Je me rappelle…
C’était y il a peu.
Je me promenais au gré du petit chemin boueux, le long de la rivière.
Elle avait pris un cours impétueux, se nourrissant des continuelles pluies qui, de l’automne à ce curieux hiver, avaient abondamment engorgées les sols.
La rivière avait ainsi colonisé la prairie qui la bordait.
Elle l’avait progressivement enlacée et, armée de vastes flaques d’eau, l’avait littéralement soumise à ces exigences.
Je ne croisais jamais personne lors de ces promenades champêtres.
Pourtant, le ciel était souvent rayonnant et le vent bien discret.
Je revenais de ces expéditions le bas du pantalon ravagé par la boue et mes chaussures martyrisées par la lie du sol.
Je me rappelle, c’était il y a peu…
Je sortais visiter le centre du village. Le parvis de l’église était toujours désert. C’était un grand espace où se dressaient, à plusieurs endroits, de solides rocs de pierre en guise de bancs rustiques.
A proximité de là, les halles en acier du marché municipal se tenaient à l’affût.
Les agriculteurs du coin et quelques commerçants venaient y vendre, deux fois pas semaine, le mardi et le vendredi, leurs productions : légumes frais, délicieux poulets rôtis et charentaises...
C’était avant, il y a peu…
Je prenais quotidiennement un café au bistrot du coin. J’y lisais la presse locale. Le patron, un type sympa, la cinquantaine joyeuse, entretenait parfois avec moi, une conversation bienveillante.
A quelques pas de là, il y avait le cinéma du bled. Deux belles salles modernes à la programmation modeste mais éclectique. Du film grand public à celui d’art et essai, en passant par les films pour les mômes, des projections-débats et même, des opéras qui permettaient aux lointains provinciaux de suivre ce qui se passait à l’opéra Garnier. C’était un endroit agréable.
C’était il y a peu, aux temps d’avant.
Les primevères avaient envahi le jardin. Les tulipes, les unes après les autres, avaient dévoilé leurs atours, jaunes, rouges, oranges. Quelques jonquilles aussi. Et des jacinthes, et des arums. Elles jouaient, bravaches, la symphonie du printemps, rigolaient de la maladie, redonnaient de la vie et de la joie, malgré tout…
Quand ce brouillard sera levé, j’enfilerai ma plus belle chemise. Un beau pantalon aussi et je mettrai mon plus saillant costume. J’irai déambuler librement dans la ville, au gré des ruelles, à l’orée des éclairages taquins du soleil, à la recherche des sons, des odeurs et des bruits du quotidien qui perceront enfin ce singulier silence.
Je me poserai sur un banc, profitant du soleil, regardant les gens passer, s’affairer de nouveau, se balader, se fuir ou bien se haïr peut-être… la comédie humaine.
Je humerai la vie, j’entendrai passer, au loin, une voiture de police et sa sirène stridente. Je respirerai à plein poumons, d’insouciance et de désir, de vie…
A chercher toujours, avec opiniâtreté, cette foutue fraternité, tant voulue dans nos rêves, et qui passe son temps à nous filer entre les doigts.
Eric Sionneau
Jonzac, le 2 avril 2020
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