Le Muséum d'histoire naturelle de La Rochelle relate cet événement particulier dans une exposition "Cristallographie, Fleuriau de Bellevue et la géométrie de minéraux" à découvrir jusqu'au 15 janvier 2015. L'une des météorites tombées dans les environs de Jonzac y est présentée.
Ce matin-là, il faut beau sur la Saintonge. L’horizon est calme et sans nuages. Les paysans du coin s’apprêtent à faire les fauches. L’été arrive et à Paris, Louis XVIII est au pouvoir. Malgré les soubresauts de l’histoire, les campagnes vivent au rythme immuable des saisons. Pourquoi en serait-il autrement ? Les hommes qui s’agitent n’ont jamais influencé la pousse des blés.
On comprend la crainte des habitants face à une avalanche de pierres... |
Mme Mathieu, dont les aïeux ont été contemporains de l’événement, admet que sa famille n’a rien oublié : « on se raconte les faits de génération en génération. Vraiment, ils pensaient que c’était la fin du monde. Ils ont entendu des bruits très violents qui ressemblaient à plusieurs batteries de canons. Ils ignoraient de quoi il s’agissait. Par la suite, ils ont constaté que des pierres étaient tombées autour de chez eux. Ils en ont ramassé. Mon père les a conservées, il les appelait les pierres de lune et disait : c’est précieux, elles viennent des fins fonds de l’univers. Ceci dit, il s’en servait pour caler ses barriques ! ».
Bien sûr, une enquête sur ces faits extraordinaires est aussitôt diligentée par le préfet, le baron de Lachadenède. Elle est confiée à un savant rochelais, Fleuriau de Bellevue, qu’il presse d’écrire une notice « provisoire » dans le journal du département (article publié en août).
L’intéressé se rend sur le terrain afin de rapporter des échantillons et d’y rencontrer des témoins. Lesquels sont encore sous le choc. Il juge d’ailleurs leurs réponses incomplètes malgré « ses instances réitérées ». Tels des globes de feu, à quoi rassemblaient donc ces « bolides » venus troubler la quiétude saintongeaise ?
"La météorite de Jonzac" exposée au Muséum d'histoire naturelle de La Rochelle (photo N. Bertin) |
De la tectite (photo N. Bertin) |
On crut que le magasin de poudre de Saint-Jean d’Angély venait de sauter
Le rapport de Fleuriau de Bellevue est intéressant car il donne de nombreuses précisions. Il en fait lecture devant l’Académie Royale des sciences le 26 juin 1820.
En voici des extraits : « Les habitants de sept communes du départ tellement de la Charente inférieure furent témoins l'an dernier d'un phénomène qui est toujours fort extraordinaire quoiqu'il se manifeste de temps à autre dans diverses contrées. Des pierres, tombées dans l'atmosphère, présentèrent de nouveaux caractères qui me parurent propre à jeter quelque jour sur les nombreux mystères de ce genre de phénomène. Le 13 juin 1819 à 5 h 45 du matin, il tomba dans l'arrondissement de Jonzac une grêle de pierres. On entendit d'abord un coup d'une force moyenne, mais très sec, ensuite un long roulement avec des craquements et comme un bruit de mousqueterie qui dura une minute ou deux et se termina par deux détonations, coup sur coup, dont la dernière fut d’une extrême violence. Un laboureur a comparé les craquements successifs au bruit que feraient plusieurs sacs de noix qu’on jetterait les uns sur les autres. Cette chute eu lieu sur les communes d’Archiac, Saint-Eugène, Moings, Saint-Martial de Vitaterne, Allas-Champagne, Brie-sous-Archiac et Saint-Ciers Champagne. L’espace sur lequel ces pierres sont disséminées forme une sorte de triangle dont le grand côté a plus de six mille toises de longueur du nord-est au sud-ouest. Le sifflement que leur chute occasionna dans l’air fut entendu de plusieurs personnes ; des ouvriers reconnurent que ces pierres les avaient mutilés. La plus grosse d’entre elles pèse six livres (12 kilos), d’autres quatre et la plupart sont petites. Les unes et les autres sont tombées à peu près également au nord comme au sud. Le lendemain, on en trouva une qui avait fait un trou dans la terre et semblait avoir brûlé l’herbe qui l’entourait. La dernière détonation retentit avec tant de force qu’elle fut entendue de Marennes, à Blaye et jusqu’à 20 lieues de distance près de Niort.
On crut à Angoulême et à Mauzé que le magasin à poudre de Saint-Jean d’Angely venait encore de sauter. Plusieurs personnes aperçurent un météore lumineux juste après la première détonation. Il était irrégulier dans son contour et avait la forme d’un rectangle allongé. Selon un paysan, c’était comme deux draps blancs mis bout à bout. Son écart était faible, mais il était entouré de fumée et le soleil, élevé depuis deux heures, en diminuait l’impression. Sa couleur était d’un blanc un peu grisâtre. Il parut d’abord dans le Nord et marchait avec une rapidité surprenante vers le Sud. Il était élevé de 50 à 60 degrés au dessus de l’horizon au moment de la première détonation et se dissipa en fumée après avoir atteint le zénith où se firent les deux dernières explosions. Deux de ces pierres ont été remises au Baron de Lachadenède, préfet du département. L’une d’elles, dont il a fait présent au cabinet d’histoire naturelle de La Rochelle, est tombée à Saint-Martial, près de Jonzac. Elle pèse quatre livres et présente à peu près la forme d’un cône surbaissé.
J’ai vu huit de ces pierres. Toutes sont de même nature et absolument distinctes quant à leur aspect et leur contexture. Elle sont semblables aux autres météorites, aérolithes ou météorolithes tombées dans d’autres pays. Elles diffèrent cependant de la plupart par des dispositions particulières qu’il est important de remarquer. Leur pesanteur spécifique est inférieure. Toutes sont en fragments avec des arêtes tantôt vives, tantôt arrondies. Certaines faces montrent des enfoncements alvéolaires. Ces pierres sont couvertes d’une croûte qui a l’apparence d’un vernis noir très luisant. Elles se composent en deux couches en quelque sorte : l’une d’un brun noirâtre mat et opaque et l’autre superficielle ne formant qu’un vernis vitreux. Leur composition présente un agglomérat cristallin de deux substances au moins, l‘une d’un beau blanc mat, l’autre d‘un gris verdâtre très foncé ».
Ces détails montrent le nombre important de pierres tombées ce jour-là dans la nature. La roche dont elles sont constituées s’appelle « eucrite », proche des basaltes lunaires et probablement constituée des mêmes matériaux que certains des astéroïdes qui circulent aujourd’hui entre Mars et Jupiter.
Gardienne des météorites !
Mme Mathieu avoue que sa vie a entièrement gravité autour des météorites. Et pour cause, sa famille fut le témoin privilégié de cette grêle : « mon père me disait de respecter ces pierres parce qu’elles venaient du cosmos ». Elle ignorait que son mari, déjà féru d’astronomie (il avait installé un observatoire à domicile) allait lui aussi succomber au phénomène : « il lui arrivait souvent de regarder les constellations. Un soir, il a vu une émission sur les météorites à la télévision. Quand je lui ai raconté l’histoire familiale, il a tout de suite été intéressé ». Il recueille alors des fragments, pieusement conservés, qu’il fait analyser au laboratoire de physique de Paris.
Les résultats sont clairs : il s’agit de chondrite et d’achondrite, autrement dit de matériaux extraterrestres.
Bagues dont les pierres sont des météorites (photo N. Bertin) |
Météorite sculptée par M. Mathieu (photo N. Bertin) |
Le couple, qui souhaite élargir ses connaissances, se rend en Normandie où est tombée une météorite à l'Aigle en 1803. « Mon mari m’a transmis sa passion. Mes ancêtres ont vécu une histoire extraordinaire dont je suis aujourd’hui la gardienne. Ces pierres venues de l’infiniment grand, que nous avons du mal à imaginer, nous rendent admiratifs. Quand mon époux parvenait à faire des photos de Saturne ou d’autres planètes, nous réalisions combien notre position sur la Terre est fragile ».
Mme Mathieu a accepté de nous présenter sa plus jolie pièce, cette météorite qui semble dire : « des millions d’années nous séparent et pourtant, par le plus grand des hasards, je suis venue jusqu’à vous parce que vous ne seriez jamais venus jusqu’à moi »…
Reportage/photos Nicole Bertin
Une météorite tombée dans la région de Jonzac (photo N. Bertin) |
• La majorité des météorites proviennent de petits corps célestes du système solaire appelés météoroïdes. Elles sont plus rarement produites par l'impact de gros astéroïdes. Les formes des météorites tombées sur la région de Jonzac varient beaucoup. Selon les observations de Fleuriau de Bellevue, elles ressemblent à l’une des pierres tombées à Stannern en Moravie en 22 mai 1808.
• Louis-Benjamin Fleuriau de Bellevue (1761-1852) est né à La Rochelle dans une famille protestante. Dès l’âge de 20 ans, il fait des observations météorologiques et l’Académie de la Rochelle le charge de l’inventaire et de la réfection du cabinet de Clément Lafaille. A partir de 1787, il voyage pour parfaire sa formation de géologue en Italie et dans les Alpes avant de revenir dans sa ville natale. Savant géologue reconnu, il participe à la vie politique du département (membre du conseil général de Charente Inférieure pendant 49 ans, du conseil municipal pendant 48 ans et dix ans député). En 1835 il co-fonde la Société des Sciences Naturelles de Charente-Inférieure avec la création du musée départemental qui deviendra en 1895 l’actuel Muséum (qui abrite la majeure partie de ses collections d’histoire naturelle et d’ethnographie ainsi que sa bibliothèque). Il est également correspondant de l’Académie des sciences (section de minéralogie). En 1805, il publie un mémoire intitulé « Mémoire sur l’action au feu dans les volcans ou sur divers rapports entre leurs produits, ceux de nos fourneaux, les météorites et les roches primitives », puis un autre « sur les cristaux microscopiques et en particulier sur la séméline, la mélilite, la pseudo-sommite et le selce-romano » en 1817. S’il ne fait pas l’unanimité en France, Charles Darwin cautionne ses travaux. Outre les recherches qu’il a faites sur les météorites de Jonzac, Fleuriau de Bellevue s’est intéressé à la forêt fossile sous-marine de l’Île d'Aix. Son père était un grand ami de Charles d’Orbigny.
Fleuriau de Bellevue |
Les travaux de Fleuriau de Bellevue sur les météorites de Jonzac |
• La plus grosse météorite est tombée le 12 février 1947 dans les montagnes de Sikhote-Aline en Russie. Pesant environ 100 tonnes, elle s'est fragmentée en de nombreux morceaux dont le plus massif a lui-même été brisé lors d'une violente explosion. Plus récemment, la ville de Tcheliabinsk, dans l'Oural, a été atteinte par la désintégration d'une météorite, provoquant 1 000 blessés.
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