Si l’on devait écrire un "polar" sur le drame qu’a vécu Christian Radoux, il pourrait commencer par une phrase révélatrice extraite du dossier de l’instruction : « je lui ai remis un scénario sur le cul. Le « grand », il est prêt à rallonger tout ce qu’il faut en fraîche. Maintenant, tu me laisses faire » déclare l’un des individus qui l’ont fait chanter. Le "grand", c’est Christian Radoux. Il est riche, il faut donc le plumer. Comment ce patron qui ne s’est jamais laissé impressionné est-il tombé dans pareil traquenard ? La réponse est simple : « j’ai toujours vécu dans un monde qui a des règles. Là, il n’y en avait pas, je ne me suis pas méfié » dit-il.
En 2013, résultant d’une combine située entre intimidation et racket, Franck Arnal et Saada Zaoui sont parvenus à obtenir de lui deux versements d’une valeur de 400.000 euros (liquide et lingots d’or) remis à Paris. Un troisième aurait eu lieu si le principal intéressé n’avait prévenu la gendarmerie.
Faire croire que l’Américain est à l’origine des menaces
Palais de justice d'Angoulême, mardi 14 mars. Au premier rang, sont assis Christian Radoux, sa femme et son fils. Derrière eux, des amis, des soutiens. La vice-présidente du Tribunal correctionnel, Marie-Elisabeth Boulnois, a devant elle un épais dossier. L’affaire Radoux est complexe, en effet.
Il est invité à s’avancer tandis que les deux prévenus arrivent à la barre. Le moment est pesant. Franck Arnal, survêtement et pull rayé, essaie de paraître naturel face à son ancien employeur. A ses côtés, Saada Zaoui est recroquevillé dans un fauteuil roulant que pousse un colosse. Arnal comparaît pour la première fois devant la justice tandis que Zaoui a un casier judiciaire pourvu. Difficile de croire que derrière cet homme d’origine algérienne, responsable d‘une société de protection de VIP et conseiller en gestion, se cache le cerveau d‘une machination. D’une extrême politesse, il répond posément aux questions. Rien à voir avec le côté sportif et direct d’Arnal, le boxeur !
Venons-en aux faits. Christian Radoux a été victime de son coach Franck Arnal qu’il côtoie depuis des années. Deux ou trois fois par semaine, ils font ensemble du footing, de la musculation. Les deux hommes sympathisent et Christian Radoux entretient une relation de confiance. Il recommande ses services à des amis dont un couple d’Américains richissimes, propriétaire du château de Saint-Simon de Bordes, Jennifer et Richard Postrel (dont le nom reviendra régulièrement durant le procès).
Aux alentours du 14 juillet 2013, Christian Radoux commence à recevoir des SMS bizarres qui l’accusent des pires choses. Au départ, il prend ces envois avec humour, puis l’affaire se corse lorsqu’une somme d’argent lui est demandée pour le laisser tranquille. Curieusement, Franck Arnal se dit pareillement importuné. Qui est derrière tout ça ? Franck Arnal lui fait alors croire que c’est Richard Postrel, le fameux Américain, qui tire les ficelles. En effet, Postrel et Radoux, qui étaient amis, ont créé ensemble aux Etats-Unis une start’up spécialisée dans les nouvelles technologies. Or, quand Christian Radoux a voulu récupérer ses "billes" à l’étranger, Postrel n’était pas d’accord, d’où un procès dont le Français est sorti « vainqueur ». Pas de doute, le perdant en garde un vif ressentiment et veut la peau de son ex-associé ! Christian Radoux est également accusé d’avoir aidé Jennifer Postrel à divorcer en finançant son avocat.
Laquelle Mme Postrel était victime, ainsi que ses enfants, des coups et violences de son mari. Et serait devenue la maîtresse de Franck Arnal avant de s’envoler outre Atlantique - avec des diamants appartenant à son conjoint - pour une nouvelle love affair. Mais là est une autre histoire !
Bref, Christian Radoux, bien aidé par Arnal qui le manipule mentalement, finit par penser que Postrel se cache réellement derrière les menaces. « Quand Postrel était en France, je n’étais pas tranquille » avoue-t-il.
La psychose se met en route avec les éléments qui vont avec. Outre le téléphone, toutes les nuits à 2 h 15 précises, les chiens se mettent à aboyer. Dans le jardin, apparaissent des traces de pas, comme si quelqu'un avait escaladé le mur de la propriété. Le maître des lieux commence à craquer d'autant que des menaces de mort sont proférées à son encontre, toujours par la même voix anonyme. Le piège de Franck Arnal fonctionne : « Christian Radoux était en pleine parano. Il m’a dit qu’il fallait se débarrasser de Postrel, le jeter dans l’étang à écrevisses, que je devais l’aider, assurer sa protection » déclare Arnal à la barre. Réaction que Christian Radoux explique, des larmes dans la voix, par l’état de panique et d’exaspération dans lequel il se trouvait alors. Une sorte de confession publique qu’il a tenu à faire pour se libérer du poids qu’il supporte depuis ces jours maudits.
Afin que le plan entre dans sa phase concrète, « sans tuer personne » mais en soutirant des sommes substantielles au passage, Arnal contacte Zaoui. Arnal demande d’abord 450.000 euros « pour assurer la sécurité de Christian Radoux », montant ramené à 200.000 euros. Explications d’Arnal : « Moi, je ne connais rien à la protection, c’est pourquoi je me suis adressé à Saada Zaoui. Je suis un boxeur, pas un caïd. Dans l’arène, je suis un petit bonhomme, je ne vais pas à la cheville de Saada Zaoui. Là, il est dans son fauteuil, mais je l’ai vu dans sa maison de luxe d’Alger, habillé comme un avocat ». Pour faire encore monter la tension, on fait croire à Christian Radoux que des Tchétchènes et des Russes sont à sa recherche pour faire le sale boulot (personnages totalement inventés). Il y aurait un contrat sur sa tête de 1 million de dollars et les « tueurs » circuleraient dans une BMW noire…
Un million de dollars, 18 août dernier délai
Christian Radoux quitte Jonzac avec sa famille. « J'ignorais qui me harcelait ainsi. J'ai pensé qu'il valait mieux partir de mon domicile. Les appels continuaient néanmoins et la personne savait où je me trouvais. Je n'avais pas compris que mon smartphone, dont Arnal connaissait bien le numéro, et ma tablette étaient à l'origine de cette géolocalisation. Je me sentais épié, pris dans un étau. Mon entourage a rapidement compris que quelque chose ne tournait pas rond. Nous sommes partis en Espagne en espérant y trouver la paix. En vain ».
Les menaces téléphoniques se poursuivent. Il réalise que c’est vraiment grave quand, sur son écran, il voit apparaître la photo des domiciles de ses enfants à Rueil Malmaison et Wiesbaden avec le commentaire suivant : « tu as déserté ta maison. On peut frapper autrement ». Les lascars enfoncent le clou jour après jour. Le « grand » est piégé.
Au total, Christian Radoux effectue deux versements dans une chambre d’hôtel à Paris, chaque fois différente et louée par Saada Zaoui : le 3 août 20.000 euros et 6 lingots d’or, puis de 50.000 euros et de 5 lingots d’or, soit une valeur d’environ 400.000 euros (fonds qui seront en partie récupérés par la suite).
Christian Radoux commence à sentir l’arnaque quand Arnal lui présente un mail censé venir de Postrel. Manifestement, ce n’est pas l’Américain qui l’a écrit. Peu à peu, le rideau s’ouvre. Ce sont les enfants de Christian Radoux qui prennent les devants : son gendre se rend à la police de Wiesdaden et son fils s'adresse à la gendarmerie de Jarnac-Charente où Christian Radoux dépose plainte. Le service de recherches de Poitiers ouvre une enquête et place les différents « acteurs » sur écoute. Pour qu’ils cessent de nuire, la gendarmerie demande à Christian Radoux de renouer des liens avec eux. Et ça marche. Une grosse somme lui est à nouveau réclamée lors d’un troisième versement : un million de dollars, 18 août dernier délai. La voix lui donne rendez-vous, toujours à Paris, où il devra remettre la valise de billets à un endroit donné.
Il doit partir de la gare d’Angoulême avec Arnal « comme si de rien n'était ». Au dernier moment, les forces de l'ordre, parvenues à identifier les maîtres-chanteurs après une filature minutieuse, préviennent Christian Radoux qu'il n'effectuera pas le voyage dans la capitale. Le 22 août aux aurores, ils appréhendent à leurs domiciles respectifs les membres du réseau, soit Franck Arnal, Zaoui Saada et des comparses sur les régions angoumoisine et parisienne. Chez Zaoui, on retrouve les fameux téléphones dont le 07 qui servait à contacter Christian Radoux. On apprend également qu’un nouveau scénario était en cours d’élaboration : il s‘agissait de faire un photo-montage montrant Richard Postrel ligoté à Miami, son lieu de résidence…
Zaoui mal en point, Arnal repentant ?…
Dans sa plaidoirie, Me Moulineau précise que Christian Radoux n’est pas sorti indemne de cet épisode douloureux : il a eu un impact réel sur son état de santé. De terribles conséquences. Il rappelle brièvement sa jeunesse à Jonzac, son apprentissage de tonnelier et les deux années passées chez les Compagnons du devoir : « il est loyal, honnête et quand il a quitté son entreprise forte de 150 salariés et de plusieurs usines dans le monde, il était fier ». Personne ne pouvait imaginer qu’il tomberait dans les rets de deux manipulateurs de la pire espèce. « Christian Radoux est un homme ouvert aux autres, il fait une proie idéale. En 20 jours de l’été 2013, sa vie a basculé. Son honneur a été sali. Arnal a monté la tête de mon client en lui faisant croire que Postrel lui en voulait. C’est ce qu’on appelle de la manipulation mentale, le principe de la grenouille et de l’eau bouillante ».
Entre le premier SMS, que Christian Radoux ne prend pas au sérieux, et la suite, le conditionnement s’est opéré parce que tous les jours, il se passe quelque chose.
« Arnal est malin. Il s’implique également en victime, faisant croire qu’il a été suivi, agressé. En réalité, sa blessure résultait d’un combat de boxe. Il dit qu’à Tours, des Tchétchènes lui ont mis une cagoule sur la tête. Si Christian Radoux prend peur, c’est qu’il a confiance en Arnal ». L‘avocat insiste sur l’esprit obtus d’Arnal et Zaoui qui vont jusqu’à photographier les maisons des enfants : « Christian Radoux est alors dans un bocal mental dont ils ont vissé le couvercle. Les deux cherchent à lui faire faire n’importe quoi, y compris à s’en prendre physiquement à Postrel. Or, il est incapable, comme le montrent les expertises, de commettre un tel geste » .
Pour lui et comme pour la substitut du procureur, Marion Vauquelin, la connivence entre Arnal et Zaoui ne fait aucune doute, ainsi que l’escroquerie : « il est difficile de démentir la matérialité de faits. Le scénario est impensable, on comprend que la victime se soit fait prendre au piège ». En conséquence, elle requiert 3 ans de prison, dont un avec sursis, à l’encontre de Saada Zaoui, la restitution des 45000 euros dus à Christian Radoux (prélevés sur la caution de 60.000 euros versés par Zaoui pour sa remise en liberté) et 10.000 euros d’amende ; 2 ans de prison, dont un de sûreté, et 5000 euros d’amende pour Franck Arnal.
Me Jean-François Changeur, avocat de Franck Arnal |
Se tournant vers Christian Radoux, il lui présente des excuses au nom de Franck Arnal : « Vous ne méritiez pas ça, vous avez vécu l’enfer. Franck Arnal sait qu’il a perdu un employeur, un confident. A 53 ans, il veut oublier cette triste histoire. Contrairement à ce qui a été dit, il a de l’empathie pour vous ». Il vit actuellement de ses combat de boxe, ne voulant pas être au crochet de la société en percevant le RSA.
Me Eric Grosselle, avocat de Saada Zaoui, compare Arnal et Zaoui aux « pieds nickelés ». Il faut dire qu’ils n’ont pas la pointure des grandes barbouzes ! Encore qu’ils ne manquent pas d’imagination… |
Une fois le calme revenu, l’avocat explique que Saada Zaoui n’est pas à l’origine de la machination. Pour lui, il reste des zones d’ombre dans le dossier. Se tournant vers Christian Radoux, il l’interroge sur son attitude : « vous étiez en bons termes avec Postrel avec qui vous avez créé une société, puis vous avez repris votre mise. Dans ces conditions, comment vous êtes-vous retrouvé embarqué dans une telle situation avec un Américain absent de France la majorité du temps ? Parce que vous aviez gagné votre procès, vous pouviez aller à la police, ne pas donner d’argent et en parler à vos proches. Pourquoi Postrel vous en voulait-il ? Ce dossier n’est pas clair ». La réponse de Christian Radoux ne varie pas : « Franck Arnal m’a fait croire que Richard Postrel, cherchant à se venger d’avoir perdu son procès, avait mis un contrat sur ma tête et à Richard Postrel, il a dit la même chose ».
L’avocat décortique les évènements, insistant sur le rôle d’instigateur d’Arnal, cherchant à « détrousser » son employeur. Lequel Arnal croyait en Jennifer Postrel, sa maîtresse, qui l’a abandonné sans lui restituer l’argent qu’elle lui devait. Il est fort portable qu’il ne le reverra jamais… à moins qu’une enquête soit ouverte aux Etats-Unis. Ceci dit, il peut voir ses nombreuses photos sur internet !
Compte-tenu de l’état inquiétant de son client, Me Grosselle demande un aménagement de la peine, voire la relaxe : « En ce qui concerne sa santé, la justice divine est plus terrible que la sanction humaine » conclut-il.
Après quatre heures et demi d'échanges, l’audience se termine. Le jugement sera rendu le 11 avril prochain dans la matinée. Ainsi Christian Radoux pourra enfin tourner la page sur ce qui restera les heures les plus sombres de son existence…
• Les trois avocats se sont largement renvoyés la balle et l’audience a failli être être suspendue quand Me Grosselle et Me Moulineau ont élevé le ton…
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