lundi 15 juin 2015

Jacques Rapp, conseiller général et maire
de St-Genis de Saintonge, nous a quittés
D'André Dulin à Claude Belot,
quarante ans de vie publique
en Charente Maritime

La Charente-Maritime est en deuil. Après les décès de Michel Servit (Royan) et de Xavier de Roux (Chaniers), Jacques Rapp, ancien général et maire de Saint-Genis, s’est éteint à l'âge de 89 ans. Ses obsèques ont été célébrées jeudi matin 18 juin en l’église de Saint-Genis.

Il y a quelques années, Jacques Rapp avait évoqué sa carrière politique dans l'entretien qui suit. Homme ouvert, parlant toujours à bon escient, ce radical de gauche, de la famille de l’ancien résistant de Saint-Fort sur Gironde Maurice Chastang, a marqué le canton de Saint-Genis dont il est devenu conseiller général en 1964. En 2004, il a passé le relais à Jacky Quesson qui lui a succédé à la mairie, puis au Département.
Pendant quarante ans, Jacques Rapp a œuvré au service de la collectivité. Un fameux bail, selon la formule consacrée, et un chemin jonché de souvenirs qui l’a conduit de Menton, sa ville natale à la lisière italienne, jusqu’en Haute-Saintonge.

La fiche de Jacques Rapp sur l'annuaire du Conseil général en 1998
• Jacque Rapp, dans quelle circonstances vous êtes-vous présenté à votre première élection sur le canton de Saint-Genis ?

Je me suis installé à Saint-Genis de Saintonge en 1958. Ma première candidature fut occasionnelle, si l’on peut dire. Il s’est trouvé que le dr Moulineau, conseiller général de Champagnolles, est décédé au milieu de son mandat. Une nouvelle élection a donc été organisée en 1964. Je n’avais pas l’intention de me présenter. L’une des raisons était que mon premier beau-père, Maurice Chastang, maire de Saint-Fort sur Gironde, était mort en déportation. Les membres de la famille, que cette épreuve douloureuse avait marqués, étaient peu enclins à s’engager dans la vie publique.
Toutefois, un hasard de circonstances m’a fait revenir sur cette position. Roger Garin, avec qui j’avais sympathisé, avait pour moi des ambitions... dont il m’avait un peu parlé d’ailleurs. Dans son « testament » politique, le dr Moulineau avait demandé à André Dulin, alors président du Conseil Général, de contacter le dr Garin pour être candidat. Un beau jour, une délégation est arrivée à Saint-Genis pour le rencontrer. Elle était composée d’André Dulin, du sénateur Grand, du père de Pierre-Jean Daviaud et de Raoul Latreuille, alors maire de Gémozac. L’intéressé déclina leur proposition, ajoutant qu’il ne connaissait rien aux affaires administratives. Il les dirigea vers moi. Ils vinrent alors à mon domicile. Raoul Latreuille, qui était mon cousin par alliance, trouva les arguments pour me persuader. « C’était une occasion unique que le conseiller général soit du chef-lieu de canton. Jusqu’alors, cela n’était jamais arrivé » disaient-ils. Ma femme, Eliette, a fini par me convaincre.
Comment fut la campagne ? Au départ, les choses se présentaient bien. Bien sûr, nous étions plusieurs candidats.
Le jour de l’élection, heureuse nouvelle, je suis arrivé en tête avec cent voix d’avance. Ce score peut s’expliquer par ma profession : pharmacien depuis six ans, je connaissais de nombreuses personnes et, à Saint-Genis, j’animais le club de basket. Les résultats m’ont donné de l’espoir. Le dr Garin, qui savait que j’avais été scout de France, est venu me voir en déclarant : « tu as fait la promesse de servir les autres, le moment est venu de tenir ton serment ». Je me suis donc maintenu, contre l’avis de quelques-uns qui craignaient une "division" du canton. Au second tour, nous n’étions plus que deux candidats, le dr Noël et moi. J'ai finalement été élu.

• Vous voici membre de l’assemblée départementale, alors présidée par André Dulin resté célèbre dans les mémoires. Comment fonctionnait le Conseil Général dans les années soixante ? 

André Dulin était une "bête" politique. Les choses étaient simples : dès lors qu’on était conseiller général, on était forcément de son bord. C’est pourquoi, quand il s’adressait à nous, il nous appelait « ses bons enfants » ! Physiquement, il n’était pas très grand et avait un estomac plutôt rebondi. A l’époque, l’assemblée était une grande famille, quels que soient les engagements politiques des uns et des autres. Tout le monde travaillait ensemble, des représentants de la droite "dure" à la gauche. Avec le recul, je pense que Claude Belot a voulu reproduire l’exemple de Dulin, mais les temps ont changé et la politisation est plus forte. Autrefois, les partis se déployaient surtout durant les campagnes électorales. Le scrutin passé, le calme revenait et chacun se mettait au travail.
Le Conseil Général ne fonctionnait pas de la même manière qu’aujourd’hui. D’une part, le nombre de conseillers ne dépassait pas la quarantaine et, d’autre part, on ne comptait que quatre grandes commissions : finances, agriculture, équipements, social et sport.
Le nombre d’élus s‘est accru avec le fractionnement des villes. Les responsabilités étaient attribuées par ordre d’ancienneté. Les Finances revenaient au conseil de sages. Les plus jeunes siégeaient dans les autres commissions. Avec Stéphane Bonduel, maire de Tonnay-Botonne, nous allions dans toutes les commissions pour acquérir de l’expérience !
Par la suite, avec quelques-uns, je me suis battu pour que les commissions fassent l’étude technique des rapports. Ce travail réalisé, la commission des finances n’avait plus qu’à juger si elle pouvait financer ou pas.

• Quand Lucien Grand succède-t-il à André Dulin ? 

Lucien Grand était rapporteur général du budget. Il s’entendait très bien avec Dulin qui s’est éteint au début des années 1970. Dulin a fait beaucoup pour ce département et, en particulier, il est à l’origine des principaux syndicats, Eau, Électrification, Chemins, etc. Ses seuls ennemis étaient les Poujadistes et un peu les Socialistes. Il avait su fédérer les différents courants.
Quand Lucien Grand lui a succédé, il a demandé à Stéphane Bonduel d’être rapporteur général. Il a refusé et cette responsabilité m’a été attribuée.

•  D’observateur, vous est devenu acteur !

Je vais vous faire une confidence : être président ou ne pas l’être ne signifie pas grand chose. Au sein d’une commission, si l’on connaît bien ses dossiers, on est finalement mieux placé que le président parce qu’il prend votre avis avant de décider. Je l’ai toujours répété à ceux que j’ai aidés : « si vous désirez être pleinement acteur, il faut s’impliquer et ne pas ménager votre temps. Le travail est la base de tout ». J’ai été rapporteur du budget jusqu’à l’élection du président Blaizot (CDS) qui a succédé à Josy Moinet (MRG) et Philippe Marchand (PS).
Les choses avaient le mérite d’être claires, ce qui ne nous empêchait pas d’entretenir de bonnes relations. Dans les commissions, l’intérêt général a toujours primé jusqu’à ces dernières années. Je ne sais pas comment les choses évolueront à l’avenir. Il serait souhaitable que cet esprit demeure !

•  Que pensez-vous de François Blaizot ? 

François Blaizot était un élu de qualité. Toutefois, il était parfois trop engagé dans ses propos par rapport au Conseil Général d’antan. Belot, dans ses discours à la tribune, est rarement partisan. Il parle concret. Il n’a jamais cherché la bagarre sur le plan politique. L’attitude de F. Blaizot était plus incisive vis-à-vis de l’opposition. Claude Belot a essayé de revenir « aux bons enfants » d’André Dulin, mais ces derniers lui échappent un peu. L’évolution est passée par là !

•  Lors de la dernière élection à la présidence du Conseil général où Claude Belot n’a obtenu qu’une seule voix de majorité, le candidat socialiste, Bernard Lalande, a parlé « des forces de progrès » qu’incarnerait la gauche. Pensez-vous que le département, à droite depuis 1985, soit resté statique durant toutes ces années ?

C’est habituel. L’opposition, en général, prétend incarner un nouveau courant, une force vive. Toutefois, cette remarque semble injuste en ce qui concerne la Charente-Maritime. Depuis des lustres, chaque président a contribué à l’essor du département, donc au progrès. Cette avancée a été constante. A une époque, nous avons essayé d’accueillir les installations pétrolières, mais elles ont été implantées en Gironde. En compensation, si l’on peut dire, Simca - qui n’était pas encore Peugeot - s’est installée à la Rochelle. Nous n’avons pas de tradition industrielle, ce qui a longtemps été un handicap. La filière bois marchait bien, cependant.
Du temps de Dulin, nous sommes intervenus pour avoir une base aérienne à Soubise. En effet, quand de Gaulle a lâché les Américains, l’Armée française a voulu délocaliser la base de Rochefort sur Châteauroux. Le poids de l’armée à Rochefort représentait 70% de l’économie. Nous sommes monter au créneau pour conserver ces structures !
Avec Claude Belot et Michel Crépeau, de nombreuses usines se sont installées dans le département. C’était l’époque des décentralisations et des usines à la campagne. Certaines étaient sérieuses, d’autres recherchaient surtout les subventions...
Le grand changement est intervenu vers 1984 avec la première décentralisation. Cette modification a été extraordinaire car, jusqu’alors, le Préfet décidait de la réalisation des projets que nous présentions. Certains dossiers pouvaient attendre plusieurs années. Avec la loi Defferre, le Conseil Général est devenu une collectivité disposant d’un vrai pouvoir exécutif.

La création de la CDCHS de Haute Saintonge en présence de René Monory (archives NB)
Radical de gauche, vous êtes resté ! 

Effectivement mais  j’ai toujours considéré que Claude Belot était un bon chef de file. Nous avons longtemps travaillé ensemble et nos rapports étaient cordiaux. Au tout début, quand je l’ai vu arriver au Conseil Général, je me suis interrogé sur son compte. Il venait de battre Henri Chat Locussol pour qui j’avais de l’estime parce qu’il avait fait de nombreuses réalisations à Jonzac, dont l’hôpital. Qui était donc ce jeune élu ? J’ai appris à le connaître, en toute objectivité, car je n’ai jamais eu de culture politique partisane. Il fourmillait d’idées.

•  Outre conseiller général, vous étiez maire de Saint-Genis... 

J’ai été adjoint 12 ans et maire 24 ans, 1965 à 1989. J’assiste toujours aux réunions du conseil municipal, en spectateur. Pour ma part, j’estime qu’un conseiller général doit être maire également car sinon, il ne dispose d’aucuns moyens. Lors de la dernière campagne électorale, de nombreux candidats clamaient qu’ils étaient favorables à un seul mandat. C’est un point de vue, la réalité est tout autre. On peut toujours avoir des projets : si l’on n’est pas maire, la marge de manœuvre est très limitée. 

•  Votre succession a été âprement disputée sur le canton entre Jacky Quesson et Robert Allain ? 

Effectivement. Les accords entre les deux tours ayant été respectés, il n’y a pas eu de problème. J’avais été clair sur ces deux candidatures. Comme il s’agissait de deux élus que je connaissais bien, je ne pouvais en aider aucun au premier tour. Mon départ, en fait, était un passage de relais.
J’ai effectué quarante ans de vie publique.

On reconnait à droite Jacques Rapp aux côtés de Michel Doublet, Claude Augier, Pierre Jean Daviaud, Louis Joanne
•  Quel regard portez-vous sur ces quarante ans ? 

Si l’on veut vraiment s’investir, le rôle de conseiller général est très intéressant. Avoir été rapporteur du budget pendant dix ans m’a appris le fonctionnement du département. Au tout début, j’appartenais à la commission Jeunesse et Sports que présidait M. Boucher, maire de Pisany. J’en suis moi-même devenu président sous F. Blaizot.
Par la suite, avec Stéphane Bonduel, nous avons œuvré pour la construction de salles de sports, gymnases, la rénovation des collèges qui étaient encore dotés de préfabriqués...

•  Quelles seront vos activités à l’avenir ? Quitter la scène politique est difficile, dit-on... 

Je ne suis pas nostalgique du passé et ne regarde jamais en arrière. Quand on a fait un choix, il faut l‘assumer ! Néanmoins, j’éprouve une sensation bizarre, celle de ne plus être « dans le coup ». Quand j’assiste à une réunion, j’ai envie d’intervenir. C’est un vieux réflexe, mais je sais que je ne dois pas le faire parce que je ne suis plus élu. Je ne compte pas rester inactif pour autant.
Je suis vice-président de l’ADMR de Saint-Genis que j’avais relancée en 1958 avec l’aide de M. et Mme Garin. Dans le passé, nous nous sommes beaucoup impliqués dans cette structure. Nous gérions les aides familiales sans moyens financiers et il fallait faire preuve d’imagination. Roger Garin et moi-même sollicitions les laboratoires ; les femmes organisaient des ventes pour collecter des fonds. Les choses n’étaient pas évidentes ! Fort heureusement, les conditions ont changé.
Je suis heureux de m’impliquer à nouveau car le travail ne manque pas. L’ADMR représente 50.000 heures dans l’année et environ 70 aides ménagères. Cette vraie PME, que préside Marie-Jeanne Pannetier, remplit une mission importante, celle de maintenir les personnes âgées à leur domicile. Le personnel doit être disponible avant tout car il intervient auprès de différentes personnes durant la journée. La Fédération Départementale nous apporte un soutien non négligeable.
Par ailleurs, je suis président de l’ADELFA, l’association de lutte départementale contre les fléaux atmosphériques où j’ai succédé à R. Latreuille. Ce domaine m’attire depuis l’époque où j’étais pharmacien des Troupes coloniales à Madagascar. Nous nous intéressions au déclenchement de pluies artificielles. C’est passionnant. Quand on veut « servi r» , il y a toujours quelque chose à faire !
Et puis, j’ai aussi des passe-temps, le bridge, la chasse, le pêche, la lecture et la musique...


C’est avec tristesse que nous voyons partir cette personnalité qui incarnait les valeurs humanistes. Qu’il repose en paix. Nous adressons nos sincères condoléances à sa famille et ses proches.

Nicole Bertin

• Jacques Rapp est né à Menton où ses parents possédaient une boucherie. Quand la guerre éclate, la famille s’installe à Toulon. A Bordeaux où il fait Santé Navale, il rencontre sa première épouse, Eliette, fille de Maurice Chastang, maire de Saint-Fort-sur-Gironde (qui fut déporté).
Pharmacien des troupes coloniales, il travaille durant six ans à Madagascar. A la suite de problèmes de santé, il revient en France et achète une officine à Saint-Genis. En 1964, il se présente au Conseil Général. De sa jeunesse, Jacques Rapp avait gardé le goût de l‘Italie. Il parlait cette langue avec aisance.

• Outre maire et conseiller général, Jacques Rapp a été conseiller régional pendant une douzaine d’années.

• Parmi ses ancêtres, Jacques Rapp comptait le général Rapp, officier de Napoléon.

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