,8 km du centre du noyau de la comète 67P, Rosetta a utilisé sa caméra de navigation pour obtenir les, désormais habituelles, séquences d’images qui permettent aux responsables de la navigation de repérer des structures caractéristiques de la surface et de vérifier que la sonde ne dévie pas de son orbite. Même avec la résolution de la caméra de navigation, pourtant bien inférieure à celle de la caméra OSIRIS-NAC, des détails de moins de 70 cm sont visibles (66,5 cm/pixel environ). Le champ couvert par chacune des images individuelles est d’environ 680 m de côté.
Cette première séquence révèle la région du cou avec les contreforts du gros lobe sur la gauche et ceux du petit sur la droite. Chaque image a été posée 6 s et, dans le ciel de la comète, on distingue, d’une part, les jets poussiéreux qui fusent de la zone et, d’autre part, quelques petites traces dont certaines ont vraisemblablement été laissées par des agrégats poussiéreux.
• Les abords de Cheops
La seconde séquence a été obtenue peu après par la caméra de navigation. Elle montre la portion du grand lobe où se situe la « plaine » au sein de laquelle trône le gros bloc baptisé Cheops par les responsables de la caméra OSIRIS. Sous l’éclairage rasant du Soleil, les zones environnantes affichent un relief tumultueux et les ombres portées par certains blocs s’étirent sur des dizaines de mètres. De nombreuses formations circulaires de moins de 100 m de diamètre apparaissent, mais leur origine n’est pas encore expliquée : restes de cratères météoritiques ou traces laissées par l’érosion provoquée par le dégazage du noyau ou ? On n’explique pas plus les sortes d’empilements plus ou moins érodés ou les affaissements des zones d’apparence très lisses qui parsèment ces images.
Liens :
(comète : http://www.iap.fr/useriap/beaulieu/Pages/deep2.htm et http://www.iap.fr/useriap/beaulieu/Pages/deepimpact.htm)
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