mardi 16 août 2016

L'Académie de Saintonge en deuil :
Jean Mesnard, l'un des spécialistes
de Blaise Pascal, n'est plus

Natif de Champagnac, Jean Mesnard est décédé le 9 août dernier à l'âge de 95 ans. Ses obsèques ont été célébrées le 12 août en l'église Notre-Dame-des-Anges de Bordeaux en Gironde. Professeur à la Sorbonne, ce spécialiste de Pascal fut président de la Société des Amis de Port-Royal, président de la Société d'étude du XVIIe siècle et membre de l'Académie des Sciences morales et politiques. Il convient d'y ajouter l'Académie de Saintonge dont il suivait les travaux avec attention. 

Jean Mesnard et Danièle Sallenave de l'Académie Française 
lors d'une cérémonie de l'Académie de Saintonge à Saintes (© Nicole Bertin)
Cher Jean, quel plaisir de vous avoir rencontré. Quelle finesse d'esprit ! Et quelle analyse aussi, associant pertinence, profondeur et ce bon sens que vous teniez sans doute de vos origines saintongeaises, étant natif de Champagnac où vous possédiez une maison de campagne.
A l'Académie de Saintonge, vous avez incarné et représenté, avec Jean Glénisson en particulier, la génération des hommes lettrés et bienveillants, toujours prêts à transmettre la connaissance. Chercheurs qui animaient des conférences, préparaient des expositions et publiaient des ouvrages de qualité. Une génération qui accueillait, comme autrefois les maîtres, tous les apprentis soucieux d'apprendre.
Désormais, vous êtes de l'autre côté du miroir et vous allez nous manquer. Connaissant votre altruisme, vous saurez nous accompagner comme au temps d'avant, quand arrivant de Paris, vous preniez place parmi les Charentais-Maritimes dont vous partagiez les racines. Haute stature, chevelure blanche, regard bleu et cette infinie gentillesse qui restera en nous comme le plus joli des souvenirs.
Reposez en paix en ce ciel infini et, qui sait, y retrouverez-vous Pascal qui fut votre ami durant des décennies...

Jean Mesnard : Blaise Pascal 
« et personne d’autre » !
Portrait publié en 2008

On dit souvent que la Saintonge est une terre propice à l’éclosion des talents. Parmi eux, figure Jean Mesnard, professeur de la littérature du XVIIe à la Sorbonne, qui a consacré l’essentiel de ses recherches - ou à peu près ! - à l’un des plus grands écrivains et savants français, Blaise Pascal. Après avoir publié de nombreux ouvrages à son sujet, il a rédigé « les œuvres complètes de Pascal » qui resteront malgré tout inachevées avec quatre volumes sur sept prévus initialement. Un travail immense...

A gauche, Jean Mesnard et Jean de Mathan, 
propriétaire du château de la Bristière
Homme discret et passionnant, Jean Mesnard a vu le jour près de Jonzac. Champagnac et le hameau de chez Bézie, où vivent ses cousins, sont gravés dans son cœur. « Dès que je le peux, je reviens dans le village de mon enfance » avoue-t-il.
Les souvenirs de jeunesse se bousculent dans sa mémoire. Contrairement à ses proches qui travaillaient dans le cognac, son père Raymond, natif de Clérac dans le Sud Saintonge, avait fait carrière dans les Postes et Télécommunications. Il termina ce parcours sans faute comme receveur principal de la Seine : « je revois son grand bureau, rue du Louvre ». 
Vivant au rythme des mutations, la famille Mesnard revenait au "pays" dès qu'elle en avait l'occasion. Surtout quand les événements étaient heureux. « Pour ma mère, il n’était pas question de me donner naissance ailleurs qu’à Champagnac. Pourtant, à l’époque, mes parents habitaient Laval » remarque Jean Mesnard avec un sourire, « nous avons beaucoup bourlingué,  la banlieue parisienne, Angoulême, Rennes, Bordeaux, Paris ».
Dans la capitale girondine, il suit des études brillantes qui le conduisent à l'Ecole Normale Supérieure. « J’aime la ville, mais la campagne m’attire aussi. Pendant la guerre, j’ai été paysan, mon oncle ayant été fait prisonnier. Je me suis rendu compte que cette expérience concrète de la terre, cet appui sur le réel, étaient perceptibles dans les comportements. Il y avait ceux qui les possédaient et... les autres. Malheureusement, les premiers sont de moins en moins nombreux »...
En 1946, Jean Mesnard obtient son agrégation. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, il épouse Suzanne avec qui il partage le goût de la littérature. « En 1947, j’ai obtenu un poste d’assistant à la Sorbonne. C’est là que j’ai découvert combien il était utile d’habiter Paris quand on entreprend des recherches historiques ». En 1951, son premier livre sur Pascal  - traduit en cinq langues - lui ouvre les portes des éditeurs, détail qui a son importance.

« Pascal ne raisonne pas comme les autres »

Pourquoi Jean Mesnard préfère-t-il Pascal à Montaigne ou à Descartes ? La question l’amuse visiblement. Une complicité secrète semble lier ces deux hommes que séparent plusieurs siècles. « Dès le lycée, j’ai été frappé par la qualité de sa pensée, son langage et son style. Son mode de raisonnement, singulier, est difficile à saisir. Essayer de le comprendre est excitant ».
Précis, Pascal ne voulait rien admettre qui ne pût être vérifié par l‘expérience. Il était un matheux surdoué, assurément. Pour faciliter le travail de son père, administrateur des finances, il inventa la « machine arithmétique », ancêtre de la machine à calculer, et écrivit un traité sur les coniques à l’âge de 16 ans.
Séduit, Jean Mesnard est intarissable sur Pascal qui était doté d’un redoutable don de l'observation. Ses définitions n’ont pas pris une ride. Le « demi-habile » reste « celui qui sait quelque chose mais qui ignore qu’il ne sait pas tout » tandis que « l’habile sait quelque chose en sachant que ce n’est pas tout ». Le sujet est inépuisable.
Néanmoins, une interrogation subsiste :  l’engagement religieux de Pascal n’a-t-il pas retenu et limité sa puissance scientifique ? En effet, après une nuit d’extase mystique, le 23 novembre 1654, il décida de se consacrer à Dieu et à la piété. Prenant parti pour les Jansénistes, comme sa sœur qui se retira à Port Royal en 1652, il s’opposa alors aux Jésuites. Jean Mesnard estime que cette foi n’a pas restreint le champ de ses recherches : « Pascal est un formidable inventeur d’expériences ».
Faisant preuve d’une audace et d‘une indépendance d’esprit exceptionnelles, il démontra - comme l’avait fait Galilée en Italie - que certaines des théories d’Aristote, "cautionnées" par l’Eglise, n’étaient pas exactes. Lors d’une expérience au Puy de Dôme, il prouva que l’air est pesant. En 1648, il rédigea un mémoire sur l’équilibre des liquides avant de se pencher sur le calcul des probabilités et les méthodes infinitésimales.
Sa curiosité était vaste. A Paris, Pascal créa le premier transport collectif urbain qu’on appelait « les carrosses à cinq sols ». Il élabora les lignes, les correspondances, fixa les horaires. Seul inconvénient, le système, un peu onéreux, n’était réservé qu’aux utilisateurs fortunés. Mais l’idée était bonne et depuis, elle a fait son chemin !

Jean Mesnard : une belle existence de Champagnac, où il a vu le jour, à Paris !
« Le premier à localiser les domiciles de Pascal à Paris »

En choisissant Pascal « et personne d’autre », Jean Mesnard a cherché à connaître ce personnage sous ses différentes facettes. « J’ai lu les écrits et témoignages le concernant, contemporains,  famille, échos dans la littérature. Une source était peu exploitée, celle des Archives notariales. Or, soixante actes environ portent sa signature, successions, prêts d’argent ».
Grâce à ces documents, Jean Mesnard s’est transformé en détective. Il est parvenu à localiser les adresses successives de Pascal dans la capitale : « je suis le premier à l’avoir fait. Ses maisons étaient situées rue de la Tisseranderie, actuelle rue de Rivoli, rue neuve Saint-Lambert (rue de Condé), rue Brise-Miche, rue de Touraine dans le Marais ». Selon ses états de fortune, l'intéressé déménageait et il eut des voisins célèbres. Ils habitaient les mêmes quartiers pour reprendre une expression actuelle. Dans un ouvrage, Jean Mesnard a mentionné cette topographie des maisons. Par ailleurs, dans la thèse qu’il a soutenue en 1965, il a expliqué et détaillé les relations que Pascal entretenait avec le duc de Roannez, gouverneur du Poitou : « Pascal avait projeté de lui rendre visite, mais le voyage n’a pas eu lieu ». 

Depuis le début de sa carrière professionnelle, Jean Mesnard voue au génial Pascal une admiration qui n’a jamais failli. Le premier volume des « œuvres complètes de Pascal » est paru en 1964. Les trois derniers sont en attente dont deux traiteront des fameuses « Pensées » et des « Provinciales ».
Membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, des Académies de Bordeaux et de Saintonge, Jean Mesnard est un historien occupé qui écrit quand il n’est pas invité à un colloque en France ou à l’étranger. « Je crois que des éléments nouveaux concernant Pascal peuvent encore être trouvés. J’en suis persuadé. Le dictionnaire de Port Royal est en cours de réalisation et j’ai le projet de réunir les articles que j’ai faits sur la culture du XVIIe siècle en un second tome. Le premier remonte à 1992. Je remarque que Pascal est l’un des hommes dont les citations sont le plus souvent reprises dans les discours ».
Dès que son emploi du temps le permet, Jean Mesnard vient à Bordeaux où habitent une partie de sa famille et à Champagnac, « l’attache sentimentale ». Confidence pour confidence, il y restaure une maison. Aux dernières nouvelles, il aurait fait procéder à des aménagements qui permettront à son son matériel informatique de fonctionner aussi bien en Saintonge que dans la capitale !
Peut-être animera-t-il une conférence lors de la prochaine session de l’université d’été ? Il n’est pas interdit de le penser. Devinez-en le sujet...

NICOLE BERTIN


• De Pascal, Voltaire disait qu’il était un « misanthrope sublime né un siècle trop tôt ». Pour l’américain Julien Green, pas de doute, « Pascal est le plus grand des Français ». Un bel hommage...

• Mort très jeune, à l’âge de 39 ans, Pascal reste éternellement jeune dans les esprits. « Il est de notre époque comme il fut de la précédente » reconnaissent les spécialistes.

• Extraits des Pensées de Pascal

- Voulez-vous qu’on croie du bien de vous ? N’en dites pas.

- Entre nous, et l’enfer ou le ciel, il n’y a que la vie entre deux, qui est la chose du monde la plus fragile.

- La coutume est une seconde nature qui détruit la première. Mais qu’est-ce que nature ? Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ? J’ai grand peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.

- Pensée fait la grandeur de l’homme.

- L’homme n’est qu’un roseau le plus faible de la nature mais c’est un roseau pensant.

- L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête.

- D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas, et qu’un esprit boiteux nous irrite ?  A cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons ; sans cela, nous en aurions pitié et non colère...

- Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un meilleur principe, ni leur fin ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu’à l’infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L’auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne peut le faire.

- Il n’y a que trois sortes de personnes : les unes qui servent Dieu, l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher, ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux, ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

- Les hommes prennent souvent leur imagination pour leur cœur et ils croient être convertis dès qu’ils pensent à se convertir.

- L’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui, par l’état propre de sa complexion, et il est si vain qu’étant plein de mille choses essentielles d’ennui, la moindre chose, comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir.

- Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère et l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux, de n’y point penser.

- Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles, où elles n’ont pas de rapport. Ils sont vus, non des yeux, mais des esprits ; c’est assez...

1 commentaire:

Anonyme a dit…



Quels beaux articles, variés, intelligemment traités et bien illustrés! et quel travail !