samedi 29 octobre 2016

Ulla Lohmann : « on m'avait dit qu'en Papouasie Nouvelle-Guinée, vivait une tribu qui momifiait ses morts »

Royan/Festival des Nouvelles Explorations

C'est l'histoire d'une jeune femme née en Allemagne, dotée d'une belle énergie et d’un formidable esprit de curiosité. Ses sujets de prédilection ? La nature, l'environnement, la Terre tout simplement et les hommes qui la peuplent. Grande voyageuse, elle a vécu des aventures particulières en Papouasie Nouvelle-Guinée qu'elle a racontées l'autre jeudi à Royan devant un public passionné… D'autant qu'elle était venue avec un drone qui permet des prises de vue en des endroits impossibles.


Reportage sur une tribu de Papouasie Nouvelle-Guinée qui momifie ses morts
Ulla Lohmann est à la fois reporter-photographe, réalisatrice de documentaires et aventurière des temps modernes. Invitée du Festival des Nouvelles Explorations, elle aurait aimé vivre au début du XIXe siècle à l’époque des grandes expéditions.
L’époque actuelle lui offre d’autres latitudes. Diplômée en géographie (études en Allemagne et en Australie), elle n'a pas cherché à contrarier cette envie d'aller voir ailleurs. Cultures ancestrales et nouveaux horizons, dans les pas de Jules Verne, l'un de ses écrivains préférés ! « J'ai besoin d'adrénaline. Je n'ai pas peur des forces de la nature » dit-elle. C'est pourquoi elle est toujours partante, prête à relever des défis, appareil photo, caméra et drône dans ses bagages. Elle a beaucoup bourlingué et su vaincre les dangers qui la guettaient, à commencer par ceux qui la pensaient vulnérable. Son objectif ? Témoigner, écrire par l’image sur le grand livre de la vie. Quand elle a rencontré, à Washington, les responsables de National Geographic, revue à laquelle elle collabore, elle s'est dit que la Papouasie Nouvelle-Guinée ferait un excellent sujet.

Débat illustré par de magnifiques photos et reportages d’Ulla Lohmann
Le village de Gemtasu

La rencontre entre Gemtasu, chef de village Anga en Papouasie Nouvelle-Guinée, et Ulla pourrait se résumer par cette phrase : si Gemtasu ne pouvait pas venir à Ulla, Ulla viendrait à lui ! De prime abord, ces deux êtres n'avaient aucun point commun, l'une Européenne, l'autre vivant au cœur de la jungle. Une jungle qui subit des changements puisque les jeunes, disposant de téléphones portables, se détachent de leur milieu et partent travailler en ville.
Les usages de cette tribu, qui momifie ses morts en les faisant sécher, intriguaient Ulla Lohmann. Le principe de momification n’est pas une nouveauté : les Egyptiens le pratiquaient déjà - y compris sur les animaux - ainsi que les peuples d'Amérique du Sud (liste non exhaustive).
Bravant la difficulté, elle est donc allée sur place par trois fois. Après plusieurs tentatives, les habitants l'ont acceptée. "Ce qui est écrit, est écrit" prétend le vieil adage. « Au bout de trois jours, Gemtasu s’est assis près de moi et en fin de journée, il m’a emmenée voir les momies » se souvient-elle. Sur la falaise, les silhouettes décharnées se dessinaient, tels des gardiens de l'au-delà. Parmi cet honorable comité d'accueil, figurait Moimango, le propre père de Gemtasu. « Les momifications se sont arrêtées quand les Missionnaires ont décrété que de telles pratiques étaient contraires à la religion ». D’un autre âge, ces rites funéraires étaient tombés dans l’oubli, la jeune génération y portant peu d'attention.
Ils sont revenus sur le devant de la scène quand la petite fille de Gemtasu est morte de la malaria. « Ne croyant pas à la maladie, le patriarche pensait qu’un esprit malveillant s’était emparé de la fillette ». La communauté était-elle menacée ? A n'en pas douter.

Le moment était venu, pour Gemtasu et les siens, de renouer avec la tradition en organisant le "retour de la momie", les personnes disparues ayant un rôle privilégié auprès des vivants. Le seul problème était l'érosion du savoir quant à la manière de momifier. De tels secrets se transmettent oralement et si le fil est rompu, la connaissance s'étiole. Sollicité, un biologiste américain Ronald Beckett répondit favorablement à l'appel d'Ulla Lohmann qui cherchait à aider Gemtasu. Pour retrouver la bonne formule, des expériences sur un cochon furent tentées qui donnèrent un résultat positif.

Il s'agit de "fumer" le mort (placé au dessus d'un feu) selon des procédés qui nécessitent l’utilisation de plantes aux vertus spécifiques. Autour de cette opération qui comporte solennité et respect envers le défunt, s'organise un rituel (avec les fluides du corps en particulier). « Les coutumes sont très importantes ; les morts protègent les vivants. Cette approche de la mort peut surprendre les Occidentaux » souligne Ulla qui en a rapporté des photos extraordinaires.
Le moment le plus émouvant a été quand Gemtasu a décidé de rejoindre l'au-delà  : « il avait choisi de mourir, l’instant était venu pour lui ». Après l'avoir connu bien vivant et échangé avec lui au téléphone, elle a immortalisé par l’image celui qui était devenu son ami « lors de son entrée dans une seconde dimension, celle de la momification ». Une cérémonie ô combien émouvante.

Pendant des siècles, la tribu Anga a momifié ses morts par fumage. Le climat étant chaud et humide en Papouasie Nouvelle Guinée, les corps devraient se décomposer rapidement. Le processus de momification l’en empêche, les corps étant placés dans une hutte enfumée. La fumée crée alors un environnement hostile aux bactéries et aux insectes. Ultime opération après le rituel, le corps est badigeonné  d’ocre. La momie est ensuite placée sur la falaise 
où elle est censée veiller sur les vivants.
Par leur valeur et leur rareté, les travaux d'Ulla Lohmann sont importants pour les ethnologues. Comme moult observateurs, elle s'inquiète des effets de la déforestation sur les habitats, la faune et la flore. Dans ces conditions, comment ces hommes et ces femmes pourront-ils maintenir l'héritage du passé ? Voilà bien la préoccupation, à moins d’imiter l’île North Sentinel au large de l'Inde dont les occupants sont tellement féroces qu'ils dissuadent tout intrus de leur rendre visite.

Drone en action du Palais des congrès. Aux côtés d'Ulla Lohmann et Sébastian Hofmann, le débat était animé par François Marot, nommé fin 1998 à la tête de National Geographic France où il a dirigé le magazine et ses déclinaisons jusqu'à fin 2013. Il travaille actuellement comme consultant auprès de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Il est le co-fondateur du festival de Royan avec Bettina Laville, conseiller d’Etat et présidente du Comité 21.

Au cœur d'un volcan


Les volcans sont l'autre passion d'Ulla Lohmann. Un film sur sa descente dans le cratère du Tavurvur (Rabaul) à 600 mètres avec son campagnon Sebastian Hofmann et le scientifique Thomas Boyer, a plongé le public dans la beauté des enfers. Pour info, Rabaul est l'un des volcans les plus actifs et les plus dangereux de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Il a explosé violemment en 1994 et dévasté la ville située à ses pieds. Depuis, le Tavurvur, jeune cône situé à l'intérieur de la caldeira, connaît une activité persistante. Lac de lave en fusion photographié par l'exploratrice et où Thomas Boyer « aimerait bien nager s'il le pouvait » plaisante-t-il.
Dans un milieu aussi hostile, tout le matériel de prise de vue souffre, combinaisons et masques étant obligatoires. C'est alors que le drone entre en jeu - matériel indispensable pour survoler une scène où personne ne peut aller - ou bien la fameuse caméra à 360 degrés.

Une même passion pour les volcans en éruption dans les pas d'Haroun Tazieff
Du drône, il fut d'ailleurs question au terme de la conférence. Ce petit appareil - qui répond à une législation précise - offre multiples possibilités (y compris, celles à titre militaire, de transporter des charges explosives). Pour les reporters, l'objectif est purement pacifique ! Prendre de la hauteur, photographier et filmer paysages ou sites sous un angle inhabituel. Le public eut d'ailleurs droit à un survol de la salle du Palais des congrès ainsi qu'à un joli panoramique de la ville de Royan réalisé le matin même. De quoi susciter des vocations (et acheter des drones !) !

Le port de Royan vu à partir d'un drone
Ulla Lohmann poursuit son chemin : « il faut avoir des histoires à raconter » déclare-t-elle en "storyteller". Erebus, volcan de l'Antarctique ne laisse pas de glace, ainsi que le Pérou où ont été retrouvées des momies dans des sites antérieurs aux Incas…

Ulla Lohmann et son drone au Palais des congrès de Royan
• La Papouasie Nouvelle-Guinée compte 800 tribus, une faune et une flore remarquables. L'agriculture (café, etc) est le principal moyen de subsistance pour 85 % de la population.
Les dépôts de minerais - pétrole, cuivre et or - contribuent à 72 % des recettes d'exportation. Des gisements de gaz naturel gigantesques y ont été découverts.

• La Papouasie Nouvelle-Guinée abrite des peuplades franchement belliqueuses : « il n'y a pas si longtemps, pour qu'un jeune devienne un homme, il devait en tuer un autre. Ces actes se perdent dans la nuit des temps ».

• Sur cette planète, y-a-t-il encore des endroits à explorer ? Forcément, sous terre et dans les mers. Et sur cette bonne vieille Terre, même si les marges de manœuvre se réduisent.

• Quelle différence entre les anciens et les nouveaux explorateurs ? Finalement aucune si ce n'est l'arrivée des nouvelles technologies dans le monde du reportage. Par ailleurs, il est de plus en difficile de financer les grands projets. A une époque, les sponsors ou les rédactions des grands titres étaient plutôt généreux. Désormais, les enveloppes allouées sont nettement réduites.

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