mercredi 22 mars 2017

Compteurs Linky, leur installation forcée est-elle bien réglo ?

Le mouvement Stop Linky qui se rassemble aujourd'hui mercredi à Paris est-il hors la loi face au déploiement forcé des compteurs communicants ? Entretien avec Blanche Magarinos-Rey, avocate spécialisée en droit de l’environnement.


ARTICLE DE DANIEL ROUCOUS PARU DANS L'HUMANITE DU 21 MARS 2017

Ce mercredi 22 mars, 200 associations et collectifs locaux inter-associatifs Stop Linky-Gazpar et de nombreux élus locaux, venus de toute la France, se rassemblent devant la maison de la Radio à Paris.
Ce jour-là, l’AMF (association des maires de France) y organise un grand oral des candidats à l’élection du Président de la République.
Dans notre enquête compteurs-linky-pourquoi-le-courant-a-du-mal-passer ? nous avons expliqué les raisons de la colère de nombreux citoyens/usagers, mais aussi des maires et des conseils municipaux. 344 communes ont actuellement pris une délibération, un arrêté ou un moratoire pour s’opposer à l’implantation de force par Enedis des compteurs Linky. Nombre d’entre elles se sont retrouvées devant le tribunal administratif pour tout simplement se préoccuper de l’impact des compteurs communicants sur la santé et la vie privée de leurs concitoyens. On appelle cela le principe de précaution.
Ce mouvement Stop Linky de citoyens et de municipalités contre tous les compteurs communicants a-t-il  légalement le droit de s’opposer à une décision gouvernementale et de quels outils juridiques disposent-ils pour cela ?
Nous avons posé la question à Me Blanche Magarinos-Rey, avocate au barreau de Paris en droit de l’environnement qui a élaboré un kit juridique destiné aux citoyens et aux élus pour faire valoir leur droit au refus de compteurs communicants.
 
D’abord pouvez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs pourquoi avoir élaboré un kit juridique ?

Blanche Magarinos-Rey : « Avocate au barreau de Paris en droit de l'environnement, j'ai créé un cabinet d'avocats dédié aux acteurs de la société civile engagés dans la défense de l'environnement et des droits humains. Concernant les compteurs Linky, nous avons élaboré un kit juridique pour mettre le plus largement possible à la disposition des personnes et des collectivités les armes juridiques leur permettant de faire valoir leurs droits de manière autonome. Ce kit est en libre accès sur notre site internet www.artemisia-lawyers.com ou directement sur http://refus.linky.gazpar.free.fr/Note-Linky-PARTICULIERS.pdf

Les municipalités qui ont adopté une délibération ou un moratoire anti-Linky et Gazpar doivent-elles faire voter une nouvelle délibération ou moratoire pour éviter le tribunal administratif ?

« Les municipalités qui se sont opposées à l'installation du compteur Linky et Gaspar ont fait face à des recours en cascade contre leurs délibérations, lesquelles avaient parfois été prises sans préparation préalable. Ces délibérations se basaient pour la plupart sur les questions sanitaires que ces compteurs soulèvent et les décisions des tribunaux administratives ont été très sévères à leur encontre. C'est la raison pour laquelle une nouvelle démarche s'impose pour les Communes. Nous avons donc proposé aux collectivités de nouvelles pistes, basées sur l'atteinte à la protection des données personnelles par le nouveau compteur et au domaine public des communes. Ces nouveaux actes pourront être contestés devant le tribunal administratif mais les communes auront alors des arguments plus forts à faire valoir. »

Que leur conseillez-vous ?

« Nous leur conseillons de se saisir des outils que nous avons mis à leur disposition pour agir et faire valoir leurs droits (kit juridique NDLR).
 Nous conseillons aux maires de  saisir la CNIL-Commission nationale informatique et libertés d'une demande de vérification du fonctionnement des compteurs au regard des dispositions de la loi Informatiques et Libertés, car le fonctionnement des compteurs ne se conforme pas strictement aux recommandations CNIL_COMPTEURS_COMMUNICANTS
Simultanément, nous proposons aux maires de suspendre par arrêté, au titre de leur pouvoir de police de la tranquillité publique, le déploiement du compteur dans l'attente du résultat des vérifications demandées.
Nous avons aussi élaboré un modèle d'arrêté permettant aux maires, au titre de ses pouvoirs d'exécution des lois, de réglementer l'implantation du compteur pour garantir le respect des droits des personnes.
Nous proposons enfin un modèle de délibération pour refuser le déclassement de l'ancien compteur et forcer son maintien (*) »
 
Quelle différence, disons juridique, entre délibération, arrêté, moratoire ?

« La délibération est l'acte pris par le conseil municipal. L'arrêté est celui pris par le maire. Il y a une différence de forme. Au niveau d'une commune, le code général des collectivités territoriales distribue les compétences entre le maire et le conseil municipal. Par exemple, le conseil municipal n'est pas compétent pour prendre une mesure de police qui relève des pouvoirs du maire.
Le terme moratoire se rapporte à un acte qui suspend l'application d'une réglementation. Il s'agit d'un critère de fond et non de forme. Un moratoire peut donc prendre la forme d'une délibération ou d'un arrêté. »

Un mot sur la question de la propriété des compteurs. Appartiennent-ils ou pas aux communes ou aux EPCI ?
« Le texte de l'article L322-4 du code de l'énergie précise qu'ils appartiennent "aux communes ou à leurs groupements", ce qui tend à considérer qu'ils peuvent appartenir selon les cas, soit aux communes, soit aux EPCI.
Un jugement récent du Tribunal administratif de Rennes a ainsi admis qu'ils appartiennent à l'EPCI. Mais cette décision n'a pas tenu compte de l'article L1321-1 du code général des collectivités territoriales qui prévoit qu'en cas de transfert de compétence à un EPCI, les biens permettant l'exercice de cette compétence sont seulement "mis à disposition", sans transfert de propriété. En application de ce texte, les compteurs devraient être considérés comme propriété des communes. La question mérite donc encore d'être tranchée par une juridiction supérieure. »

Et si elles ont délégué leur exploitation et leur entretien à Enedis ou à un gestionnaire du réseau ?

« Sur ce point, la réponse est plus claire. La cour administrative d'appel de Nancy dans un  arrêt n° 13NC01303 du 12 mai 2014 a conclu que les compteurs, qui sont des biens du domaine concédé, ne sont pas la propriété d'Enedis ou du gestionnaire de réseau, mais de la personne publique concédante. »

La plupart des délibérations ou moratoires avancent le principe de précaution pour protéger les administrés notamment des ondes électromagnétique et de la vie privée. Mais n’est-ce pas du ressort de l’Etat puisque c’est lui qui a pris une loi pour installer des compteurs intelligents en application d’une directive européenne ?

« L'Etat est compétent pour décider des modalités propres à assurer la sécurité des personnes ou la protection de leur vie privée.
Mais les maires au titre de leur pouvoir de police peuvent aussi agir, en principe, lorsqu'un péril imminent menace les populations (article L2212-2 du code général des collectivités territoriales). Toutefois, en la matière, la difficulté est d'établir l'imminence du péril. »

A propos de la directive européenne du 13 juillet 2009, impose-t-elle vraiment la mise en place de compteurs intelligents comme les décideurs l’affirment ?
La directive européenne du 13 juillet 2009 impose seulement "la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d'électricité" et les Etats membres sont libres de fixer les moyens de cette participation active. Or, il faut savoir que les anciens compteurs répondent déjà à cet objectif. »

L’usager-client peut-il s’opposer au changement de ses compteurs par un Linky, puis un Gazpar et sur quelle base légale ?

« La lacune majeure du dispositif légal réglementant le déploiement de ces compteurs est qu'il ne prévoit pas expressément le consentement des personnes. Il s'agit pourtant d'un bouleversement technologique qui est aussi un choix de société car ces compteurs ont vocation à permettre l'analyse précise, la captation et la valorisation commerciale de nos habitudes de vie. Il serait choquant que les individus soient par principe exclus de ce choix.
En principe, les personnes ont la libre disposition des données collectées par ces compteurs en application de l'article R341-5 du code de l'énergie
Ce principe devrait fonder le droit des personnes à déterminer les modalités de communication et de traitement de leurs données. Il s'agit du droit à l'autodétermination des données personnelles que le Conseil d'Etat a, en quelque sorte, déjà consacré.
Or, le fonctionnement de ces compteurs ne respecte pas ce droit aujourd'hui, car le système d'information d'Enedis censé le mettre en œuvre n'est pas opérationnel. De plus, ce droit pourrait être exercé que par les seules personnes ayant accès à internet, ce qui n'est pas le cas de tous les usagers.
Dans ce contexte et sur ce fondement, les usager-clients devraient pouvoir s'opposer à l'installation de ce compteur. »

Est-il vrai qu’en cas de refus le distributeur d’énergie peut lui couper l’électricité et le gaz, voire le taxer ?

« L'usager et le distributeur d'énergie sont en relation contractuelle et les droits et obligations de chacune des parties sont déterminés par ce contrat. Il faut donc se reporter aux stipulations de chaque contrat pour vérifier les risques d'un refus. Cependant, il existe un droit d’accès pour tous à l'électricité qu'il convient de rappeler au distributeur s'il venait à user de menace de coupure pour forcer l'implantation d'un compteur. »

Que conseillez-vous aux usagers qui refusent de changer de compteurs, exemples  à l’appui ?
« Nous avons mis à la disposition des particuliers plusieurs modèles de lettres permettant de notifier formellement au gestionnaire du réseau un refus de changement de compteur ou visant à mobiliser les municipalités contre l'implantation irrégulière des compteurs.
Cependant, ces démarches n'empêcheront pas le gestionnaire du réseau de déployer ces compteurs, s'il y est déterminé. La seule solution est alors d'obtenir d'un juge qu'il soit enjoint au gestionnaire de cesser ce déploiement.
Dans le cas d'une personne électro-hypersensible, le Tribunal d'instance de Grenoble a ainsi ordonné à un bailleur d'enjoindre au gestionnaire de ne pas installer de compteur à cette personne en raison de son affection. Face à un conflit, il ne faut pas craindre de saisir la justice pour le résoudre et s'en remettre à sa décision. »

Votre conclusion ?
« Le déploiement des compteurs Linky sans le consentement des personnes est une atteinte au droit des personnes de disposer de leurs données personnelles.
Il est essentiel que les personnes ne laissent pas leurs habitudes de vie ou leur comportement personnel être profilés et exploités sans leur consentement. C'est un choix de société qu'il leur appartient de prendre et dont ils sont pour l'instant scandaleusement exclus. »

(*) – nouvelles-délibérations-anti-linky

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