Le pape François a envoyé un message à la Conférence des Nations Unies chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant d’interdiction des armes nucléaires, conduisant à leur complète élimination, à l’occasion de sa première session tenue à New York, Etats-Unis d’Amérique, du 27 au 31 mars 2017.
Ce message a été lu le 27 mars par Mgr Antoine Camilleri, sous-secrétaire aux relations avec les Etats, chef de la délégation du Saint Siège à la Conférence. La Conférence était présidée par S.E. Elayne White-Gomez, ambassadeur du Costa-Rica.
• Message du Saint-Père à la Conférence des Nations Unies chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant d’interdiction des armes nucléaires, conduisant à leur complète élimination
A S.E. Elayne White-Gomez
Présidente de la Conférence des Nations Unies
chargée de négocier un instrument juridiquement contraignant
pour interdire les armes nucléaires
conduisant à leur totale élimination
Madame la Présidente,
Je vous adresse mes cordiales salutations, ainsi qu’à tous les représentants des diverses nations et organisations internationales et aux membres de la société civile qui participent à cette Conférence. Je souhaite vous encourager à travailler avec détermination pour promouvoir les conditions nécessaires à un monde sans armes nucléaires.
Le 25 septembre 2015, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, j’ai souligné le fait que le Préambule et l’Article Premier de la Charte des Nations Unies établissaient comme fondements du cadre juridique international : la paix, la solution pacifique des désaccords et le développement de relations amicales entre les nations. Une éthique et une loi fondées sur la peur d’une destruction mutuelle –et éventuellement de la destruction de toute l’humanité- sont en contradiction avec l’esprit même des Nations Unies. C’est pourquoi nous devons nous consacrer à un monde sans armes nucléaires, en exécutant pleinement le Traité de Non-Prolifération, dans la lettre et l’esprit (Cf. Adresse à l’Assemblée Générale des Nations Unies, 25 septembre 2025).
Mais pourquoi nous donner un objectif aussi ardu dans un contexte international caractérisé par un climat d’instabilité conflictuelle, qui est à la fois la cause et l’indice des difficultés que rencontrent le progrès et le renforcement du processus de désarmement nucléaire et de non-prolifération ?
Si, en ce monde multipolaire du 21e siècle, nous prenons en considération les principales menaces pesant sur la paix et la sécurité dans leurs multiples dimensions, comme, par exemple, le terrorisme, les conflits asymétriques, la cybersécurité, les problèmes environnementaux ou la pauvreté, il est fort douteux que la dissuasion nucléaire soit une réponse adéquate et efficace à de pareils défis. L’inquiétude est encore plus grande si l’on regarde les conséquences humaines et environnementales catastrophiques qui résulteraient de n’importe quel emploi d’armes nucléaires, avec leur effets dévastateurs, indiscriminés et incontrôlables dans l’espace comme dans le temps. Un même motif d’inquiétude surgit quand on examine le gaspillage des ressources consacrées aux questions nucléaires à finalité militaire, alors qu’elles pourraient servir à d’autres valeurs prioritaires, comme la promotion de la paix et du développement humain intégral, ou encore la lutte contre la pauvreté et la réalisation des objectifs de l’agenda 2030 pour un Développement Durable.
Nous devons également nous demander dans quelle mesure une stabilité fondée sur la peur est durable, alors qu’elle ne fait qu’augmenter la peur et miner les relations de confiance entre les peuples.
La paix internationale et la stabilité ne peuvent se fonder sur un faux sentiment de sécurité, sur la peur d’une destruction mutuelle ou d’un anéantissement total, ou encore sur le seul maintien d’un équilibre des forces. La paix doit se construire sur la justice, le développement humain intégral, le respect des droits humains fondamentaux, la protection de la création, la participation de tous à la vie publique, la confiance entre les peuples, le soutien des institutions pacifiques, l’accès à l’éducation et la santé, le dialogue et la solidarité. Dans cette perspective, nous devons dépasser la dissuasion nucléaire : la communauté internationale est appelée à adopter des stratégies prospectives pour promouvoir le but de la paix et de la stabilité et pour éviter les approches à courte-vue des problèmes relatifs à la sécurité nationale et internationale.
Dans ce contexte, le but ultime, l’élimination totale des armes nucléaires, devient à la fois un défi et d impératif moral et humanitaire. Une approche concrète devrait favoriser la réflexion sur une éthique de paix et de coopération multilatérale en faveur de la sécurité, qui laisserait derrière elle la peur et l’isolationnisme prévalant aujourd’hui dans bien des débats. Construire un monde sans armes nucléaires implique un processus à long terme, reposant sur la conscience que « tout est lié » dans la perspective d’une écologie intégrale (Cf. Laudato Si, 117, 138). Le destin commun de l’humanité exige le renforcement pragmatique du dialogue, la construction et la consolidation de mécanismes de confiance et de coopération, capables de créer les conditions d’un monde sans armes nucléaires.
L’interdépendance croissante et la mondialisation signifient que toute réponse à la menace des armes nucléaires devrait être collective et concertée, fondée sur la confiance mutuelle. Cette confiance ne peut être construite que par un dialogue véritablement motivé par la recherche du bien commun et non par la protection d’intérêts particuliers ou occultes ; un tel dialogue, dans toute la mesure du possible, devrait inclure tout le monde : les Etats ayant des armes nucléaires, les pays qui n’en possèdent pas, les militaires et les secteurs privés, les communautés religieuses, les sociétés civiles et les organisations internationales. Et dans ce processus nous devons éviter les formes de récrimination mutuelle et de polarisation qui empêche le dialogue plus qu’ils ne l’encouragent. L’humanité a la faculté de travailler ensemble à bâtir notre maison commune ; nous avons la liberté, l’intelligence et la capacité de conduire et diriger la technologie, de fixer des limites à notre pouvoir, et de mettre tout cela au service d’un autre type de progrès : plus humain, social et intégral (Cf. Ibid., 13, 78, 12 ; Message à la 22e Conférence des Etats parties à l’Accord cadre des Nations Unies sur le changement climatique (COP 22), 10 novembre 2016).
La présente Conférence a pour objet de négocier un traité inspiré d’arguments éthiques et moraux. C’est un exercice d’espoir, et c’est mon vœu qu’il puisse constituer une étape décisive sur la route qui mène à un monde sans armes nucléaires. Bien que le but soit significativement complexe et éloigné, il n’est pas hors d’atteinte.
Madame la Présidente, je souhaite sincèrement que les efforts de cette Conférence soient fructueux et apportent une contribution efficace à l’avancement d’une éthique de paix, de sécurité et de coopération multilatérales.
Sur tous ceux rassemblés pour cette importante réunion et sur les citoyens des pays que vous représentez, j’invoque les bénédictions du Tout-Puissant.
Le Vatican, le 23 mars 2017
Source : Délégation du Saint Siège auprès de l’Organisation des Nations Unies
Traduction : Jean-Marie Matagne/Action contre le désarmement nucléaire
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