lundi 27 novembre 2017

Didier Catineau : L'amphithéâtre de Saintes n'est ni Disneyland, ni le Puy du Fou !

Dans l'entretien qui suit, Didier Catineau, membre de l'association Médiactions que préside Cécile Trébuchet, s'exprime longuement sur l'aménagement des arènes de Saintes lancé par le maire, Jean-Philippe Machon. Au-delà d'une réaction "d'humeur", il s'agit d'une véritable réflexion au sujet de ces travaux qui suscitent de nombreuses interrogations.  « Je me sens un devoir de transmettre l’héritage de ma ville aux générations qui viendront après moi. Et quand j’écris "transmission", c’est dans le sens total du terme. Transmettre sans détériorer : une priorité. Halte aux démolisseurs, respectons notre cadre de vie pour nos enfants et laissons de notre passage sur terre des traces dignes de nous » dit-il. A méditer...
 
Ces photos, de la collection Jacques Triou (valorisées par Didier Catineau), ont été faites au début du XXe sicèle. Il s'agit de déblayer l'arène des mètres de terre qui l'ont comblée au fil des siècles

• Didier Catineau, vous êtes un homme engagé et l'avez montré en plusieurs occasions. Aujourd'hui, avec l'association Médiactions, vous êtes interrogatif quant à l'installation de gradins dans les arènes d'autant que vous avez découvert - en nous le faisant partager - un fonds photographique extraordinaire, celui de Jacques Triou, datant du début du XXe siècle et montrant l'amphithéâtre tel qu'il était alors ?

En effet. L'amphithéâtre de Saintes, c'est le livre de notre histoire bimillénaire à respecter et à préserver contre les outrages du temps et des rêves chimériques de grandeur.
La mémoire est une chose formidable. Il y a plus de trente ans, un ami saintais me montra d’anciens clichés sur plaque de verre représentant notre ville et plus particulièrement l’amphithéâtre de Saintes que beaucoup de Saintongeais nomment « les arènes ». Datant de 1907 ou de 1908, on y voit des travailleurs creusant le plateau de l'amphithéâtre pour en sortir la terre. Ils s’aident pour cela de rails en fer et de wagonnets pour un désenfouissement impressionnant. Et tout se termine par une grande fête lorsque le travail est enfin terminé. Sans être archéologue ni connaisseur de ce genre de travaux, les photos de Jacques Triou parlent d’elles-mêmes et montrent l’enthousiasme des ouvriers comme celui des nombreux participants à la fête. De nombreuses autres suivirent car cette salle de spectacle à ciel ouvert venait fort à propos.
Que dire des dégradations faites à l’édifice ? Des gradins de fortune s’entassant de manière désordonnée ? Il est vrai que la notion de sécurité, il y a de cela cent ans, était très approximative.
Et à présent, en 2017, on parle avec fureur de dégrader l’amphithéâtre en transformant ce livre d’histoire grand ouvert sur notre passé commun avec des gradins pour accueillir plus de 5000 spectateurs venus écouter des opéras. Eh bien non !

• Vous semblez hostile au projet de Jean-Philippe Machon ? 

Je suis citoyen saintongeais et j’aime cette ville de Saintes qui m’a beaucoup donné et dont j’ai beaucoup reçu. Il semblerait que cette « nouveauté » décidée par le premier édile de la ville vise à attirer le tourisme. Non, mille fois non ! L’amphithéâtre n’est pas Disneyland ni le Puy du Fou ! Quel outrage, quelle dérision !
Dégrader (il n’y a pas d’autre mot) un tel lieu pour satisfaire un égo fort démesuré me hérisse au plus haut point ! La culture ne s’appréhende pas de cette manière. Et puis quoi, il semblerait que les décisions à venir sont actées depuis longtemps, que tout est lancé et que quoi nous disions, cela se fera. Sommes-nous dans un pays où le citoyen a le droit de s’exprimer ? J’en doute fort à présent. Quels seront les coûts ? Combien de spectacles à l’année ? Car ne nous y trompons pas, on commence par installer des gradins soit disant ajustables, non définitifs, que les générations à venir pourront décider de conserver ou non. Mais la génération qui refuse cet acte inouï, c’est la mienne et elle s’élève en disant non avec fermeté. Non.

Didier Catineau, défenseur du patrimoine
• L'association Médiactions est forte d'une pétition réunissant plus de 7000 signatures...

Elle circule actuellement sur internet et rassemble plus de 7000 signatures venant de tous les endroits de France pour dire à quel point la notion de patrimoine et sa préservation sont devenus des sujets de préoccupation majeure. Ces 7000 signatures ne sont pas l’émanation d’un complot, de gens de connivence achetés pour l’occasion afin de faire nombre et pression. Vous qui décidez de ce projet, posez-vous véritablement les bonnes questions et écoutez au lieu de mépriser ! Regardez mieux les clichés illustrant ces propos. Quelle leçon pour nous qui cent ans après nous apprêtons à dénaturer une page entière de notre histoire.
Je l’ai déjà dit, je ne suis pas archéologue, juste un Saintongeais révolté tenant à faire connaitre son désarroi et sa colère également. On ne doit pas toucher à l’amphithéâtre et les projets fumeux concernant la « valorisation » devraient plutôt se tourner vers le tissu industriel, commerçant de la ville. Il faut trouver des idées, innover, c’est pour cela que l’équipe municipale a été élue. Qu’elle ne l’oublie pas. Qu’elle n’oublie pas non plus qu’il faut parler aux Saintongeais, leur expliquer, les convaincre, faire en sorte qu’un tel projet soit porté par tous et non pas par une seule personne (ou à peu près) portant sa propre vérité et désirant inscrire son nom pour l’éternité sur le mur des hauts faits.
J’ai lu que le premier édile était fils de cheminot et petit fils de cheminot. La belle affaire. Est-ce pour dire aux Saintais qu’il est proche d’eux ? Je suis moi-même fils de cheminot, petit fils d’un agent de police municipale saintais mort pour la France en 1944 et arrière-petit fils d’un cultivateur métayer à Saint Vaize et Chaumet les Violettes. Est ce qu’on me regardera différemment en écrivant cela ?
Ce qui compte, c’est ce que l’on fait pour défendre sa « petite patrie » et pour l’heure, je crains bien qu’il ne soit nullement question de défense. Notre patrimoine est attaqué de vilaine manière et il faut bien qu’il y en ait comme moi qui se lèvent pour crier très fort ce refus viscéral d’atteinte à nos racines.
On m’objectera que pour quelques gradins dans un amphithéâtre, c’est beaucoup de bruit pour peu. A nouveau, je dis non. Quel en est le coût pour le contribuable ? Qui nous garantit qu’il n’y aura pas d’autres projets encore plus « fantaisistes » déjà en route ? Dans le vallon des arènes, les arbres en pleine santé sont coupés pour dégager la vue, les abords. On travaille en sourdine au grand projet. On reporte des rendez-vous, on esquive, on ne veut rien dire et en fait, de cette manière, on amène le citoyen, par découragement, à la solution qu’il ne souhaite pas, au fait accompli. Je me sens un devoir de transmettre l’héritage de ma ville aux générations qui viendront après moi. Et quand j’écris « transmission », c’est dans le sens total du terme. Transmettre sans détériorer : une priorité.

• Dans le passé, des hommes célèbres sont montés au créneau pour défendre le patrimoine, Pierre Loti au château de la Roche-Courbon ; Victor Hugo de passage en Saintes qui s'offusque en découvrant la destruction du pont ancien et le sort qu'on veut réserver à l'arc dit de Germanicus. Vous servent-ils d'exemple ?

Victor Hugo, en son temps, dénonça de telles pratiques et clama haut, fort et loin qu’il fallait faire la guerre aux démolisseurs : « Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait. Qu'on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à d'ignobles spéculateurs que leur intérêt imbécile aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit » (Victor Hugo, "Guerre aux démolisseurs", Revue des deux mondes, 1er mars 1832).
Victor Hugo était un fervent défenseur du patrimoine historique de Paris. La cathédrale Notre-Dame de Paris était vouée à la destruction et elle retrouva un regain d'intérêt lors de la sortie du livre "Notre dame de Paris » en 1831. De plus, il s'opposa fermement à la destruction des arènes de Lutèce (qui datent du 1er siècle de notre ère) lors des travaux du baron Haussmann.
Que serait devenu l’arc de Germanicus, dont on va fêter en 2018 et 2019 les 2000 ans d’existence, sans l’intervention de Victor Hugo en 1843 auprès de Prosper Mérimée alors qu’il était inspecteur des monuments historiques de France ?
On démolit l’amphithéâtre de Saintes et on ne devrait pas s’y opposer ? Ici, c’est la Saintonge et en Saintonge, on prend le temps. Une ville ne se gère pas comme une entreprise. Une ville a une âme, une histoire et des témoins de son histoire. Renoncer à cela c’est se précipiter dans le néant.
Des fouilles préventives sont effectuées actuellement. C’est la moindre des choses ! Mais que va-t’il se passer après ? Est-ce que nous serons entendus, associés aux décisions, aux réflexions ? Tout est question d’intelligence, de dialogue, de compréhension. Le reste est méprisable à l’excès.
L’outrage du temps fera son œuvre car pourquoi faire de tels travaux de gradinage alors que l’on sait que tout le reste de l’amphithéâtre est en très mauvais état de conservation et mériterait des renforcements inévitables, des travaux salutaires. On ne peut pas considérer ce lieu comme un écrin historique permettant l’exécution de spectacles en plein air basés sur le nombre, le profit sûrement aussi au détriment de la préservation qui nous incombe à tous en tant que locataire dans cette vie de là où l’on vit.

• En conclusion ?

Halte aux démolisseurs, respectons notre cadre de vie pour nos enfants et laissons de notre passage sur terre des traces dignes de nous...

Pour déblayer la terre, d'ingénieux wagonnets !
Premières fêtes dans l'amphithéâtre
Il fut une époque où le quartier n'était pas construit...
• Les photos en noir et blanc proviennent d’un fonds privé et sont soumises à un Copyright © Collection Jacques Triou – Propriété Crédit images Didier Catineau.

• On peut partager ces documents pour montrer des documents rares mais, en aucun cas, il n’est possible de les séparer et surtout de les utiliser à titre individuel pour quelque raison que ce soit sans autorisation préalable.

2 commentaires:

Jany Grassiot a dit…

Bravo Monsieur Gatineau pour votre sens du devoir patrimonial!!!!! Il est urgent de prendre conscience de notre passé et de lui garder le plus grand respect! Ces arenes nous " regardent " depuis des siècles . A nous de les contempler et de les garder comme l'un des plus beaux joyaux de la Saintonge !

Anonyme a dit…

Bonjour,
Venant de visiter l'amphithéâtre de Saintes avec une guide conférencière, je suis très étonnée par la dernière photo. Est-ce vraiment Saintes ? Où est l'église St Eutrope ? et le vallon dans lequel se trouve l'amphithéâtre ?
Cordialement.
Mme Roudier