« La guerre m'a volé ma jeunesse, le coronavirus me vole ma vieillesse ». Elle a 89 ans, plus grand chose à attendre de la vie si ce n'est un quotidien apaisé, des soins qui lui assurent un bien-être, la tranquillité, une présence humaine et de l'amour jusqu’à ce que la mort la prenne. Mais elle n'est pas pressée. Comme beaucoup de personnes âgées, elle n'est pas pressée, alors que tant de jeunes trouvent « que c'est normal à cet âge ».
Et je viens lui annoncer que, si elle veut concrétiser son espoir de vivre encore un peu, nous allons la confiner en chambre, comme les 86 autres résidents de l'ehpad où j'exerce.
Depuis le 3 mars déjà, nous avions anticipé, interdisant les visites de leurs petits-enfants, et des gens malades, limitant celles de leurs enfants car l’épidémie s'annonçait.
Puis le 14 mars, confinement de l’établissement : plus aucune visite, les familles à la porte, dehors. Aucun contact avec l’extérieur, le téléphone pour ceux qui savent l'utiliser ou qui entendent suffisamment.
Et maintenant, la résidence forcée en chambre de 12-13 m2, y compris les repas. Pas de sortie dans les couloirs sans autorisation, des promenades dans le grand parc pour les valides, par petits groupes en respectant les distances-barrières, forcement limitées dans le temps, encadrées dans l'espace, en veillant à ne pas se croiser. Et je ne vous parle pas des déments déambulants.
Voilà ce que nous offrons à nos anciens, ceux à qui nous devons tout et à qui on fait comprendre qu'ils sont de trop !
Comme le décrit Forence Aubenas dans son article du Monde : « on demandait des masques, on nous offre des housses mortuaires ».
Voilà où en est la France, cinquième puissance mondiale, voilà où conduit l'impréparation, l'incurie, la volonté, depuis des années, de faire de la santé un élément du consumérisme, des hôpitaux une entreprise, des anciens une source de revenus dans des ehpad à 3000 euros par mois, à condition qu'ils soient en bonne santé. Car déjà depuis un certain temps, en cas de nécessité d'hospitalisation, la question était « quel âge, quel degré de dépendance, dément ou pas ? »...
Voilà la réalité de la France en 2020, cette épidémie ne faisant que révéler ce que le personnel hospitalier ne cessait de crier depuis plus d'un an en vain.
Je suis en colère et triste. Mon père est mort il y a deux mois.
Cette souffrance lui aura été épargnée.
Allez, portez vous bien tout de même ».
François Ehlinger
1 commentaire:
Bonjour, oui cette épidémie et le confinement qui en résulte sont déjà durs à vivre pour chacun; Je crois savoir que nos anciens étaient déjà isolés en temps normal, et je suis vraiment triste de lire cet article; Triste du peu de moyens matériel voire humain que vous avez (hepad, centres hospitaliers, auxiliaires de vie,...), et que nos anciens vivent cette période déjà difficile dans ces conditions, ainsi que vos conditions de travail, qui je devine doivent être d'autant plus pesantes. Je ne sais pas si on peut faire quelque chose pour aider (si, rester chez nous, ça, on le sait), mais en tous cas, je vous souhaite à tous bon courage
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