Pourquoi aller décrocher la Lune quand le soleil Higelin brille au firmament ? Dimanche soir à Jonzac, il a donné un bel aperçu des nombreuses cordes de son arc. La générosité en plus !

Pour faire le portrait de Jacques Higelin, choisir un bon emplacement, la terrasse du
Coq d’or par exemple, qui dresse sa façade - l’une des plus belles de la ville - avec une apparente sérénité. À l’intérieur du restaurant, l’équipe d’
Alexis Medvedeff s’affaire. Et pour cause, l’affluence est au rendez-vous avec Drôles de Rues, le rendez-vous de l’été que propose la municipalité.
Samedi soir,
Thomas Fersen a décoiffé les vacanciers brunis par un soleil qu’ils savourent à pleine goulée ! Le rituel est ancré : en juillet, Jonzac s’éveille et prend une grande respiration. La capitale de la Haute Saintonge fait la fête et dans l’air, flotte alors une odeur de feria. Ici, en plein terroir viticole, on ne lâche pas les taureaux, mais des décibels qui vous envahissent l’oreille avec la ferme volonté de ne pas se faire oublier.

La star de la cuvée 2010 est Jacques Higelin, un physique ténébreux qu’auréole une crinière d’argent. Sur le podium dressé devant le château (sous les fenêtres du sous-préfet), elle se détache dans la nuit, métamorphosée par les lumières qui la sculptent. Par-delà l’apparence, Higelin, c’est d’abord la voix et la ferme conviction de rester vivant, de ne pas quitter la scène et de peupler le
“désert“. À quoi servirait toute cette agitation sans messages de fraternité ? Cet artiste a une manière personnelle et touchante de communiquer avec le public. Il est chanteur au milieu de la foule qu’il séduit. Elle le lui rend bien et l’écoute avec bonheur.

Claude Belot, sénateur maire de Jonzac, à l'origine de Site en Scène


Un château rose, comme dans les contes ! Pamela et Coluche for everAprès avoir vécu la formidable aventure des
Francofolies (il fréquente La Rochelle depuis des lustres), que pense Jacques Higelin en arrivant à Jonzac ? Inutile de lui poser la question. Il y répond à la façon d’un poète, s’attachant à l’astre de la nuit qui fait bientôt son arrivée dans la voûte étoilée.
Il a choisi un répertoire varié, des airs qui restent dans la tête et qu’on fredonne instinctivement.
« Viens, et surtout ne te retourne pas » est inscrit dans les astres. Avant chaque morceau, il fait part de ses émotions et de ses intimes convictions, n’étant jamais sûr du pied sur lequel il va danser ! Il célèbre le jazz, cette musique venue d’Afrique aux États-Unis :
« elle touche le petit Occidental que je suis ». Un clin d’œil à Duke Ellington, Fats Waller, l’atmosphère de la New Orléans, au formidable héritage. Ça swingue devant les pierres séculaires…
Les terrasses sont pleines à craquer
La joie, un café, la paix !
Higelin pratique aussi bien le piano que l’accordéon ou la guitare. Sa venue a attiré un public énorme sur la Place du Château. Un lieu emblématique de Jonzac, illuminé par un magnifique feu d’artifice.
L’un des moments les plus cocasses concerne Pamela Norton, chercheur en biologie, dont le nom l’attire comme un abricot au sirop :
« je voulais savoir qui elle était. J’ai fait une recherche sur mon ordi ». La dame, qui vit dans le Massachusetts, lui est apparue en blouse blanche, yeux bleus et cheveux blonds.
« Je me vois sonner à sa porte. Elle ouvre. Je suis un cas spécifique. I want you soign me ! » raconte Higelin. Les bifurcations de cette histoire freudienne se finissent dans les bras de Mona Lisa klaxon.
Veni, Vidi, Vinci ! Ils en ont tous rêvé, Higelin l’a fait ! Et c’est parti pour un morceau rock and roll qui reçoit les applaudissements fournis des
“militants“. Un mouvement prolifique, sans carte, ni perdition.
Higelin en profite pour faire un clin d’œil à Coluche qui le regarde de la tour, où l’horloge en panne depuis trois siècles persiste à donner l’heure : 5 h 35.
Higelin revoit le vieux pote, candidat à la Présidence de la République, se parer de plumes tricolores aux fins fonds du croupion. Les mauvais esprits pourraient imaginer nos présidents successifs avec le même attribut. Mitterrand se demandant s’il l’a bien planté, Chirac s’il l’a suffisamment arboré et Sarkozy s’il ne va pas s’envoler…
Et l’amour toujours !


À cet aparté politiquement choc, succèdent des notes d’amour qu’Higelin aime à semer. Un sentiment qu’il sublime, histoire de continuer à naviguer sur le grand fleuve de l’existence. Parce qu’aimer, c’est être en scène.
« Je chante la vie, la mort. Kyrie Eleison » avoue-t-il, tout en rappelant son goût pour l’espace :
« j’aime circuler dans les grandes villes ». Et il s’envole sur les ailes de Gainsbourg, dans les volutes d’une fumée
« amoureuse d’une cigarette ».En alternant morceaux qui cartonnent et passages romantiques, Higelin révèle son jardin secret. Cultivant la complicité, il se souvient d’une directrice d’école qui l’avait présenté à ses élèves en ces termes :
« ce monsieur est un très grand chanteur ». Fuyant la vanité, il estime qu’avoir l’impression d’avoir raté sa carrière est une piste à explorer. Pourquoi ?
« parce qu’alors, on peut redémarrer » souligne-t-il. Quel que soit l’âge.
Il le montre, fidèle, le cœur battant dans la multitude. Prêt à fouler cette planète pour mieux lui résister, la voix émouvante et déchirée. Comme si elle était tombée du ciel !
La soirée s’achève par un magnifique feu d’artifice, qui embrase le château, assorti de spectacles de rues. La lumière flirte avec l’obscurité ; les ruelles anciennes s’animent ; les galeries noires s’ouvrent tandis que d’étranges géants envahissent la place de la République.
Le rêve est-il une invention de l’esprit ?
Reportage/photos : Nicole Bertin

C’est la première fois qu’on tire un feu d’artifice près du château. Les consignes étaient grandes, au point qu’une vingtaine de pompiers ont été mobilisés. En effet, un incendie est toujours à craindre en ville.



Magie de la nuit, quand les ombres s’animent...
L’info en plus• Jacques Higelin est né en 1940 d’un père alsacien et d’une mère belge. N’en faites pas une histoire ! Il est le père de Clémence Lhomme, du chanteur Arthur H, du comédien Kên Higelin et de la chanteuse Izïa Higelin. Jacques Higelin est un touche à tout : il a tourné dans plusieurs films, séries télévisées et expérimenté les spectacles de rues dans les années 70. Avec l’album BBH 75, il se tourne vers le rock. Le succès vient avec les albums Champagne pour tout le monde, Caviar pour les autres, Higelin à Mogador. Particularité, il a publié “Lettres d’amour d’un soldat de vingt ans“.
• Fidèle, fidèle, je suis resté fidèle : Musicien blues et rock, Higelin a participé au premier Printemps de Bourges en 1977 avec Charles Trenet. En 2005, il lui a consacré un spectacle “Higelin enchante Trenet“. Ami de Jean-Louis Foulquier, il est présent aux Francofolies de La Rochelle depuis 1984. Il n’a pas manqué l’édition 2010 !


• Après une période assez discrète (dans les années 90), la sortie de son nouvel album (Coup de foudre, en février dernier), a donné un coup de fouet à la carrière de Jacques Higelin.
• Crabouif, qui est le surnom de Jacques Higelin, correspond au titre d‘un album sorti en 1971. Cet album incarne la période appelée “Saravah“. Il mêle des chansons classiques, à l’instrumentation minimale, à des morceaux expérimentaux dont la Musique rituelle du Mont des Abbesses (nom du studio d’enregistrement à Montmartre).
• En décembre 1994, Higelin a été l’un des fondateurs de l’association
Droits devant avec Albert Jacquard, Jacques Gaillot et Léon Schwartzenberg. Elle œuvre pour la défense de l’égalité des droits, contre la précarité et les exclusions.
Au Coq d'or, on joint l'utile à l'agréable !
Bel été 2010 !