Francis Huster (photo Nicole Bertin) |
Dimanche après-midi au théâtre du château. On se presse. Les fauteuils se remplissent, salle, étage et perchoir ouvert devant l’affluence. Francis Huster apparaît, libre et heureux de fouler ces planches qui sont pour lui un lieu ordinaire - et adoré - de la mise en scène. Il est venu parler d’Albert Camus, mais comment le présenter sans le replacer dans son temps ? « Les lycéens connaissent les œuvres qu’ils étudient avec leurs professeurs, mais que savent-ils des auteurs ? ». Que veulent dire leurs écrits et comment les comprendre sans les circonstances qui les ont conduits à s’exprimer, à se révolter souvent ? Certains, d’ailleurs, ne connaissent la célébrité qu’une fois disparus…
Francis Huster est en forme. L’air de Jonzac lui réussit. En ce 2 novembre, saisi d’une belle audace, le comédien magicien révèle ses différents visages. En rendant la conversation intime comme s’il s’adressait à chaque spectateur, il tisse un lien privilégié. Des anecdotes, il en raconte sans perdre de vue sa ligne directrice, l’Homme. Il cible, il s’incarne, il rend hommage à tous ceux qu’il a admirés. Il les fait revivre en soulignant que leurs existences, sans une divine providence, auraient été banales. Les présences invisibles s’animent. Elles dansent autour de lui comme un ballet fait des étoiles qui ont peuplé l’écran noir de ses nuits blanches. Comédiens et écrivains « beaux comme des dieux », tirés au sort par le destin, infiniment célèbres et parfois malheureux. Il les réunit sur les tréteaux du théâtre en un bouquet savamment composé, illuminé des flammes de l’éternité.
Et Camus dans tout ça ? Rassurez-vous, il n’est jamais bien loin ! Francis Huster a joué « la Peste » 963 fois dans le monde entier : il ne risque pas de l’oublier !
Avant d’aborder son œuvre, il décrit le long chemin accompli par le théâtre. Il fut une époque où le comédien ne tournait jamais le dos au public et déclamait. Et il devait aller vite car les bougies se consumant en vingt minutes, l’acte devait correspondre à ce court temps ! Le mouvement est apparu sur scène avec des personnages qui ont osé tels que Molière. Son parcours n’est pas banal. Il a bien eu un enterrement à la nuit tombée dans la paroisse de Saint-Eustache, mais son corps fut déterré, jeté à la fosse commune et mangé par les chiens, dit-on. Le père du Misanthrope et d’Harpagon, célébré par la France entière, a connu une bien triste fin. Rien d’étonnant puisque les saltimbanques (activité suspecte aux yeux de l’Eglise) étaient inhumés « dans un lieu non consacré réservé généralement aux suicidés et aux enfants morts-nés ». Après la Révolution, la nouvelle génération, estimant que Molière avait été victime d’une injustice, lui fit édifier un tombeau « convenable » au Père Lachaise. « Que reste-t-il des documents privés de Molière ? » s’interroge Francis Huster, « une signature recueillie par un notaire dans une déclaration de l’Illustre Théâtre. Sinon, tout a été brûlé ». Bien sûr, il y a ses pièces qui en disent long sur sa façon de juger ses contemporains et d’en extraire les substantifiques défauts !
« Empêcher que le monde ne se défasse »
En France, Louis Jouvet, Gaston Baty, Charles Dullin et Jacques Copeau ont révolutionné le monde du théâtre tandis qu’en Angleterre, quelques siècles auparavant, Shakespeare a renouvelé cet art. Albert Camus s’inscrit dans la grande famille des écrivains, mais cet ancien journaliste, éditorialiste à Combat, n’a jamais oublié de relater les faits. C’est précisément le souci de la vérité et le témoignage qui l’ont rendu célèbre.
Camus est né en Algérie en 1914 dans un département alors français. Son père est mort à la bataille de la Marne et sa mère ne sait ni lire, ni écrire. En vieillissant, il devient le père de sa mère en quelque sorte.
Il est brillant, intelligent. « Le destin va le décaler par rapport à la vie » estime Francis Huster. En Algérie, il marche sur une poudrière, terre colonisée par les Français face aux habitants de souche. Il pressent un avenir sombre. Dans la Peste, il condamne la dictature allemande de la Seconde Guerre mondiale et les rats qui apportent cette maladie qu’est le nazisme. Il y exprime ses craintes en gardant la foi qu’il a en l’humanité. La Peste est une œuvre universelle, traduite en de nombreuses langues.
Il obtient le prix Nobel en octobre 1957 pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent à la conscience des hommes. Il a alors 44 ans : « Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression. Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui nous détruire mais ne savent plus convaincre » déclare-t-il. Toute ressemblance avec des faits existants est purement fortuite…
Francis Huster : une intimité avec le public |
Il trouve la mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960. Alors qu'il avait prévu de se rendre à Paris par le train, Michel Gallimard lui avait proposé de profiter de sa voiture. Il avait sur lui le manuscrit inachevé du Premier Homme…
Aujourd’hui, Camus est l’un des écrivains les plus connus au monde avec Victor Hugo et Molière. Jean-Paul Sartre, son éternel ennemi, lui rendit malgré tout un hommage posthume : « Il représentait en ce siècle, et contre l’histoire, l’héritier actuel de cette longue lignée de moralistes dont les œuvres constituent peut-être ce qu’il y a de plus original dans les lettres françaises. Son humanisme têtu, étroit et pur, austère et sensuel, livrait un combat douteux contre les événements massifs et difformes de ce temps. Mais, inversement, par l’opiniâtreté de ses refus, il réaffirmait, au cœur de notre époque, contre les machiavéliens, contre le veau d’or du réalisme, l’existence du fait moral ». Certes, Sartre n’est pas juge, mais qu’ajouter de plus ?
« Avant d’entrer en scène, je me sens au-dessus d’un précipice avec rien pour m’accrocher, ni partenaires, ni décors, ni costumes. Physiquement, ça s’approche du full combat » avoue Francis Huster. En se laissant tomber dans le vide, sans filet pour le retenir, cet acrobate des mots partage avec le public un plaisir véritable.
Nicole Bertin
C'est la seconde fois que Francis Huster est l'invité des Feuillets d'automne |
La réprésentation du dimanche. Une seconde avait lieu le lendemain |
Plus amusante est l’histoire de l’anglais David Niven. Après de multiples péripéties (dont insubordination à l’Armée), il s’enfuit en Amérique où il fit son entrée au cinéma. En 1967, il fut James Bond dans Casino Royale. Il avait reçu la Légion du Mérite pour ses actes héroïques durant la Seconde Guerre mondiale ; Ian Fleming, l’auteur de James Bond, quant à lui, était un ancien espion britannique !
• Molière avait hérité de son père la charge de tapissier du Roi qui consistait à faire le lit du monarque, à veiller sur le mobilier et surtout à disposer les tapisseries dans les appartements royaux lors des déplacements de la Cour. Peu convaincu par cette mission, Jean Baptiste Poquelin confia cette tâche à son frère et devint comédien. C’était plus « fun » que de dresser des tentures ! « On connait l’œuvre de Molière mais qui était-il ? » souligne Francis Huster.
Si vous allez voir sa tombe au cimetière du père Lachaise à Paris, proche de celle de La Fontaine, sachez que son corps n’y repose pas.
• En novembre 2010, Francis Huster avait rendu hommage à Marcel Aymé. C’était la première fois qu’il venait à Jonzac et à l’époque, on pensait qu’il reprendrait le flambeau des Tréteaux de France laissé par Marcel Maréchal (proposition qu’il déclina par la suite).
En incarnant pas moins de treize personnages dans une “traversée de Paris“ rendue célèbre par le cinéma, il avait montré que la scène, comme la piste pour un coureur de fond, pouvait être le témoin d‘une performance physique et intellectuelle exceptionnelle.
Séance de dédicaces en 2010 (archives photos Nicole Bertin) |
De nombreuses admiratrices dont Mona Raton et Bernadette Schmitt ! |
Francis Huster aux côtés de M. et Mme Belot |
• Francis Huster tiendrait de sa grand-mère l’amour du spectacle. Le jeudi, elle emmenait ses petits-enfants au cinéma.
• Élève au lycée Carnot de Paris, Francis Huster s'inscrit à l’âge de quinze ans au Conservatoire municipal du 18e arrondissement de Paris, puis au cours Florent et au Conservatoire national supérieur d'art dramatique, dont il obtient trois premiers prix. En 1971, il devient sociétaire à la Comédie Française qu'il quitte en 1981. Parallèlement à ses rôles classiques, il tourne dans de nombreux films et crée la « Compagnie Francis Huster » avec laquelle il monte plusieurs spectacles.
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