Décédée à Royan dans la plus grande discrétion à l’âge de 99 ans, Colette Enard ne pouvait pas s’en aller comme ça, sur la pointe des pieds. D’abord, ce n’était pas son caractère et ensuite, son talent était digne d'un hommage. Dans un endroit emblématique comme le cloître des Carmes.
L’office de tourisme de Jonzac a choisi d’exposer son travail. Par admiration pour l'artiste et parce que cette femme le valait bien. Contact a été pris avec le musée de Royan à qui elle a légué une grande partie de ses œuvres.
C’est ainsi que samedi, Colette Enard a été saluée et honorée à sa juste valeur par des personnes qui l'ont appréciée et respectée. Madeleine Perrin, maire adjoint, aux côtés de Delphine Lévêque et Elisabeth Bernard, ont organisé un rendez-vous agréable à découvrir : galeries et salles accueillent les tableaux et tapisseries selon les périodes et les thèmes. Un véritable labyrinthe semblable aux pensées de notre chère Colette qui n'était pas d'une évidente simplicité !
Au premier rang, Annie Robert a exécuté cinq tapisseries de Colette Enard |
Madeleine Perrin, Claude Belot, Jacky Quesson, Christian Thomas |
Souvenirs ! |
Madeleine Perrin a dressé le portrait de Colette Enard, femme de caractère aux capacités créatives importantes, pouvant passer d'une expression à l'autre avec une étonnante facilité. Du noir de ses tourments aux joyeuses scènes bucoliques, sans oublier les oiseaux, les animaux fantastiques ou un insecte minutieusement réalisé en bas de chaque toile, petit signe de fabrique ou signature, le monde est vaste !
Colette Enard a utilisé la peinture comme un exutoire, tirant de son âme les bons comme les mauvais moments. Chacune de ses créations est une provocation à l'existence ou une incitation à un ailleurs. Pour Christian Thomas, qui l’a bien connue, elle reste un être particulier qu'on ne peut pas oublier : elle a donné à la région ce cachet qui caractérise les âmes bien trempées.
Le maire de Jonzac, Claude Belot, se souvient des riches heures de Saint-Dizant du Gua quand la visite du dimanche conduisait les Saintongeais à la découverte du château de Beaulon, de ses fontaines bleues, des tapisseries de Colette et des poteries de Claude. Un vrai village artisanal qui tirait son épingle du jeu et attirait du monde loin à la ronde.
Le premier magistrat salua l'engagement artistique de Colette Enard, « ces témoignages qu'elle laisse à la postérité, le meilleur d'elle-même ». « Je veux faire quelque chose de bien qui dure plus longtemps que moi » disait-elle. Pari tenu ! Sa famille et ses amis, présents à l'inauguration, acquiescèrent. Dans l'assistance, étaient présents Nadu Marsaudon et son épouse, M. et Mme Chambon, Jacky Quesson ou encore Annie Robert qui a réalisé cinq de ses tapisseries avec une grande habileté.
Qu sait si dans la salle, invisible mais perceptible, Colette Enard n’a pas souri à l’évocation de tous les souvenirs, libérée des contingences matérielles et allant à sa guise, ce qui a toujours été son rêve…
Tapisserie de grande taille |
Nadu Marsaudon, ami de longue date de Colette Enard |
Cloître des Carmes 05 46 48 49 29
Colette Enard : pas facile la vie d'artiste…
Interview (datant de quelques années) où Colette Enard regrettait l'ignorance dont on avait fait preuve à son égard
L'artiste Colette Enard est intimement liée à l'univers de la tapisserie et aux formidables rendez-vous qu'elle organisait autrefois à Saint Dizant du Gua. Tout près des Fontaines bleues dans lesquelles on se mire, à la recherche d'une étrange lumière. De cette commune, elle a gardé la nostalgie malgré les épreuves traversées.
Cette femme passionnante est maître artisan. Occupée à dessiner des cartons, elle a failli en oublier gouaches et huiles qu'elle avait stockées dans une grange. Des tableaux peints entre 1951 et 1964 que le public a découverts (entre autres) à la galerie « Formes » de Nadu Marsaudon qui lui a révélé le surréalisme. A cette époque, cet espace dédié aux artistes était situé dans l'un des U de Royan.
« A la fin de mon âge, l'idée me vint que mes toiles ne méritaient pas ce sort puisque la critique les saluait dès 1960 » avoue-t-elle. Leur renaissance a eu lieu à Trizay voici quelques années. Colette Enard les a présentées avec plaisir avant de remettre une grande partie de ses œuvres au musée de Royan où elle sait qu'elles seront protégées. « Les tableaux, c'est moi. Les tapisseries, c'est le boulot » dit-elle avec un regard complice.
Elle vient de publier ses mémoires aux éditions du Croit Vif "autobiographie d'une peintre surréaliste". Il y raconte sa vie jonchée d'embûches et ses rencontres inattendues avec des psys. Parce que sa mère ne voulait pas qu'elle s'en aille ; parce que son amant lui menait la vie dure. Elle parle avec franchise du monde des apparences, du politiquement correct qu'elle n'a jamais pu maîtriser et qu'elle dompte aujourd'hui avec une parole libérée. Ajoutons qu'il n'est jamais trop tard pour ouvrir un musée de la tapisserie, à Saint-Dizant du Gua ou ailleurs…
• Colette Enard, vous avez d'abord exposé vos tapisseries à Saint-Dizant du Gua, puis vous en êtes partie après des tracasseries familiales en particulier. A quand remonte votre départ ?
J'ai quitté la Saintonge depuis 12 ans. Je peux dire que j'en ai été chassée par des problèmes familiaux et des maladresses municipales de même source. La Galerie d'Art qui me devait son prestige grâce à ma réputation, aux médias intéressés par la tapisserie et aussi aux publicités qui ne profitaient pas qu'à moi, cette galerie est devenue sans moi une sorte d'épicerie estivale. Le bâtiment communal où j'avais les moyens d'implanter en 1988 un centre d'art régional important avec l'aide d'un sponsor, et d'où j'ai été éliminée, a produit des expositions de tapisseries «concurrentes» dont on connaît le piètre résultat. Gardons le moral. Quelqu'un a dit que quand on a perdu une bataille, on n'a pas perdu la guerre !
Vous vivez aujourd'hui à Bordeaux. S'agit-il d'un exil pur et dur ?
Si je vous répondais que je suis exilée à Bordeaux, ce serait trop romantique. Dans mes anciennes périodes bordelaises ou parisiennes, je revenais sans cesse à la maison familiale. Puis j'ai loué une grande habitation personnelle à Saint-Dizant du Gua dont je n'ai pas pas bougé pendant environ dix ans. Hélas, je n'y reviens plus. Je n'ai plus le droit d'entrer dans ce jardin où j'ai planté un arbre et tant de fleurs. Je revois toujours notre puits, sa pompe en bronze, les chevaux de mon grand-père qui venaient y boire une eau délicieuse que nous buvions aussi. A l'époque, les puits n'étaient pas pollués comme les esprits d'aujourd'hui. Si la vérité toute nue en sortait, elle serait couverte de pustules.
Vous n'avez pas coupé tous les liens qui vous unissaient à votre région d'origine ?
J'ai encore dans la région de bons amis et non des moindres. Mais douze années d'absence laissent le champ libre aux rumeurs les plus stupides. Ainsi, lorsque j'ai rompu avec la famille de mon beau-frère et que ma nièce Claude a retiré ses poteries de notre salle d'exposition, après mon expulsion discutable en 85, "on" a dit que j'avais cessé de produire et que j'étais finie ! Ceux que je ne voulais plus voir se prenaient-ils pour des devins ? II s'agissait d'empêcher mon public de me retrouver. Cette idiotie a été démentie par les nombreuses créations que je poursuis. L'évidence de ce mensonge aurait dû éclairer les naïfs sur la valeur de ceux qui l'ont propagé. Mais il y a plus comique ! "On" a dit que j'étais communiste, sans doute pour écarter les collectionneurs. On a même distribué des tracts - mais oui ! - propageant cette superbe connerie ! Je ne suis pas plus communiste que la Reine d'Angleterre ! J'ai autrefois été inscrite sur une liste écolo, de ceux baptisés «ni-ni» parce qu'ils ne sont ni de droite, ni de gauche, mais des écolos purs. Mes amis me connaissaient comme étant une individualiste indécrottable qui ne manque pas de critiquer sans tenir compte des couleurs des uns et des autres. Les seules couleurs qui m'importent sont celles de mes échantillons de laines !
Vos paroles sont amères. Etes-vous parvenue à oublier ces vicissitudes ?
- J'essaie. Pour me dégommer, on dit actuellement que je suis vieille. C'est très élégant ! La vieillesse ne commence plus à 60 ans. Les arts plastiques conservent longtemps leurs fidèles serviteurs et si la vie m'accorde autant d'années qu'à mes aïeules, j'aurais même le temps de faire une autre carrière.
Organisez-vous des expositions dans votre ville d'adoption?
J'ai fait à Bordeaux en décembre une présentation privée discrète, uniquement sur invitation. Ce public-là, plein d'amis, est le plus sûr.
Sur quels sujets travaillez-vous actuellement ?
- J'ai terminé la création de mes grives. Cette œuvre est un hommage à nos vignes si belles en toutes saisons. J'ai composé durant cet été la fantaisie des papillons. Ces deux dernières œuvres sont tissées à Aubusson. Je continue les modèles rares pour la tapisserie à l'aiguille. Je suis œcuménique. J'admire également la main qui brode et celle qui tisse en donnant la vie à mes dessins chiffrés.
Votre expérience ne s'arrête pas à la tapisserie ?
- J'ai toujours eu d'autres projets en dehors de la tapisserie. Mais l'obligation de gagner ma croûte dans cette profession dure m'a coincée. Cet artisanat lent est infiniment plus astreignant que la peinture.
Quelle est votre "ligne" de vie ?
Faire quelque chose de bien qui dure plus longtemps que moi !
Reviendrez-vous un jour en Saintonge ?
Probablement pas à Saint-Dizant, mais peut-être tout près. Où très loin ... Peut-être.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire