« L’an dernier, en 2014, nous vous avons emmené en Turquie sur les traces de Pierre Loti. En 2015, nous allons beaucoup plus loin puisque l’Inde nous ouvre ses capiteux secrets. Chaque mardi, vous déambulerez dans ses nombreuses pièces, vous y ferez des rencontres étonnantes et l’Inde n’aura presque plus de secrets pour vous. Nos remerciements vont aux équipes du musée de la Maison de Pierre Loti à Rochefort et au musée Hèbre de Saint-Clément de Rochefort qui nous ont fait confiance en nous prêtant des objets ramenés par Loti et exposés au château pendant toute cette cette saison » souligne Didier Catineau
Vendredi, découverte de l'Inde de Pierre Loti en présence de la propriétaire du château, Christine Sebert Badois |
Visite en avant première guidée par Didier Martin |
En 1886, Pierre Loti, de retour du Japon, s'arrête pour une courte escale sur la côte du Malabar, à Mahé. C’est son premier contact avec l’Inde. En 1891, il est élu à l’Académie française. A 41 ans, il en est le benjamin. Et c’est au nom de l’Académie française qu’il va être chargé d’aller remettre à Son Altesse le maharadjah du Travancore, la croix de chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques. Il revient en Inde du 20 décembre 1899 au 25 mars 1900 après dix jours passés dans l’île de Ceylan.
Le maharadjah le reçut dans son palais de Trivandrum. Dans « une atmosphère irrespirable, saturée d’essences et de parfums de fleurs », l’écrivain est happé par la chorégraphie et la beauté d’une danseuse sacrée. Une scène fantasmagorique qui met en lumière tout le talent de Pierre Loti. Puis notre éternel voyageur entreprit de parcourir l’Inde du XXème siècle. De la côte du Malabar il se rend à Pondichéry après avoir visité les temples de Madurai et de Tanjore et assisté à la fête du chariot de Sri Rangam entre autres lieux de pèlerinage. Puis il remonte lentement vers Hyderabad, visite les grottes fantastiques d'Ellora et atteint le Rajasthan alors dévasté par une effroyable famine. Après Udaipur et Jaipur, Loti n'a plus le courage d'affronter cette misère et annule sa visite de Bikaner.
Il se dirige ensuite vers Bénarès découvrant en route le Taj Mahal à Agra et la formidable forteresse de Gwalior. Sur les rives sacrées du Gange, il rencontre les sages de l'Inde.
Pendant cette odyssée indienne reconstituée dans son livre « L’Inde (sans les Anglais) », Loti a le désir inassouvi pour l’instant d’une quête religieuse au plus haut degré, à défaut d’une foi qu’il dit avoir perdue. « J’ai essayé, écrit-il, de rester chrétien et je ne l’ai pas pu ». Cette quête est exacerbée par la peur oppressante de la mort, omniprésente dans ses pensées et dans ses actes. Son cœur est vide, Loti se fait pèlerin et questionne toutes les croyances rencontrées dans une Inde mystique, encombrée de dieux multiples et mystérieux. « C'est en considérant l'Inde comme un pays imaginaire qu'on s'approche le plus de la réalité », affirmait le philosophe Jean Grenier.
S'il est un récit de voyage répondant à merveille à ces exigences c'est bien L'Inde (sans les Anglais), tant ce texte regorge de couleurs, de contrastes, de fragrances, mais aussi de mysticisme et de terrifiantes descriptions de la misère.
Paru en 1903 chez Calmann-Lévy, après que de larges extraits ont été publiés dans La Revue des deux mondes, ce voyage entamé par Loti à la fin de l'année 1899 nous est présenté sous une forme qui respecte peu la chronologie, mais l'oriente définitivement vers la quête religieuse. C’est une œuvre sensible, puissamment évocatrice, qui éveille chaque sens. Loti ne s’est cependant ni converti au bouddhisme ni à l’hindouisme. L’Inde et sa dimension spirituelle a touché notre célèbre Saintongeais mais nombre de questions sont restées sans réponses, ajoutant à son mal de vivre.
L'inde et ses symboles |
Conversations de rue. Il y a quelques années de cela, parcourant le monde, je me posais dans la ville sacrée de Bénarès, au bord du Gange, ce gigantesque fleuve qui vient de l’Himalaya et traverse le nord de l’Inde.
Ce fut un choc violent pour le Saintongeais que je suis, plus habitué à descendre quelques ruelles pavées de Saintes ou à arpenter les rangs de vigne lorsqu’en automne, ils se parent de pourpre et d’or. Bénarès ne peut se décrire ; il faut la vivre, parcourir ses ruelles encombrées, sentir ses effluves, se gorger de la couleur des saris, s’épuiser aux cris des vélos-taxis.
On entre à Bénarès comme dans un film mouvementé avec ses figurants souvent souriants et toujours besogneux. La chaleur est moite, poisseuse et la marche est le seul recours, à portée, pour s’éloigner parfois de l’insoutenable.
Un début d’après-midi, je cherche un endroit pour m’asseoir. Comme beaucoup de voyageurs, j’ai laissé de la famille, des amis en Saintonge et je m’apprête à leur envoyer ces petits bouts d’azur coloré qui font le bonheur des collectionneurs de cartes postales.
Mon carnet d’adresses et mon stylo sont prêts pour la corvée à laquelle je m’attelle, assis sur la borne d’un coin de rue malodorant. Le bruit ne m’atteint plus, je suis dans l’écriture de mes bribes indiennes et rien d’autre ne m’occupe que cela.
De l’autre côté de la rue, à deux ou trois mètres, il y a une borne identique à celle sur laquelle je me suis posé. Et sur cette borne, un vieil homme tout de blanc vêtu, mince moustache, cheveux gris et paire de lunettes à la fine monture dorée perchée sur le nez. Il me regarde avec beaucoup d’attention sans sourire.
J’entasse sur mes cartons le banal de mes mots indescriptibles du vrai Bénarès et je surveille, en douce, ce vieil homme distingué qui me regarde, sans insistance mais attentivement. Au moment de me relever pour courir à l’hôtel où les douches tièdes semblent être le seul luxe que je peux m’offrir en un pays où la fraîcheur n’est accessible qu’aux riches, il se lève également et vient à ma rencontre. Dans un anglais très particulier mais aux mots prononcés distinctement, il me demande dans quel pays je vis.
Nous engageons la conversation et nous formons tous les deux, à l’angle de cette rue bruyante, une oasis indestructible. Après m’avoir entendu lui décrire ma vie charentaise, mon goût des voyages et des autres, il me dit qu’il n’est pas venu seul dans cette ville.
Cela fait trois mois qu’il remonte l’Inde à pied, de Madras à Bénarès. Sa femme l’accompagne et ses trois enfants également. Pourquoi à pied ? Le temps passé à remonter son pays, à hauteur d’homme, lui est nécessaire pour pouvoir dire à sa famille combien l’amour qu’il leur porte est véritable. Je trouve l’intention louable mais fort peu pratique. L’esprit occidental que je véhicule avec moi s’accommode mal de ces subtilités. Et pourquoi Bénarès ? pour y mourir, bien sûr ! Il sent mon flottement et l’accompagne d’un sourire plein de sérénité et de compréhension. Bénarès est une ville sacrée, sainte et pour les hindous, y mourir et faire disperser ses cendres dans le fleuve sacré interrompt la chaîne des incarnations nombreuses auxquelles ils sont confrontés en permanence, pour atteindre au plus vite le nirvana. J’avais lu tout cela bien sûr dans mon guide du petit touriste mais je n’étais pas préparé à cela, pas du tout. Ses enfants sont là pour s’occuper de son corps et de celui de son épouse, voilà tout.
Nous nous séparons en nous promettant des choses qui n’existeront jamais et j’erre un peu dans la ville, les pensées embrouillées. Un peu plus tard dans la semaine, un soir où la chaleur épouvantable me tient en haleine, un guide me propose contre quelques roupies, de découvrir un très vieux quartier. Je le suis dans l’ombre des rues encombrées de vaches sacrées qu’il faut enjamber, sans lumières et peuplées de frémissements, de gémissements de toute une population que je sens, à les toucher. Et peu à peu, au loin, une mélopée m’arrive avec des bouffées de chaleur chargée d’odeurs inconnues. Et ces mélopées se font plus présentes et ces odeurs se font plus âcres et prenantes.
Soudain, nous débouchons sur une gigantesque esplanade construite au bord du Gange et je vois une dizaine de bûchers écarlates, et j’aperçois des dizaines de saris de toutes les couleurs, empilés le long des murs, et je distingue des monceaux de bois et j’entends surtout, autour de chaque bûcher en flamme, les familles qui tournent en pleurant. Je reste tétanisé.
Mon guide m’entraîne, veut absolument que moi aussi, je contourne tous les bûchers. Et je pense à mon vieil homme distingué, à ce qu’il m’a dit et je suffoque. Je ne suis pas prêt, non vraiment pas prêt. Je l’imagine avec son épouse, sanglé dans un des saris alignés là-bas, je vois les cendres jetées dans le fleuve, j’entends les cris et je m’enfuis. J’ai gardé cette histoire au plus profond de moi pendant de très longues années, trop longues années sans doute.
Mais lorsque je pense aux pèlerins de Saint-Jacques, j’ai toujours une pensée pour cet homme digne, en Inde, qui choisit de parcourir son pays en famille pour venir mourir à Bénarès. Il m’a transmis cet intérêt pour mon prochain qui ne m’a jamais quitté et surtout la certitude que la curiosité pour l’inconnu, l’autre, le voyageur est toujours une richesse jamais une souffrance. L’hospitalité de l’intelligence est un trésor incommensurable (D.C.).
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