vendredi 11 août 2017

Père Eric Blanchard, curé de Mirambeau et pianiste professionnel : « La musique est pour moi une manière de prier »

Mariage des prêtres : « Je suis pour que chaque prêtre ait la possibilité de choisir »

Musicien professionnel, compositeur, le père Eric Blanchard est entré dans les ordres après sept ans d’études au Séminaire universitaire des Carmes à Paris. En charge de la paroisse de Mirambeau depuis janvier 2017, il la quitte pour rejoindre La Rochelle. Prêtre atypique ? Parcours original ? Une chose est sûre : il est aussi convaincant au piano que devant ses fidèles à l’église.
Dans l’interview qui suit, le père Blanchard explique que son engagement spirituel n’est que la suite logique de son chemin, musique et foi ne faisant qu’un. On ne peut s’empêcher de penser au grand Frank Listz qui devint abbé dans la seconde moitié du XIXe siècle, montrant que le pianiste, dépouillé des futilités de l’existence, s'occupait de moins en moins de sa célébrité…


La dernière messe célébrée par le Père Blanchard dimanche dernier à Mirambeau. L’Abbé Jean Kinkaku, du diocèse de Kikwit (Congo), lui succède.
 • Père Blanchard, votre éveil musical et votre éveil à la foi remontent-ils à la même époque ?
Dans le ventre maternel, j’étais bercé par la musique classique que ma mère écoutait. Brahms notamment. L’éveil à la musique est arrivé très tôt. Enfant, je connaissais par cœur des œuvres entières de ce compositeur. C’est l’un de mes plus vieux souvenirs.
La foi est venue assez vite également. Mes parents n’étaient pas pratiquants, mais ils tenaient à ce que mon frère et moi ayons une éducation religieuse, que nous soyons sensibilisés à la culture chrétienne.
L’éveil à la foi a eu lieu vers l’âge de 8 ou 9 ans. La lecture des écritures bibliques et les commentaires que nous partagions m’intéressaient vraiment. La personnalité du Christ me fascinait. Dans l’esprit du petit garçon que j’étais, il était au dessus de tous les autres super-héros que je connaissais ! Mystérieusement, je le sentais proche de moi. Ce n’était pas un personnage imaginaire, il était un exemple à suivre. Quand je faisais quelque chose de bien, j’avais le sentiment profond qu’il était fier de moi. J’écrivais de poèmes au Christ que j’apportais au jeune père de famille qui faisait le catéchisme. Mes parents ont été avertis et un jour, j’ai entendu mon père dire à ma mère « si ça continue comme ça, Eric va devenir curé ! ».

• Vous empruntez d’abord la voie musicale ?

Les études de musique classique se sont faites en parallèle de ma scolarité. Je n’ai jamais vraiment décidé de devenir un professionnel de la musique. On a choisi pour moi en réalité. Je ne me suis jamais projeté sur les scènes ; j’aimais jouer, écrire, composer. Le moment déterminant a été ma rencontre avec Georges Cziffra qui est devenu mon maître. J’avais 17 ans à l’époque et la secrétaire de la Fondation m’avait dit : « Eric, le maître va vous écouter et il vous dira si vous devez continuer ou arrêter ». La méthode était directe ! Tout s’est bien passé et j’ai travaillé avec lui pendant plus de trois ans, jusqu’à sa mort. Nous avions un vrai lien d’amitié.
J’ai fréquenté le Conservatoire National de Région de Rueil-Malmaison avant d’intégrer l’Ecole Normale. Ensuite, j’ai passé des prix internationaux de piano. Dès lors, j’ai vécu de la musique, des commandes de composition et des concerts.

Le Père Eric Blanchard est un homme ouvert et généreux. Amateur d'art également, ce qui explique le poster de Bert Stern, "la dernière séance" de Marilyn Monroe... (© Nicole Bertin)
• Quels ont été les moments les plus forts de cette vie d’artiste ?
Les moments qui m’ont le plus marqué ? A Rio au Brésil où j’ai joué une composition pour l’Unicef ; à New-York où l’on m’avait confié une commande pour la cérémonie commémorative des dix ans des attentats du 11 septembre. J’ai écrit un certain nombre de compositions et chaque commande me motive. C’est comme si je devais rendre ma copie !

• Parmi vos compositeurs préférés, Erik Satie figure en bonne place ?

Satie est pour moi un compositeur inclassable, une sorte d’ornithorynque dans la classification. Il a écrit une musique simple, dépouillée, et tracé son chemin en dépit des conventions musicales. Il s’agit d’une œuvre à part.

• Alors que vous êtes musicien professionnel, vous décidez d’entrer dans les ordres. La foi s’est imposée à vous après le décès de votre père ?

Contrairement à la musique, personne n’a décidé pour moi. J’ai répondu à l’appel du Christ au moment où j’étais pleinement installé dans ma carrière de pianiste. Je sentais que je n’étais pas totalement moi-même. On ne voyait d’Eric Blanchard que le musicien, le compositeur, il manquait quelque chose ! Quand j’ai annoncé à ma mère que j’entrais au Séminaire, elle a d’abord été sous le choc parce qu’elle ne s’y attendait pas, puis elle m’a avoué qu’elle n’était pas surprise. Mon entourage de même.
Entrer dans les ordres était inscrit en moi. Ou alors j’aurais vécu à côté de moi ! J’ai aimé la vie de séminariste aux Carmes de Paris. Les échanges y sont passionnants, enrichissants. Les études s’échelonnent sur sept ans. Cette durée est importante car elle nous permet de discerner si cette vie-là nous convient, mais elle permet aussi à l’Eglise de discerner si les candidats sont aptes à vivre le ministère de prêtre. Il y a donc un double discernement.

La musique et la foi sont cohérentes...
• Quelles sont les qualités nécessaires à un ministère de prêtre ?

Etre vraiment appelé par le Christ, c’est la principale qualité. Une grande majorité de prêtres ont un engagement authentique. D’autres se sont construits une identité.

• Etes-vous toujours en lien avec vos anciens camarades séminaristes ? Certains regrettent-ils leur engagement ?


Je garde des liens avec eux en effet. S’ils doutent ? Effectivement, cela peut arriver ; c’est comme dans une vie de couple, il y a des hauts et des bas ! Certains sont parfois découragés par des lourdeurs dans le fonctionnement de leurs paroisses, les comportements, les inerties. Mais il y a toujours un moment sublime pour redonner l’envie d’avancer !

• Où se trouvait votre premier ministère ?

J’ai été ordonné prêtre en janvier 2012 par Monseigneur Di Falco et mon premier ministère était Gap dans les Hautes Alpes. Il s’agit d’une paroisse importante qui possède un sanctuaire marial magnifique, Notre Dame du Laus. Poumon à la fois vert et spirituel. Les paroissiens y sont des montagnards à la forte personnalité. Venant de Paris, j’étais un « étranger » et ce n’était pas toujours évident, mais je garde de bons souvenirs. J’y suis resté deux ans. Ensuite, j’ai été nommé pour deux ans également à Veyve Devoluy, puis sur la côte atlantique à Mirambeau où je succède au père Fabien Mounier depuis le 1er janvier 2017.
Dans les semaines qui ont suivi mon installation, je suis allé à la rencontre des habitants et des commerçants de Mirambeau et des communes environnantes, 36 au total. J’ai donc passé beaucoup de temps. Ils ont été touchés que le prêtre vienne les saluer. Les relations en ont été facilitées. Sur la paroisse, le nombre de croyants est important et l’un des défis actuels est de rappeler que la pratique, loin d’être un artifice, nourrit la foi. Les Mirambeaulais sont des gens accueillants, je l’ai vraiment ressenti.
Lorsque je suis arrivé, les églises étaient presque vides. Quand les gens sentent qu’on les aime, qu’on est heureux de les retrouver, ils participent aux offices. Ma joie, mon bonheur est de voir les églises se remplir à nouveau.

• Vous allez quitter Mirambeau pour La Rochelle. Quelles y seront vos fonctions ?

Je serai resté sept mois à Mirambeau. Je suis en tension entre une forme de tristesse de quitter Mirambeau et mon prochain ministère à La Rochelle. Je suis affecté à la paroisse du centre ville, en charge des Minimes et de Tasdon avec des responsabilités pour la mission auprès des étudiants, les aumôneries des collèges et des lycées. Le pôle jeunesse dont j’aurai la charge est un défi stimulant parce qu’il représente environ 17000 jeunes.

• Etes-vous inquiet face aux attaques dont les chrétiens font l’objet, la mort du père Hamel en particulier ?


J’ai peu de mots pour décrire une telle tragédie. Le père Hamel a été la victime d’un fanatisme qui n’a rien de religieux. Aucune religion ne prescrit de tuer celui qui n’a pas les mêmes convictions, cela n’a pas de sens. C’est de l’idéologie pseudo-religieuse pour alimenter une forme de haine, un mépris de la différence et de l’autre.
Aucune institution humaine n’est un modèle de vertu parfaite. Dans son histoire, l’Eglise a, elle aussi, connu des périodes sombres, mais elle en est sortie. Toutes les institutions n’en sont pas là. Certaines n’ont pas encore purgé la violence qu’elles ont en germe.

• Votre vie de prêtre ne vous empêche pas de donner des concerts. Le prochain a d’ailleurs lieu à Pons samedi 12 août en l’église de Saint-Vivien (à 20 h)…

Les choses ont été claires et parfaitement comprises par mon entourage. Je ne souhaitais pas abandonner la musique qui est très liée, comme je le disais, à mon engagement spirituel. Vivre un ministère dans lequel je pourrais continuer à jouer et composer a été bien reçu. Il n’y avait pas d’a priori.
La foi et la musique sont cohérentes, elles vont ensemble. La musique est pour moi une manière de prier, d’écrire, mais aussi d’interpréter. Parfois, notre vie spirituelle atteint ses propres limites et l’on est confronté à une sorte de silence. La musique est un langage qui va au-delà de nos propres mots. Liée à la grâce, à la beauté, elle nous dépasse et nous transcende.


• Quand vous êtes en concert, le public est-il surpris d’apprendre que vous êtes prêtre ?

Le public le comprend très vite parce que je joue en soutane. Cela ne l'empêche pas d’être surpris. Certains viennent me voir après les récitals en me disant qu’ils ne s’attendaient pas à ça ! L’Eglise fait bouger les curseurs.

• Vous portez effectivement une soutane noire, ce qui n’est pas le cas de tous les prêtres. Vous l’a-t-on fait remarquer ?

Sur tous les paroissiens, une seule personne, dont le fils est lui-même prêtre, m’a fait la remarque. Je suis très libre avec les vêtements, tee-shirt, veste avec une petite croix ou croix autour du cou, soutane, col romain, l’habit ne fait pas le moine ! Ne pas dépasser les apparences serait une attitude inquiétante pour les chrétiens qui veulent être des gens libres, construits avec une colonne vertébrale intellectuelle et spirituelle. Faire la guerre à la soutane me semble être d’un autre temps.

• En tant que musicien professionnel, je suppose que vous êtes exigeant sur votre chorale ?

Tous les membres de la chorale de Mirambeau ont un bel engagement. Comme nos églises ont été désertées durant un certain temps, les équipes se reconstituent peu à peu pour rendre belles les célébrations. C’est l’un des chantiers à mener.

• Regrettez-vous des éléments de votre vie passée ?

Je sais que je ne suis pas indispensable, donc je vis les choses à bonne distance. Je n’ai pas de pression particulière.

• Etes-vous favorable au mariage des prêtres ?

Oui, je suis pour que les prêtres aient la possibilité de choisir. Soit s’engager dans la vie de prêtre en étant célibataire, ce qui est mon cas ; soit qu’ils aient la possibilité de fonder une famille.
L’actuel célibat des prêtres est une question de discipline, elle n’est pas doctrinale. Si demain le Pape autorise le mariage des prêtres, ils le pourront. Si ce choix avait été possible pour moi, j’aurais choisi le célibat. Je suis heureux comme je suis dans mon quotidien, au milieu des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des moins jeunes…

Messe à Mirambeau dimanche dernier. Aux côtés du Père Blanchard, l'Abbé Jacques Genêt et l'Abbé Jean Kinkaku

« Je suis heureux comme je suis dans mon quotidien, au milieu des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des moins jeunes »…
 • Si vos joies sont grandes, il doit exister des déceptions ?

Bien sûr, je suis révolté par les guerres, les inégalités, la souffrance, la faim dans le monde. Mais ce qui me révolte également, ce sont les petits calculs, les bassesses, les cupidités qui sont encore plus insupportables quand elles viennent des croyants. Chaque dimanche à la messe, nous avons Dieu qui vient en personne jusqu’à nous. Il fait de nous son propre Temple et nous donne une immense dignité. Comment est-ce possible d’en ressortir avec de vieux réflexes qui n’apportent rien ? Si on attend de l’autre qu’il soit parfait, il sera bien difficile d’avancer.
On doit redécouvrir la dimension missionnaire de la foi. Si la dimension missionnaire ne croît pas, elle finira pas s’étioler. Il faut montrer la beauté de Dieu, sa présence. Pourquoi la religion appartiendrait-elle au domaine privé ? Doit-elle être secrète, cachée ? L’histoire de France a cherché à s’émanciper de la tutelle chrétienne. Or, on ne peut pas empêcher quiconque d’aimer…

• Dans un contexte international tendu, êtes-vous optimiste pour l’humanité ?


L’humanité me fait penser à l’être humain avec ses différents stades, enfance, adolescence, maturité, âge mur. Les saisons de l’existence. La question de savoir à quel stade nous sommes…

Propos recueillis par Nicole Bertin

• Petit questionnaire sur les préférences du Père Blanchard :

En musique : Le Requiem de Verdi ; son livre : la Bible ; en peinture : une toile de Miro. L’homme qui l’a le plus marqué : Georges Cziffra « un génie musical » ; la femme qu’il admire : Edith Stein, brillante intellectuelle (en religion Thérèse-Bénédicte de la Croix), morte au camp de concentration d'Auschwitz, canonisée en 1998.

Père Blanchard : « Les Mirambeaulais sont des gens accueillants, je l’ai vraiment ressenti »
Mirambeau compte deux églises, celle du bourg et celle de Petit Niort en cours de restauration (une merveille!)
Invitation : Le Père Eric Blanchard, ancien élève de Georges Cziffra, se produira en l’église Saint-Vivien de Pons samedi 12 août à 20 heures. Il interprétera Satie, Chopin, Liszt, Beethoven et certaines de ses compositions, alternant pièces méditatives et virtuoses. Venez nombreux !

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