C’est un petit rectificatif budgétaire, révélé par Public Sénat, qui pourrait déboucher sur une grande polémique. Le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2018 prévoit de flécher vers le budget général 577 millions d’euros prélevés du compte d’affectation spéciale “Transition énergétique”. Voté en première lecture à l’Assemblée nationale, le PLFR a été rejeté, dans son ensemble, par les sénateurs lors de la séance du lundi 19 avril. Cet arbitrage gouvernemental a notamment provoqué la colère du rapporteur général (LR) de la commission des Finances du Sénat, Albéric de Montgolfier : “Le gouvernement voit dans la fiscalité écologique un moyen de se faire des recettes qui ont bon dos” a ainsi accusé le sénateur d’Eure-et-Loir sur Public Sénat.
Alors que le mouvement des "gilets jaunes" se heurte à l’inflexibilité du gouvernement sur les taxes à la pompe, cet arbitrage budgétaire pourrait donner des arguments à ceux qui doutent de la sincérité écologique du gouvernement. Et pour cause : ces 577 millions d’euros correspondent à l’augmentation du produit fiscal de la TICPE en 2018. En transférant ces crédits supplémentaires vers le budget général, le gouvernement montre qu’il n’a pas utilisé l’intégralité des crédits à sa disposition pour l’année 2018, dans le compte d’affectation spéciale “Transition énergétique”.


Encore plus troublant, cet ajustement, qui porte la part de TICPE consacrée au budget général de 13,3 à 13,9 milliards d’euros - avant d’atteindre 17 milliards d’euros en 2019 - semble avoir été utilisé pour combler le manque à gagner fiscal lié au remplacement de l’Impôt sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (ISI), moins rémunérateur pour l’Etat. L’explication figure, noir sur blanc, dans l’exposé général des motifs du PLFR pour 2018, que Bercy a présenté aux parlementaires : “Les recettes fiscales du budget général sont revues à la hausse de 0,4 Md€ malgré des recettes plus faibles qu’attendu concernant l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et les droits de mutation à titre gratuit (DMTG, 0,15 Md€) ; ces baisses sont compensées par la réaffectation au budget général d’une partie de la fraction de TICPE provenant du CAS “Transition énergétique” à hauteur de 0,6 Md€, conséquence de la révision à la baisse des dépenses de ce compte”.
Dans sa version recentrée sur l’immobilier (IFI), l’impôt sur la fortune n’a en effet rapporté que 1,1 milliard d’euros aux finances publiques, contre 4,23 milliards d’euros de recettes engrangées grâce à l’ISF, en 2017. De là à penser que Bercy se sert de la hausse des taxes sur les carburants pour financer l’allègement fiscal offert aux Français les plus aisés, il n’y a qu’un pas. Contacté par le Huffington Post, le ministère des Comptes publics dément. Et se retranche derrière la complexité du texte budgétaire pour plaider l’erreur d’interprétation. Si les services de Bercy reconnaissent la présence “d’éléments de présentation contradictoires qui n'aident pas à comprendre la logique du budget général" au sein du PLFR 2018, ils assurent que lien établi entre le CAS « Transition énergétique » et les recettes de l’IFI répond à une “simple règle d’écriture comptable”.

Dans ce cas, on peut se demander pourquoi l’excédent de recette fiscale de la TICPE n’a pas été réservé au financement des mesures en faveur de la Transition énergétique, conformément aux engagements de Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Simple question de timing, a indiqué le ministère des Comptes publics au Huffington Post : il serait trop tard pour dépenser ces crédits avant la fin de l’année, d’où leur transfert vers le budget général. Mais Bercy promet de réaffecter ces fameux 577 milliards d’euros à la Transition énergétique en 2019, en citant, à titre d’exemple, le financement de la super prime à la conversion dégainée par Edouard Philippe, en réponse à la contestation des gilets jaunes.

A suivre...