“ Nous reçûmes l'ordre de maintenir le pont Palissy en état car il était le seul susceptible de supporter des engins lourds »
Pierre Lis a été maire de Royan de 1979 à 1983 |
Été 44. « Saintes était à l'époque une cité cheminote avec ses ateliers et son arrondissement administratif. Dès 1940, les Allemands s'étaient emparés de tous les leviers de commande et avaient, avec la complicité des éléments les plus réactionnaires de la ville, imposé un maire collaborateur et qui devait en apporter rapidement la preuve. Prêt à trahir son pays pourvu que soient mis dans l'incapacité de nuire les adversaires de l'Ordre Nouveau caricaturé par le gouvernement de Vichy que présidait un vieux Maréchal qui avait su se couvrir de gloire lors d'un conflit précédent mais ne pouvait plus, en particulier à cause de son grand âge, tenir d'une main ferme les rênes du pouvoir. Le pays était sous la botte allemande et supportait de plus en plus mal les slogans qui traçaient les grandes lignes de la révolution pétainiste, dite nationale. « À mort les juifs, à mort les francs-maçons, en prison les communistes, les socialistes, les radicaux et les républicains ! Fusillez les terroristes, vive la collaboration ! » : tels étaient les termes des têtes d'affiche qui fleurissaient sur nos murs. La milice venait d'être créée par le gouvernement. La presse était complètement asservie, les informations toutes du même tuyau de lavage de cerveau. En un mot, nous étions l'occupé navré de l'être et privé de toutes libertés.
L’arme absolue, la délation
Certains - un petit nombre - avaient choisi la voie facile se rattachant au pouvoir en place. A part quelques convaincus et certains trafiquants trop heureux d'arrondir leur fortune sur la misère des autres, le plus grand nombre avait admis la défaite certaine de l'Allemagne et voyait d'un bon œil la petite poignée de résistants qui, ne voulant pas se contenter d'attendre, avait repris le combat. A Saintes, 1943 fut une année terrible. Il n'y avait pas un mouvement de résistance, mais plusieurs qui devaient être les uns après les autres disloqués et les victimes furent nombreuses. Dès septembre 1943, le mouvement "Honneur et Patrie " fut démantelé. Exécutions et déportations en furent la conséquence logique. L'organisation civile et militaire subit le même sort. Le "Front national" (1) ne fut pas épargné, le groupe "Libération Nord" connut aussi ces heures lourdes. Dès le 31 janvier 44, la grande rafle des Juifs fit date dans la population affectée dans des lieux en résidence et des cachettes. La Gestapo de Saintes, aidée de la milice, semblait être en mesure de tout détruire des forces vives de la France Libre.
Pourtant l'hydre de la Résistance voyait inlassablement se reconstituer ses tentacules. Faut-il dire que les succès de la Gestapo étaient en grande partie dus à la dénonciation ? Je peux me permettre d'affirmer cette évidence, confidence m'en ayant été faite par des Allemands et des miliciens lors des interrogatoires, après leur arrestation à la Libération. Cette bien pénible vérité me fut confirmée quand j'ai eu à prendre connaissance des archives de la Gestapo de Saintes et de tout le Département. La guerre fort heureusement évoluait et la victoire des Français et des alliés ne faisait plus aucun doute. Saintes fut bombardée à deux reprises : le 24 juin 1944 par les Anglais et le 14 août de la même année par les Américains.
J'ai eu en compagnie de mon épouse le redoutable honneur de préparer et de transmettre à Londres les premiers plans de la ville sur lesquels j'avais - après les avoir repérés - marqué tous les points forts des défenses allemandes. Pendant ces premiers mois de 1944, le Comité départemental de Libération se constituait sous la présidence de Roger Faraud. Je devenais son bras droit pour Saintes.
Toutes les opinions y étaient représentées. Ainsi je travaillais avec mon regretté camarade Altheneau, inspecteur SNCF, membre du parti communiste, Guillot, Rullier chef du PC et bien d'autres encore (2). Il fallait prévoir non seulement la prise du pouvoir, mais aussi l'organisation des services dès la Libération. Et tout cela sans éveiller l'attention de l'occupant et de ses complices. Il faut dire que nous avons été puissamment aidés par le sous-préfet de l'époque, Lafont de Sentenac, qui lui aussi avait fait son choix, et qui serait, au lendemain de la Libération, le seul sous-préfet du département à être maintenu en place. Je voudrais également rendre hommage aux gendarmes, policiers de Saintes qui, dans leur immense majorité, ne pouvaient plus ignorer notre action et cherchaient bien au contraire à la faciliter. C'était pour nous un avantage sans pareil, nous en avons largement usé. Au Tribunal, le président était des nôtres comme bon nombre des magistrats du Siège.
La Liberté est en marche
Il fallait, tout en assurant le transport des armes que nous avions récupérées, trop peu nombreuses hélas, distribuer journaux clandestins et ceux rares encore qui, par tous moyens, commençaient à nous parvenir de Paris libéré. Inutile de préciser que nous suivions pas à pas l'avance des armées alliées sur le front de Normandie. Il convenait donc de préparer, au fur et à mesure que les événements se précipitaient, la presse de demain, stocker du papier, ce qui n'était pas facile, trouver un imprimeur qui veuille bien prendre des engagements pour le jour J. Merci M. Delavaud de nous avoir fait confiance ! Et puis voilà que nous assistions à un spectacle assez réjouissant. Se dirigeant - si l'on peut dire - dans tous les sens, nous observions les troupes allemandes qui cherchaient à faire retraite. Quelle différence avec l'armée de la victoire ! Je revoyais quant à moi l'exode de 1940, mais les vaincus à ce moment-là n'étaient pas les mêmes. L'effectif des troupes d'occupation diminuait chaque jour et quelques commandos de résistants musclés aidaient à la débâcle. Le grand pont de Saintes avait été miné (3). Nous reçûmes l'ordre de le maintenir en état, car il était le seul susceptible de supporter des engins lourds ayant besoin de traverser la Charente. C'est au grand jour que les trains furent bloqués en gare et chaque nuit grâce à nous tous, des machines étaient détruites là et ailleurs. Angoulême, Cognac sont libérées, voici notre tour !
Quand les premiers éléments militaires français - ceux de la brigade RAC - arpentèrent le cours National accrochant au passage les derniers groupes ennemis - qui n'avaient plus envie de se battre, il faut le dire -, nous sûmes que Saintes, le 2 septembre 1944, était enfin libéré. Ce fût bien sûr une explosion de joie populaire. Mais comme tout à coup nous étions nombreux... Dans un bâtiment proche de l'Hôtel de ville, je réunissais les membres présents du comité de Libération afin de confier à chacun la mission qu'il savait être la sienne. Des drapeaux français - sortis on ne sait d'où - flottaient aux fenêtres, à toutes les fenêtres, même à celles des collaborateurs les plus marqués. Les passants se trouvaient tout à coup pourvus d'uniformes rutilants dont certains sentaient, à mon avis, un peu trop la naphtaline... Chacun se sentait apte au com-mandement maintenant que le danger semblait écarté. Mettre de l'ordre était de plus en plus nécessaire à chaque heure qui s'écoulait. C'est alors que quelques camions allemands, bien pourvus en hommes et en matériel, cherchèrent en arrivant par la route de Marennes à reprendre la ville.
Après ces terribles combats, la population retrouvera la sérénité et fêtera la libération (photo archives) |
Après la libération. Sur le Square du palais de Justice, aux côtés du Général de Gaulle, Roger Faraud à droite ; sur la gauche, le préfet Lafont de Sentenac et le commandant Meyer (photo archives). |
Pierre Lis, résistant, haut fonctionnaire, secrétaire de l'office régional des anciens combattants |
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