En effet. L'amphithéâtre de Saintes, c'est le livre de notre histoire bimillénaire à
respecter et à préserver contre les outrages du temps et des rêves
chimériques de grandeur.
La
mémoire est une chose formidable. Il y a plus de trente ans, un ami
saintais me montra d’anciens clichés sur plaque de verre représentant
notre ville et plus particulièrement l’amphithéâtre de Saintes que
beaucoup de Saintongeais nomment « les arènes ». Datant de 1907 ou de
1908, on y voit des travailleurs creusant le plateau de l'amphithéâtre pour
en sortir la terre. Ils s’aident pour cela de rails en fer et de
wagonnets pour un désenfouissement impressionnant. Et tout se termine
par une grande fête lorsque le travail est enfin terminé. Sans être
archéologue ni connaisseur de ce genre de travaux, les photos de Jacques
Triou parlent d’elles-mêmes et montrent l’enthousiasme des ouvriers
comme celui des nombreux participants à la fête. De nombreuses autres
suivirent car cette salle de spectacle à ciel ouvert venait fort à
propos.
Que dire des dégradations faites à l’édifice ? Des
gradins de fortune s’entassant de manière désordonnée ? Il est vrai que
la notion de sécurité, il y a de cela cent ans, était très
approximative.
Et à présent, en 2017, on parle avec fureur de
dégrader l’amphithéâtre en transformant ce livre d’histoire grand ouvert
sur notre passé commun avec des gradins pour accueillir plus de 5000
spectateurs venus écouter des opéras. Eh bien non !
• Vous semblez hostile au projet de Jean-Philippe Machon ?
Je suis citoyen saintongeais et j’aime cette ville de Saintes qui m’a beaucoup donné et dont j’ai beaucoup reçu. Il semblerait que cette
« nouveauté » décidée par le premier édile de la ville vise à attirer le tourisme. Non, mille fois non ! L’amphithéâtre n’est pas Disneyland ni le Puy du Fou ! Quel outrage, quelle dérision !
Dégrader (il n’y a pas d’autre mot) un tel lieu pour satisfaire un égo fort démesuré me hérisse au plus haut point ! La culture ne s’appréhende pas de cette manière. Et puis quoi, il semblerait que les décisions à venir sont actées depuis longtemps, que tout est lancé et que quoi nous disions, cela se fera. Sommes-nous dans un pays où le citoyen a le droit de s’exprimer ? J’en doute fort à présent. Quels seront les coûts ? Combien de spectacles à l’année ? Car ne nous y trompons pas, on commence par installer des gradins soit disant ajustables, non définitifs, que les générations à venir pourront décider de conserver ou non. Mais la génération qui refuse cet acte inouï, c’est la mienne et elle s’élève en disant non avec fermeté. Non.
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Didier Catineau, défenseur du patrimoine |
• L'association Médiactions est forte d'une pétition réunissant plus de 7000 signatures...
Elle circule actuellement sur internet et rassemble
plus de 7000 signatures venant de tous les endroits de France pour
dire à quel point la notion de patrimoine et sa préservation sont
devenus des sujets de préoccupation majeure. Ces 7000 signatures ne sont
pas l’émanation d’un complot, de gens de connivence achetés pour
l’occasion afin de faire nombre et pression. Vous qui décidez de ce
projet, posez-vous véritablement les bonnes questions et écoutez au lieu
de mépriser ! Regardez mieux les clichés illustrant ces propos.
Quelle leçon pour nous qui cent ans après nous apprêtons à dénaturer
une page entière de notre histoire.
Je l’ai déjà dit, je ne suis
pas archéologue, juste un Saintongeais révolté tenant à faire connaitre
son désarroi et sa colère également. On ne doit pas toucher à
l’amphithéâtre et les projets fumeux concernant la
« valorisation »
devraient plutôt se tourner vers le tissu industriel, commerçant de la
ville. Il faut trouver des idées, innover, c’est pour cela que l’équipe
municipale a été élue. Qu’elle ne l’oublie pas. Qu’elle n’oublie pas non
plus qu’il faut parler aux Saintongeais, leur expliquer, les
convaincre, faire en sorte qu’un tel projet soit porté par tous et non
pas par une seule personne (ou à peu près) portant sa propre vérité et
désirant inscrire son nom pour l’éternité sur le mur des hauts faits.
J’ai lu que le premier édile était fils de cheminot et petit fils de
cheminot. La belle affaire. Est-ce pour dire aux Saintais qu’il est
proche d’eux ? Je suis moi-même fils de cheminot, petit fils d’un
agent de police municipale saintais mort pour la France en 1944 et
arrière-petit fils d’un cultivateur métayer à Saint Vaize et Chaumet les
Violettes. Est ce qu’on me regardera différemment en écrivant cela ?
Ce qui compte, c’est ce que l’on fait pour défendre sa
« petite patrie »
et pour l’heure, je crains bien qu’il ne soit nullement question de
défense. Notre patrimoine est attaqué de vilaine manière et il faut bien
qu’il y en ait comme moi qui se lèvent pour crier très fort ce refus
viscéral d’atteinte à nos racines.
On m’objectera que pour
quelques gradins dans un amphithéâtre, c’est beaucoup de bruit pour peu.
A nouveau, je dis non. Quel en est le coût pour le contribuable ? Qui
nous garantit qu’il n’y aura pas d’autres projets encore plus
«
fantaisistes » déjà en route ? Dans le vallon des arènes, les arbres en
pleine santé sont coupés pour dégager la vue, les abords. On travaille
en sourdine au grand projet. On reporte des rendez-vous, on esquive, on
ne veut rien dire et en fait, de cette manière, on amène le citoyen, par
découragement, à la solution qu’il ne souhaite pas, au fait accompli. Je me sens un devoir de transmettre l’héritage de ma ville aux
générations qui viendront après moi. Et quand j’écris
« transmission »,
c’est dans le sens total du terme. Transmettre sans détériorer : une
priorité.
• Dans le passé, des hommes célèbres sont montés au créneau pour défendre le patrimoine, Pierre Loti au château de la Roche-Courbon ; Victor Hugo de passage en Saintes qui s'offusque en découvrant la destruction du pont ancien et le sort qu'on veut réserver à l'arc dit de Germanicus. Vous servent-ils d'exemple ?
Victor Hugo, en son temps, dénonça de telles pratiques
et clama haut, fort et loin qu’il fallait faire la guerre aux
démolisseurs :
« Il faut arrêter le marteau qui mutile la
face du pays. Une loi suffirait. Qu'on la fasse. Quels que soient les
droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et
monumental ne doit pas être permise à d'ignobles spéculateurs que leur
intérêt imbécile aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si
imbéciles qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont des barbares ! Il y a
deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage
appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à
nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit » (Victor Hugo, "Guerre aux démolisseurs", Revue des deux mondes, 1er mars 1832).
Victor Hugo était un fervent défenseur du patrimoine historique de
Paris. La cathédrale Notre-Dame de Paris était vouée à la destruction et
elle retrouva un regain d'intérêt lors de la sortie du livre
"Notre
dame de Paris » en 1831. De plus, il s'opposa fermement à la
destruction des arènes de Lutèce (qui datent du 1er siècle de notre ère)
lors des travaux du baron Haussmann.
Que serait devenu l’arc de
Germanicus, dont on va fêter en 2018 et 2019 les 2000 ans d’existence,
sans l’intervention de Victor Hugo en 1843 auprès de Prosper Mérimée
alors qu’il était inspecteur des monuments historiques de France ?
On démolit l’amphithéâtre de Saintes et on ne devrait pas s’y opposer ?
Ici, c’est la Saintonge et en Saintonge, on prend le temps. Une ville
ne se gère pas comme une entreprise. Une ville a une âme, une histoire
et des témoins de son histoire. Renoncer à cela c’est se précipiter dans
le néant.
Des fouilles préventives sont effectuées actuellement.
C’est la moindre des choses ! Mais que va-t’il se passer après ? Est-ce
que nous serons entendus, associés aux décisions, aux réflexions ? Tout
est question d’intelligence, de dialogue, de compréhension. Le reste
est méprisable à l’excès.
L’outrage du temps fera son œuvre car
pourquoi faire de tels travaux de gradinage alors que l’on sait que tout
le reste de l’amphithéâtre est en très mauvais état de conservation et
mériterait des renforcements inévitables, des travaux salutaires. On ne
peut pas considérer ce lieu comme un écrin historique permettant
l’exécution de spectacles en plein air basés sur le nombre, le profit
sûrement aussi au détriment de la préservation qui nous incombe à tous
en tant que locataire dans cette vie de là où l’on vit.
• En conclusion ?
Halte aux
démolisseurs, respectons notre cadre de vie pour nos enfants et
laissons de notre passage sur terre des traces dignes de nous...
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Pour déblayer la terre, d'ingénieux wagonnets ! |
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Premières fêtes dans l'amphithéâtre |
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Il fut une époque où le quartier n'était pas construit... |
• Les photos en noir et blanc
proviennent d’un fonds privé et sont soumises à un Copyright ©
Collection Jacques Triou – Propriété Crédit images Didier Catineau.
• On peut partager ces documents pour montrer des
documents rares mais, en aucun cas, il n’est possible de les séparer et
surtout de les utiliser à titre individuel pour quelque raison que ce
soit sans autorisation préalable.