samedi 6 août 2016

Ahmed Attaher, créateur de bijoux touaregs au Niger, tire la sonnette d'alarme :
« Le terrorisme menace la transmission
de savoirs ancestraux »

L'été, Ahmed Attaher se rend en France. Lundi, avant de rejoindre Paris, cet artisan d'art, issu d'une lignée de bijoutiers touaregs, a fait étape à Royan. L'occasion de parler de son travail, bien sûr, mais aussi des difficultés que rencontre son pays, le Niger, victime de Boko Haram. Les enlèvements de jeunes filles et d'enfants y sont nombreux, sans compter les massacres et les pillages. La population vit dans la peur. En France, seule la presse spécialisée s'en fait l'écho…

Ahmed Attaher, bijoutier touareg (© Nicole Bertin)
L'an dernier, au domaine du Chapitre à Arces sur Gironde, Jo Neuvy, responsable de l'association Rêve d'Etre, avait organisé une exposition réunissant de talentueux artistes. Parmi eux, le travail d'Ahmed Attaher, touareg du Niger, avait retenu l'attention. Soucieux de montrer et de partager ses techniques de fabrication, il avait invité le public à découvrir comment une barrette d'argent peut se transformer en bracelet, bague ou collier.  Une véritable alchimie ! Par la chaleur en effet, le métal entre en fusion et se liquéfie. Devenu souple, il accepte de se plier à la volonté de l'artiste qui le façonne au marteau. Lorsque l'argent s'est durci, il retourne au brasier pour se soumettre à nouveau. Que de patience pour créer un bijou ! L'entourage est généralement fasciné par ces opérations qui nécessitent minutie et précision.
Par leurs dessins géométriques finement gravés, ces parures racontent la vie de ces hommes libres, les dunes, le chemin des caravanes, les sources, le puits, le village et les étoiles indiquant les quatre points cardinaux, repères immuables dans le ciel du désert. La pièce ainsi réalisée est unique, c'est là que réside sa richesse. C'est pourquoi ces bijoux séduisent !

Comment transformer une barrette d'argent en bijou...
 

« Face au terrorisme, il est important de protéger 
la transmission de savoirs ancestraux »…

Pour Ahmed Attaher, ils sont plus qu'un ornement : ils symbolisent le travail et la connaissance d'un peuple. Une connaissance transmise de père en fils depuis des décennies que les événements actuels pourraient gravement menacer. « Pour l'instant, je peux encore voyager et obtenir un visa, mais rien ne dit que la situation ne se durcira pas » explique l'intéressé. En effet, jusqu'à une époque récente, le Niger et la belle ville d'Agadez en particulier accueillaient des touristes, lesquels ont fui les lieux depuis que l'insécurité règne dans cette partie de l'Afrique.

Le Niger possède des frontières avec la Lybie, l'Algérie, le Mali, le Bénin, le Burkina Faso, le Nigeria et le Tchad. Depuis la mort de Kadhafi (bouleversant l'échiquier) et les arrivées massives de réfugiés, les frictions entre les Toubous vivant à la frontière du Tchad et les Touaregs sont vives. Mais le danger vient surtout de Boko Haram qui sème la terreur. Arrivant du Nigéria, les milices de l'Etat Islamique en Afrique de l'Ouest font des incursions au Niger où elles se livrent à des actes de barbarie, enlèvements de jeunes gens et d'enfants dont ils font des esclaves (les exemples sont nombreux. En 2014 au Nigéria, la disparition de lycéennes a soulevé l'indignation internationale).
En juin dernier, du côté de Bosso, des pillages ont eu lieu, des militaires massacrés et une centaine de civils blessés. A ce jour, 50.000 personnes ont fui le sud-est du Niger suite à une série d’attaques commises par les insurgés dans la région instable de Diffa. En mai, un assaut contre la ville de Yebi a entraîné la mort d'habitants. Depuis cinq ans, le groupe terroriste, qui puise ses armes dans les ex stocks lybiens (colossaux) et les trafics illégaux, a causé plus de 20.000 morts au Nigéria, Cameroun, Niger et Tchad.

Le Niger possède de nombreuses frontières
 En face, l'armée nigérienne manque de moyens, c'est pourquoi le Gouvernement compte sur l'aide de la Communauté européenne (aux dernières nouvelles, le Maroc serait également prêt à livrer du matériel militaire et sécuritaire). La Force d'intervention conjointe multinationale vient de remporter une victoire à Damasak au Nigéria, l'objectif étant de chasser définitivement les intégristes de ces territoires.
« Il y a 5 mois environ, nous avons échappé à un grave attentat à Agadez. Ils sont venus avec des explosifs. Ils voulaient faire sauter les monuments classés au patrimoine de l'Unesco dans la vieille ville. Heureusement, ils ont échoué » déclare Ahmed Attaher. Et d'ajouter : « les gens vivent dans la peur. Nombreux sont en errance. Nous n'étions pas comme ça avant. Ce climat de profonde instabilité ne donne pas envie aux étrangers de s'attarder au Niger. Les artisans, qui vivaient de leur venue et du commerce en résultant, traversent une période difficile ». L'approvisionnement en argent, extrait des mines du Nigeria, est devenu compliqué, les intermédiaires étant eux-mêmes exposés lors de leurs déplacements. A Niamey, le grand Défilé de la mode en Afrique, où sont récompensés les meilleurs espoirs, a été reporté. Si un tel rendez-vous venait à disparaître, on imagine les retombées négatives sur ce secteur. Les impacts de Boko Haram se font malheureusement sentir…

Reprendre espoir

En Europe, Ahmed Attaher a tissé des liens avec la France, l'Espagne et l'Allemagne où se trouvent plusieurs points de vente de bijoux touaregs. L'idée serait d'ouvrir un site internet où les artisans de la région d'Agadez présenteraient leurs productions. Cette formule, qui leur permettrait de sortir la tête hors de l'eau, est prometteuse.  « Je peux regrouper une centaine de créateurs » estime Ahmed Attaher.
Le projet devrait faire son chemin, d'autant que Jo Neuvy n'est pas seule dans cette entreprise. Cette prise de conscience est essentielle pour le devenir de gestes séculaires que les ethnies ont conservés précieusement. Soudées, les familles préservent ces acquis qui se perpétuent de génération en génération. Aux côtés de sa femme Mina, qui veut devenir sage-femme pour aider les femmes du désert, Ahmed Attaher est le gardien d'une tradition léguée par son père qui la détient de ses aïeux. La chaîne doit rester intacte !

Magnifique bracelet
Préserver et valoriser des techniques ancestrales
 Plus généralement, il serait intéressant de développer au Niger (quand le calme y sera revenu) ce qu'on appelle la permaculture afin de permettre aux populations de subvenir à leurs besoins alimentaires. Sur ce chapitre, le Maroc a lancé une initiative intéressante au village de Brachoua, à une cinquantaine de kilomètres de Rabat, où coulent désormais trois fontaines en permanence. Cette région revit…

• Pour faire le portrait d'un bijou touareg : 

Faire fondre l'argent, donner forme à l'objet, le marteler, le poncer, le patiner, l'orner de signes symbolisant les trois villes du Niger, Agadez, point d'échanges des Touaregs, Zinder et Bilma. Y introduire l'agathe de couleur originelle (marron foncé), pierre traditionnelle des Touaregs, ou bien d'autres minéraux (ou encore de l'ébène).
« Chaque bijou doit être adapté à la personne qui va le porter afin de créer une harmonie » souligne Ahmed Attaher.



• Des œuvres du grand-père d'Ahmed Attaher sont exposées quai Branly à Paris. Les bijoux en argent sont signés en caractères Tifinagh (alphabet touareg) et poinçonnés.



• Dans la famille d'Ahmed Attaher, les hommes créent des bijoux tandis que les femmes travaillent le cuir (à l'exception de la décoration des selles de chameaux et des grands sacs que portent les hommes)

Contact projet : jneuvy@hotmail.com

« L'avenir, ce n'est pas le soleil, c'est la terre » souligne Gilbert Caroff qui accueille Ahmed Attaher durant son séjour sur la côte atlantique. Pour lui, la permaculture est la solution pour assurer le devenir de pays où l'eau est rare. Le sujet est passionnant. Promis, on en parle prochainement !

© Nicole Bertin

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