jeudi 18 juin 2015

Que nous reste-t-il
de l'héritage du programme
du Conseil National de la Résistance ?

Libre expression de Jean-Paul Négrel

Le Panthéon vient d'accueillir symboliquement sous sa coupole quatre résistants à l'oppression nazie : Pierre Brossolette , Geneviève de Gaulle-Anthonioz , Germaine Tillion, Jean Zay. Quatre personnalités rejoignant ainsi l'ombre glorieuse de la véritable élite des humanistes et acteurs du Progrès Humain au pays des Droits de l'Homme. 
A cette occasion, la mémoire de Jean Moulin fut, à juste titre, maintes fois évoquée. Ceci nous donne l'opportunité de revenir sur le contexte historique de la Résistance et du Conseil National de la Résistance (CNR). Car nous sommes tous redevables au CNR du considérable programme économique et social qu'il élabora afin que notre pays, selon ses propres termes, connaisse un ordre social plus juste.


Pour la petite histoire, Jean Moulin et ses compagnons auraient été fort surpris s'ils en avaient eu la possibilité dans les années 70, de lire dans une rue de Paris, tracée à la peinture verte sur un mur gris, cette inscription : « CNR veille ». Humble trace, surprenant et persistant témoignage historique que personne n'avait eu l'idée d'effacer.
D'ailleurs, cette inscription avait-elle encore un sens ou une signification précise pour le passant d'alors ?
Pour mémoire, qu'était le CNR ? En 1943, à Paris, à l'initiative et sous l'impulsion de Jean Moulin et du général de Gaulle,les mouvements de résistance à l'oppression nazie et au régime de Vichy s'unifièrent au sein du Conseil National de la Résistance. Le CNR regroupait au total 16 organisations de gauche, du centre et de droite, composant ou reconnaissant la France Libre :
- huit mouvements de résistance intérieure : “Combat”, “Libération zone Nord”, “Libération zone Sud”, “Francs-tireurs partisans (FTP)”, “Front national” (totalement différent du Front national actuel), “Organisation civile et militaire” (OCM), “Ceux de la Résistance” (CDLR), “Ceux de la Libération” (CDLL) ;
- deux grandes confédérations syndicales de l’époque : CGT et CFTC ;
 - six représentants des principaux partis politiques : parti communiste, parti socialiste, radicaux, droite républicaine, démocrates-chrétiens (PDP).

A l'image de ses différentes composantes, refusant la défaite, le CNR s'était donné pour mission dans un premier temps, de chasser l'occupant nazi de notre pays, puis de punir les traîtres et les tortionnaires du régime de Vichy, et de rétablir en France la république et la démocratie. Une fois la Libération accomplie, le programme du CNR approuvé en assemblée plénière le 15 mars 1944, Gauche, Centre et Droite réunis, prévoyait également l'application et la mise en oeuvre d'un important volet économique et social.
Les mesures destinées à instaurer, dès la Libération du territoire, un ordre social plus juste. Ainsi est annoncé, précisé et libellé par le CNR dans son programme, l'ensemble des mesures destinées à réparer toutes les souffrances subies, et à rendre au Pays un visage humain, juste et démocratique, dans la plénitude de sa devise Liberté, Egalité, Fraternité.

« Les jours heureux » 

C'est ainsi que le CNR surnommera son programme social, dont on peut résumer les points les plus importants.
Sur les puissances d'argent : la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l’Etat, des puissances d'argent et des influences étrangères ; l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ;
 Sur les nationalisations : le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous sol, des compagnies d'assurances et des grandes banques ;
Sur la cogestion des entreprises le droit d'accès, dans le cadre de l'entreprise, aux fonctions de direction et d'administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l'économie.
Sur le droit du travail : le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l'amélioration du régime contractuel du travail ; la sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions d'embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d'atelier; un rajustement important des salaires et la garantie d'un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine ; une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours.
Sur la protection sociale : un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat.
Sur le monde agricole :   l'élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs, améliorant et généralisant l'expérience de l'Office du blé, par une législation sociale accordant aux salariés agricoles les mêmes droits qu'aux salariés de l'industrie, par un système d'assurance contre les calamités agricoles, par l'établissement d'un juste statut du fermage et du métayage, par des facilités d'accession à la propriété pour les jeunes familles paysannes et par la réalisation d'un plan d'équipement rural.
Sur l'égalité : La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction et d'accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires ; l'égalité absolue de tous les citoyens devant la loi.

 Partisans et adversaires

 En 2004, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey, lançaient un appel pour le 60ème anniversaire du programme du CNR afin que soient perpétués ses acquis et son héritage gravement remis en question selon eux.
Citation de Denis Kessler, vice-président du MEDEF en 2007 : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » (Revue Challenges, 4 octobre 2007).

Questionnements 

Quelle serait l'analyse de Jean Moulin et de ses compagnons, de ces héros de la Résistance et du Conseil National de la Résistance ? Quel serait leur constat à propos de ce qu'il nous reste de l'héritage du programme économique et social du CNR que, tous unis, ils avaient élaboré ? Quelle serait leur réaction face à la destruction systématique de ce programme ? De quelle façon interpelleraient-ils ceux qui se réclament de la mémoire de Jaurès et du général de Gaulle ?
Faut-il déplorer les atteintes graves et répétées faites au code du travail, à la protection sociale dans son ensemble, à la santé publique devenue inaccessible pour certains, aux libertés publiques et individuelles ? Faut-il s'insurger face à l'impuissance des gouvernements devant l'intolérable mainmise de la finance, des multinationales et des groupes de pression que l'on nomme les « lobbies » sur l'économie, les normes sociales et environnementales, en un mot sur notre sort commun?
Faut-il dénoncer la confiscation de la république par certains professionnels de la politique qui font trop souvent de notre démocratie une grotesque caricature incapable de régler les véritables problèmes ? Faut-il exiger la préservation du bien commun, des « bijoux de famille », placer ce qui reste de services publics à l'écart des appétits privés, ou exiger leur retour dans le giron de l'Etat ? Faut-il dénoncer un système de plus en plus inégalitaire dans les domaines de l'éducation, de la promotion sociale, et de celui d'une justice trop souvent bienveillante à l'égard des « puissants » ? "Selon que vous serez puissants ou misérables..." Faut-il s'insurger encore contre l' intolérable montée de la pauvreté, contre l'explosion de la précarité, contre le creusement toujours plus profond du véritable fossé des inégalités de revenus, et contre une participation à la contribution nationale de plus en plus lourde pour les classes moyennes, à laquelle les plus riches échappent scandaleusement ?

Est-il pessimiste de craindre objectivement que l'espérance soit difficile à trouver quelque part à notre époque où la « crise » et la mondialisation servent de faire-valoir, d'alibi à la dégradation générale? La réponse est : contre vents mauvais ultralibéraux et marées financières, ramons ensemble gaillardement !

Jean-Paul Négrel

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cette remise en mémoire!
Et merci pour ce questionnement auprès de ceux qui font mine de nous gouverner correctement !
Il est bon de temps en temps de remettre les pendules à l'heure, et de montrer que, quelquefois, tous unis, on peut avancer...même si malheureusement les héritiers cassent tout, comme à présent!
Y avait-t-il autant de corruption que maintenant, après la Libération ?
En tous cas, la France était en ruines, et on pouvait faire plus que maintenant dans bien des domaines.