mardi 23 juin 2015

Il y a trente six ans, François Lévêque
tombait sur un os qui allait
bouleverser l'histoire de l'humanité !

Les dix ans du Paléosite de Saint-Césaire
De nouvelles fouilles programmées en 2015 

Le Paléosite de Saint-Césaire a fêté ses dix ans ainsi que les trente six ans de la découverte de "Pierrette la néandertalienne", héroïne des lieux. C’est en 1979 que la fouille, entreprise à la Roche à Pierrot sous la direction de François Lévêque, mit au jour des restes humains qui allaient bouleverser les milieux scientifiques. En effet, après analyse, le squelette retrouvé démontra que les Néandertaliens, nos lointains prédécesseurs sur Terre, avaient côtoyé les Homo Sapiens (nos ancêtres directs) installés en Europe. Ce fut une révélation puisqu’on pensait que les deux branches, se succédant, n'avaient jamais cohabité. 
Vendredi 29 mai, Bernard Vandermeersch et deux jeunes scientifiques, Isabelle Crèvecœur et Hélène Rougier ont réactualisé cette formidable histoire lors de la conférence inaugurant les Entretiens 2015. 



L’affaire remonte à juillet  1979. En découvrant le squelette partiel d’une Néandertalienne dans des couches de terrain du Châtelperronien, les équipes de François Lévêque, conservateur à la Direction régionale du Patrimoine de Poitou-Charentes et Bernard Vandermeersch, alors directeur du Laboratoire d’anthropologie de l’université de Bordeaux, ont "changé" l’histoire de l’humanité.
Néandertal et l'homme moderne s'étaient croisés. La nouvelle était à peine croyable ! Revenons sur cette histoire à l'origine du Paléosite de Saint-Césaire, grand projet réalisé par le Conseil général, et des "Entretiens" où d’éminents universitaires font le point sur leurs travaux.

Saint-Césaire, capitale de Néandertal ! 

Bernard Dubiny
La découverte de "Pierrette" est d’autant plus intéressante qu’elle concerne la Charente-Maritime. Le gisement se trouve à Saint-Césaire, entre Saintes et Burie. Quelques années avant la découverte des ossements, Bernard Dubiny, un passionné de préhistoire, avait remarqué d’abondants silex aux abords d’une champignonnière. Ce jour-là fut à marquer d'une pierre blanche : un engin, en pleine extraction, dégageait des matériaux. Les témoignages du passé qui apparurent provoquèrent alors sa curiosité. Il s'agissait d'un gisement de silex important. Il prévint des collègues qui alertèrent les milieux intéressés. Le propriétaire des lieux, comprenant l'intérêt de la découverte, calma les ardeurs de la la pelleteuse et laissa la place aux chercheurs. Les fouilles, étalées sur plusieurs années, aboutirent à l’événement qui fit de cette région un lieu connu des scientifiques du monde entier. Les os mis au jour, datés par thermoluminescence, avaient quelque 36300 ans.
«  Cette aventure n'aurait pas eu lieu sans deux hommes, Bernard Dubigny et René Boucher, responsable de la carrière, qui arrêta les travaux  » remarque l’un des pionniers, le professeur Bernard Vandermeersch.
N'allez pas croire que les choses furent simples. Sur place, les élus locaux avaient des avis partagés sur les recherches entreprises. Fallait-il cautionner ou non l'initiative ? La préhistoire est si lointaine ! Un mot est resté célèbre, celui de Michel Chesneau, conseiller général, qui déclara goguenard, quand fut lancée l’idée d’un musée abritant les découvertes : «  on ne fera pas de cet os un pot au feu ». Heureusement, d’autres personnalités envisageaient la question sous un autre angle, à commencer par le regretté René Boucher, maire de Saint-Césaire.

René Boucher et François Lévêque chez le sculpteur Jack Bouyer à Biron (photo N. Bertin)
La création d’un centre d’interprétation de l’homme de Néandertal fit doucement son chemin, poussée par le Président de la Vallée du Coran, Xavier de Roux (récemment disparu). Séduit, le Conseil Général, que présidait Claude Belot, soutint ce projet validé par d’éminents chercheurs dont le professeur Yves Coppens. L’histoire de nos origines, revue et corrigée, était en marche.
Le centre ouvrit en 2005. Depuis, il reçoit de nombreux visiteurs, intéressés par ce voyage dans le temps. Des films, dont "L’odyssée de l’espèce" et "Ao le dernier Néandertalien" y ont été projetés.
La scénographe moderne capte l’attention du public. Contrairement à certains lieux, intéressants mais figés, le Paléosite est à la fois interactif et pédagogique.

Les premières réunions en présence d'Yves Coppens, François Lévêque, Bernard Vandermeersch,
Xavier de Roux et Claude Belot
Comment se porte-t-il en 2015 ? Depuis sa construction (12 millions d'euros financés par le Département, la Région et l'Etat) et son ouverture en 2005, il a reçu 600.000 visiteurs et fait partie des grands sites que compte la Charente-Maritime. Vincent Armitano Grivel, qui le dirige, admet qu'après une période un peu difficile, le site connait de belles perspectives (45000 entrées par an dont 13000 scolaires) avec l'installation probable des services d'archéologie et de recherches du Département. Une extension du complexe est envisagée et les nouvelles fouilles, qui débuteront prochainement, sont prometteuses. D'autres ossements seront-ils trouvés ? Il n'est pas interdit d'émettre cette hypothèse.

Le règne de l’Homo sapiens tout puissant 

Situons le contexte où vivait Pierrette, la petite Néandertalienne. Face au changement climatique - coup de fraîcheur d’un côté, aridité des régions tropicales de l’autre - les hominidés ont la bougeotte et sont dans l’obligation de migrer (réchauffements et glaciations sont des épisodes courants sur la Terre). Prospecteurs de nouvelles niches écologiques, ils n’hésitent pas à se déplacer. Manger, c’est assurer leur survie et celle de leur groupe.
Leur curiosité est-elle le symbole d’un début de conscience ? Ils façonnent du matériel de plus en plus performant qui leur permet de traquer le gros gibier. Et s’il vient à manquer, ils se déplacent et font de nouvelles rencontres, d’où des métissages.
Néanmoins, il existe une exception pour l’Europe actuelle dont les frontières sont fermées par un immense glacier. Cette barrière rebute les tribus venues du Proche-Orient et d’Afrique. En nos contrées, il y a 35000 ans, il ne fait pas bien chaud et Pierrette doit grelotter. Nous avons un permafrost et le sol est gelé comme dans la toundra. Cet isolement, et le moindre choix qui en découle quant aux unions, ont vraisemblablement favorisé une dérive génétique de Néandertal qui vit en ces lieux. D'où une accentuation de ses traits.

Un nombreux public réuni au Paléosite
Les professeurs Bernard Vandermeersch et Trinkaus
La situation vient à changer et les hommes modernes arrivent sur ces territoires. Peu à peu, Néandertal, quelque peu « has been », s'inspire des pratiques des Cro-Magnon. Il enterre ses morts, s’orne le corps, collecte des fossiles et prend le virage des nouvelles technologies paléolithiques. Bref, il évolue !

Sans qu’on sache vraiment pourquoi, Néandertal a disparu il y a un peu plus de 30 000 ans (comme son cousin de Java, d’ailleurs) après une évolution de près de 400 000 ans. A-t-il été exterminé, s’est-il éteint de sa belle mort en raison d’une forte consanguinité ? A-t-il été victime d’une épidémie ou de malnutrition ? La question n’est toujours pas tranchée. 


Malgré sa vulnérabilité, Homo Sapiens a traversé les âges et dompté la nature, dans la mesure de ses moyens. Un miracle que cette créature qui possède l’incroyable volonté d’avancer, quels que soient les embûches et les dangers qui jonchent sa destinée. Et si c’était la plus belle histoire au monde ? Ou la plus délicate puisqu’en occupant la Terre, cette espèce est en train de la piller, d’où les doutes qui l’animent ?
En effet, comme le souligne Jean-Jacques Hublin, professeur à l’Institut Max Planck d’anthropologie de Leipzig, avec réalisme : «  les hommes modernes se sont répandus sur toute la Terre, ont supplanté toutes les formes d’humanités archaïques, intensifié leur exploitation de l’environnement et mener à l’extinction bien d’autres espèces. Dans l'histoire de l'humanité, on a observé deux fois ce phénomène avec les Homos Erectus et plus tard les Sapiens  ».
Surpopulation, maladies, pollutions, cataclysmes, pratiques d’apprentis sorciers, Sapiens a démontré sa supériorité, mais son intelligence est-elle suffisamment accomplie pour le protéger de lui-même ? A la question : Qui succédera à l'homme actuel ? Bruno Maureille et Jean-Jacques Hublin s'accordent sur un être qui sera forcément supérieur, sans doute une version améliorée de ce que nous sommes aujourd'hui. A moins que le destin ne modifie complètement la donne...

Nicole Bertin

A l'entrée du Paléosite, des espèces aujourd'hui disparues dont ce grand cerf
Original au Paléosite : on peut obtenir son portrait en Néandertalien (ici notre ami Jacques Dassié !).

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