On les appelle les falaises mortes de Mortagne. Situées sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde, elles forment un alignement de calcaire blanc où apparaissent, figés, coraux et bivalves. Plus qu’un élément pittoresque du paysage, elles rappellent la présence de la mer en des temps reculés. Bien avant qu’il ne soit question du réchauffement climatique ! De la route, elles ressemblent à des sentinelles que les terres retiendraient prisonnières.
Au cœur de cette muraille du Crétacé, se trouve l’ermitage monolithe, l’un des plus anciens lieux de culte de France, dit-on. Propriété de l’Évêché, cette halte parmi les curiosités à découvrir en Haute Saintonge se situe le long de la route verte, à la sortie du village. Pourquoi « curiosité » ? Tout simplement parce que l’ensemble n’a pas livré tous ses secrets !
« Pour moi, c’est un lieu fascinant. J’y suis venu la première fois quand j’avais une quinzaine d’années. Arrivant de Saint-Thomas, je faisais du vélo dans les marais. Les promeneurs ont toujours été nombreux » confie le père Pascal Delage, doyen de la paroisse de Royan.
L’été en particulier, les touristes ne manquent de s‘arrêter, intrigués par cet endroit original qui a longtemps abrité une communauté religieuse. Après avoir traversé un pré, le visiteur gravit une série d’escaliers qui le conduisent à une terrasse. « Naturellement ombragée par des ormeaux, des grenadiers, des amandiers, des figuiers, des arbres de Judée », écrivait au début du XXe siècle le père Poirier, elle offre une vue imprenable sur l’estuaire. Et d’ajouter « les moines peuvent s’y reposer et s’y rafraîchir en contemplant la côte ensoleillée de Gironde. Panorama immense de 50 kilomètres vraiment grandiose où l’on aperçoit le fleuve sillonné par des grands paquebots transatlantiques qui montent vers Bordeaux ou les embarcations plus modestes des pêcheurs d’esturgeon ». De nos jours, les arbres sont un peu moins nombreux, de même que les créas…
D’autres marches, taillées dans une faille naturelle, mènent au plateau. S’y trouvent les vestiges d’une tour ou d’un amer. Dans la falaise elle-même, ont été aménagées les pièces à vivre des ermites. Leur simplicité démontre une grande sobriété : la cuisine et sa cheminée, le réfectoire, le cellier, les cellules et dortoirs. S’y ajoutait un cimetière qui a disparu. Des mentions, relevées sur un registre du XVIIIe siècle, font état de plusieurs inhumations.
Une chapelle d’un seul bloc
La perle de l’ermitage, c’est la chapelle « qui ne forme qu’un seul bloc ». On peut y admirer un autel, un retable (aménagé au XVIIIe siècle par les Récollets), un déambulatoire ainsi que les statues de Saint-Antoine d’Égypte, mort au IVe siècle, et de Saint-Martial, évêque de Limoges au IIIe siècle (après avoir évangélisé le Médoc, il aurait résidé quelque temps à Mortagne). Sur le côté gauche, une sépulture a été creusée dans le rocher et sur la droite, on remarque l’ancien sillon d’une source, aujourd’hui tarie, qui guérissait les problèmes de vue. Ainsi, avons-nous sous les yeux les témoignages de diverses époques allant des tout premiers siècles de notre ère au XVIIIe. Seul le travail de chercheurs pourrait en faciliter la compréhension ! « J’ai demandé à l’Université de Bordeaux qu’un étudiant puisse consacrer sa thèse à l’ermitage classé Monument historique depuis 1987 » déclare le père Delage.
Le même éclairage qu’au temple d’Abou Simbel
Le phénomène le plus étrange de l’ermitage réside en ses ouvertures qui laissent passer la lumière de façon totalement maîtrisée. « Un éclairage magnifique obtenu uniquement par la lumière solaire, véritable chef-d’œuvre de science optique » écrivait le père Poirier. « Les bâtisseurs qui ont réalisé cette fenêtre et ces quatre lucarnes avaient de grandes connaissances en astronomie » estime le père Delage.
En effet, ils ont utilisé la même technique qu’au Temple d’Abou Simbel, en Égypte, construit au XIVe siècle avant JC. Comment le savoir antique est-il parvenu jusqu’en Saintonge ? Question !
Au solstice d’hiver, dans l’après-midi, la lumière frappe le chœur de l’autel d’une lumière vive. Elle se déplace ensuite sur Saint-Antoine qui devient une sorte de torche tant l’éclat peut être intense !
Au solstice, le soleil inonde Saint-Antoine de mille feux. Sa statue semble alors irradiée...
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Tout objet ou être vivant se trouvant sur le parcours du rayon semble alors irradié (comme le montrent les photos faites sans trucage). Et, détail qui a son importance, il n’y a jamais d’ombre !
Le rayon du soleil est tellement puissant que les pattes arrières
de ce chien semblent d'être dématérialisées (© Nicole Bertin)
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« Pour les architectes comme pour les bâtisseurs de cathédrales, la lumière est un élément déterminant. Mortagne est un site habité de longue date. À l’époque romaine, il était situé sur l’axe de communication entre la Méditerranée et l’Atlantique. Médiolanum Santonum était proche du grand port du Fâ à Barzan. Ces grottes ont même pu être habitées par des hommes préhistoriques » explique le père Delage. Les anciens se souviennent que des silex y ont été mis au jour.
L'autel illuminé lors du solstice d'hiver. Le site est ouvert aux beaux jours,
le week-end et pendant les vacances scolaires. Un guide, qui dépend de l'Evêché, se tient à la disposition des visiteurs |
Ici, tout est énigme
Avant son occupation par les premiers Chrétiens, le site aurait-il pu être dédié à une divinité païenne, celtique ou druidique par exemple ? Rien ne le prouve, mais rien ne s’y oppose.
À l’époque romaine, y avait-il un temple consacré à la déesse Cybèle (non loin, il s’en trouve un à Aubeterre en Charente) ? Ou un culte au Sol Invictus, dieu solaire imposé par l’empereur Aurélien au IIIe siècle qui fit du 25 décembre une fête officielle ?
Le père Delage ne le pense pas en ce sens où le culte au Soleil invaincu n’a pas duré assez longtemps pour se répandre en Gaule. Un culte à Mithra, où existe une initiation avec des grades, lui semble également improbable. « Dans l’empire romain qui est immense, les religions s’entrecroisent. C’est à la fin du IVe siècle que Théodose 1er impose le christianisme. Il fait ainsi cesser les sacrifices d’animaux, qu’ils soient privés ou publics. La Gaule est alors devenue chrétienne, mais des communautés s’étaient formées antérieurement, comme à Lyon. L’église de Saintonge remonte au début du Ve siècle. Des ascètes ont dû s’installer dans ces cavités naturelles. Ausone qui sait ? À ce sujet, circulent de nombreuses légendes » ajoute le père Delage qui enseigne l’histoire des pères de l’Église au Séminaire de Bordeaux.
Selon Charles Connoué, spécialiste de l’architecture religieuse en Saintonge, la chapelle, qu’il date du IXe siècle, aurait été remaniée. « Ici, tout est énigme. Pourquoi Saint-Antoine, l’anachorète du désert, dont le culte a été peu diffusé en Gaule, est-il vénéré à Mortagne ? Quant à Saint-Martial, il était évêque de Limoges. À Mortagne, il aurait été proche d’Ausone, originaire de ce lieu et parent du célèbre poète latin dont l’une des propriétés était dans la région, "sous les murs de Saintes". En fait, nous n’avons aucune certitude sur ce qui est avancé, c’est pourquoi une étude approfondie et sérieuse doit être engagée » remarque le père Delage. D’autant que les moines quittèrent l’ermitage pendant les guerres de religion pour y revenir par la suite et que des fermiers s’y installèrent après la Révolution, le lot ayant été vendu comme bien national !
L’histoire de l’ermitage deviendra-t-elle un jour plus limpide ? Des fouilles permettraient sans doute de percer certains mystères. Rendez-vous le 22 décembre prochain pour le solstice d'hiver...
Saint-Jacques de Compostelle
Au Moyen Âge, les eaux de l’estuaire étant plus élevées, l’accès à l’ermitage se faisait par bateau (l’autre voie était terrestre, par le plateau et l’escalier). Les moines marins proposaient leurs embarcations aux pèlerins pour rejoindre l‘autre rive. Le site majeur de passage était Blaye.
Autrement, les eaux de l'estuaire de la Gironde touchaient la falaise.
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Où se trouvait la deuxième chapelle ?
Si l’on se base sur les recherches du père Poirier (curé de Mortagne et gardien des lieux au début du XXe siècle) et selon la tradition orale, une seconde chapelle, qui a mystérieusement disparu, aurait existé à l’ermitage. En effet, dans des documents du XVIIIe siècle, il est mentionné que certains ermites sont enterrés « dans la chapelle basse de l’ermitage de Mortagne ». Et non dans le cimetière. Or, dans la chapelle que nous connaissons, n’existe qu’un tombeau et encore a-t-il été vidé de ses ossements. Aucune mention sur la et les personnes qui auraient pu y reposer ne figure sur la paroi. Où était donc cette seconde chapelle ?
Certains pensent qu’il s’agirait d’une crypte placée sous l’église actuelle ; d’autres estiment qu’elle devait être située sur le promontoire. Dans ce dernier cas, la chapelle qui se visite serait en réalité la chapelle basse… Mais où se trouveraient les fameuses sépultures ?
Outre cette chapelle, où se trouvait la seconde
mentionnée dans des textes ? (© Nicole Bertin) |
Le père Poirier avançait une hypothèse : l’entrée de cet édifice, au niveau des escaliers d’entrée, aurait été obstruée par des éboulements. Seules des fouilles apporteraient des réponses à cette délicate question. Notons que la falaise est constituée d’un calcaire friable et qu’avec le temps et les affaissements, certaines salles ont pu être comblées. Une fracture importante apparaît d’ailleurs dans la voûte de la chapelle monolithe.
Le fameux mal des ardents
L’ermitage était connu pour guérir le mal des ardents, baptisé « feu de Saint-Antoine » qui a frappé l’Europe aux Xe et XIe siècles en particulier.
Les malades souffraient d’hallucinations et de mouvements incontrôlés. Ils étaient ensuite dévorés par un feu qui gangrenait leurs extrémités. Les membres se détachaient et le malade mourrait dans d’affreuses souffrances sans qu’aucun remède ne puisse le guérir. Pour les autorités, le responsable de tous ces maux était le Diable !
Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le pain fait avec de la farine de seigle fut soupçonné. En 1777, après avoir administré le champignon parasite du seigle à des canards, l’Abbé Teissier démontra que l’ergot du seigle était à l’origine de cette calamité. Les boulangers étaient loin d’imaginer qu’en utilisant des céréales parasitées, ils contaminaient les villageois. Les derniers cas d’ergotisme ont été relevés dans les Pays de l’Est, dans la première partie du XXe siècle.
• Un pèlerinage avait lieu à la chapelle jusqu'à une époque récente. Il y avait foule comme le montrent des cartes postales anciennes.
• Le père Pascal Grégoire Delage : Historien de formation, le père Pascal Grégoire Delage, doyen de la paroisse de Royan, assure des cours sur les origines chrétiennes et les pères de l’Eglise au Séminaire de Bordeaux. Il anime régulièrement des colloques à Saintes et à la Rochelle.
Photos faites avec l'aimable autorisation
de l'Evêché de La Rochelle