Sur la terrasse, les tables du café attendent des visiteurs. Cet endroit intime, avec vue imprenable sur le château, donne envie de s’arrêter. Le regard s’attarde sur les tours, les pierres séculaires et l’horloge qui refuse de donner l’heure. Comme si son mécanisme avait décidé de figer le temps. Restez, vous ne vieillirez pas ! Le va et vient des voitures rappelle que la zone n’est pas encore piétonnière. Au siècle dernier, le passant aurait vu défiler des attelages et des cavaliers qui souffraient dans la côte de la Porte de Ville, rudement escarpée. Un maire la fit combler afin de la rendre praticable.
Ce jour, Pascal Sabourin a rendez-vous avec Bernard Lévêque qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Est-il arrivé par la route du haut ou par la voie du bas ? Qu’importe. Les deux hommes se retrouvent avec plaisir.
Pascal Sabourin et Bernard Lévêque (photo N. Bertin) |
En ce temps-là, c’est-à-dire en 1986, le journal Haute-Saintonge, héritière de la Voix Jonzacaise, paraissait en petit format. L’hebdomadaire étant en pleine évolution, Bernard Lévêque, qui en assurait le tirage offset dans l’imprimerie fondée par son aïeul Gaston, ne disposait pas d'un matériel plus important. Il fallait donc trouver un imprimeur disposant d’une rotative et proposant un bon rapport qualité/prix selon la formule consacrée.
Le choix se porta sur l’Imprimerie rochelaise dirigée par Pascal Sabourin : « En 1984, j’avais repris l’entreprise de mon grand-père. Nous étions bien équipés et devions trouver de nouveaux marchés », explique-t-il.
Bernard avait entendu parler de cette société par un représentant en papier : « A cette époque, la Haute Saintonge était déjà à 6500 exemplaires et Nord Gironde, que je venais de lancer à Blaye, à 4000. Je n’ai pas hésité à faire appel à Pascal ».
Le marché est conclu. Dès lors, chaque jeudi, les maquettes du journal partent à La Rochelle. La transmission numérique n’existait pas encore. La conception du journal était artisanale et c’est là que résidait le charme de l’aventure !
Aujourd’hui, le journaliste tape son article, scanne les photos et fait la mise en page sur écran. Ensuite, l’ensemble est transféré via internet chez l’imprimeur. A cette époque, ces technologies en étaient à leurs balbutiements. Bernard Lévêque avait senti l’air du temps en investissant dans les premiers Macintosh. Vous savez, la petite pomme chère à Steve Jobs. « Des modèles pionniers » dirons-nous ! Sortes de boites grises dotées d’un petit écran, elles avaient le sérieux avantage de sauvegarder les documents. Fini l’extraordinaire épopée du plomb et du marbre, des textes composés de centaines de lettres assemblées par les typographes, des linotypes et des photocomposeuses ! L’imprimerie tournait une page, mais elle avait du chemin à accomplir.
Dans les années 80, les textes définitifs étaient sortis sur papier et filmés en laboratoire. Ensuite, le contenu du journal était assemblé à la main - articles et publicités - sur de grands supports transparents. Ciseaux, scotch, lettraset. Un sacré découpage !
Dans les locaux de la Haute Saintonge situés au 28 du boulevard Denfert Rochereau, une joyeuse équipe se réunissait chaque mercredi pour effectuer cette ardente besogne. Malgré les contraintes (on se couchait souvent à 2 heures du matin !), l’ambiance qui régnait était celle d’une bande de copains, un endroit privilégié qui attirait des éléments extérieurs venus se dégourdir les méninges hors de tout conformisme. Maryline, Marie-Jo, Agnès, Jean-Lou, Sandrine, Sophie, Marie-No, Sylvie, Valérie, etc. Tout le monde s’activait et papotait en travaillant ! Ce qui n’empêchait pas d’être sérieux puisque nous avions entre nos mains le destin du journal de la semaine !
« Je revois Bernard Lévêque arriver avec sa boites de films. Il était toujours crevé en sortant de sa camionnette. En général, il me remettait la boîte et allait se reposer en attendant que le tirage soit fait. Nous commencions par l’Agriculteur Charentais. Nous nous voyions toutes les semaines, ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui avec le roulement des équipes. Nous étions tous des artisans en ce sens où nous savions d’où nous venions. La société comptait une cinquantaine de salariés » se souvient Pascal Sabourin.
Pascal Sabourin est rochelais et fier de l’être. « Le monde de la presse a beaucoup changé. Les tirages des journaux gratuits étaient énormes. L’un faisait 100.000 exemplaires tous les lundis. Aujourd’hui, ils sont morts. J’ai beaucoup de respect pour le travail de Bernard. Nous avions un autre rythme de vie. Par exemple, quand il était en retard, nous l’attendions malgré le planning. C’était parfois folklorique, mais ça marchait. Je crois que nous étions moins exigeants qu’aujourd’hui. Quelquefois, Bernard nous donnait la main pour aller plus vite. Il coupait les journaux au massicot et je me disais : l’un de ces jours, il finira par avoir un accident. Dans les titres indépendants comme le sien, l’état d‘esprit était sympa. Je n’en dirai autant de certains grands groupes ».
Pascal Sabourin (photo N. Bertin) |
Les réunions de ces éminents Radicaux se tenaient à l’imprimerie rochelaise. Par la suite, Michel Crépeau devint maire de La Rochelle, député et ministre. Cet homme avait quelque chose en plus : un ton, une allure et peut-être une dérision !
Au Coq d'or, haut lieu de rassemblement jonzacais, Bernard Lévêque (aujourd'hui retraité) avec Pierre Jean Ravet, maire adjoint de Jonzac chargé de l'environnement |
Nicole Bertin
• En 1990, l’imprimerie rochelaise a intégré un nouveau bâtiment. A la suite d’une restructuration qui a entrainé l’arrêt de l’activité rotative, trois structures ont vu le jour : Ambiance graphique en association avec l’Imprimerie rochelaise » et la société 1, 2 ,3 Simone.
• Pascal Sabourin a repris les activités de son grand-père en 1984. Il voulait être journaliste sportif. Il est aujourd’hui responsable commercial à l’imprimerie rochelaise.
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