Depuis 2022, l'amphithéâtre de Saintes, l’un des plus anciens de la Gaule romaine, fait l'objet d'une importante campagne de travaux visant à le protéger des aléas du temps (portes des vivants, des morts, travées adjacentes, décaissement, assainissement). La dernière inauguration date du 18 avril dernier : elle concerne la porte des morts. Construit au premier siècle de notre ère (vers 20 après JC pour s'achever vers 50), il a eu un passé glorieux quand Mediolanum, capitale de la Gaule Aquitaine, était à son apogée. Histoire de cette construction qui pouvait accueillir jusqu'à 15.000 spectateurs...
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La porte des Vivants, située à l’Est, était tournée vers Médiolanum ; la porte des Morts dans la direction opposée, celle des nécropoles |
Inauguré sous le règne de Claude, vers 50 après Jésus-Christ, le début de la construction de l’amphithéâtre de Mediolanum (qui deviendrait Saintes) a vraisemblablement eu lieu à la même période que celle de l’édification de l’Arc votif de Tibère, appelé communément Arc de Germanicus, dans les années 20 après J.C. La précocité de ces constructions de pierre, par rapport à la plupart des autres colonies romaines, s’explique par la singulière alliance instaurée à l’époque césarienne entre les troupes militaires romaines et les Santons, menacés d’être envahis par le peuple des Helvètes. C’est en relisant « la Guerre des Gaules » de César que l’on comprend combien cette architecture, dans un pays sans triomphe militaire, deviendra plus tard et au-delà du passage de la République à l’Empire, la représentation d’une gouvernance politique puissante.
Miroir de la Grande Rome, les constructions de ses bâtiments publics et de loisirs, font de la cité de « Mediolanum » un grand exemple de romanisation.
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Porte des vivants avant et après travaux (© NB) |
L’amphithéâtre de Mediolanum est une structure mixte, asseyant les portes orientale et occidentale à même le sol, avec des murs d’appui entièrement construits, appuyant par ailleurs la construction des gradins directement sur le vallon pour les versants nord et sud. On parle de
« structure pleine » pour la partie de la cavea s’appuyant sur les versants du vallon et de
« structure creuse » pour les parties entièrement construites. C’est donc une conjugaison audacieuse qui donne à l’amphithéâtre cette terminologie de "mixité". Utiliser la dénivellation naturelle permettait, bien sûr, de grandes économies de construction et de travail pour les bâtisseurs.
La typicité de la construction, que l’on pourrait aussi appeler « organique » tant elle tient compte de la nature, rappelle bien plus la pensée grecque que les autres amphithéâtres datant de la fin du 1er siècle après J.C. (Nîmes, Arles) qui sont d’une structure creuse. Le Colisée lui-même, dans la reconstruction que l’on connaît, date de la fin du 1er siècle.
Sur la colline de Mediolanum, reposent donc directement les vomitoires (ensemble des dégagements par les escaliers) et les gradins. Le fait que gradins et escaliers n’aient pas de renforcement, ni de soutènement souterrain, explique la fragilité de la construction, très sensible aux vibrations lorsque le niveau sonore d’une manifestation fait trembler les pierres. Pourtant, l’amphithéâtre de Mediolanum est encore l’un des mieux conservés de toutes les Gaules. Sa précocité et son archaïsme justifient en partie l’absence d’éléments tel un velum ou des naumachies (lieu de combat nautique).
Dans le doute de l’existence d’une couronne-attique, courant probablement au niveau de l’esplanade, on s’interroge quant au nombre exact de gradins estimé globalement à une trentaine. Cela représente environ 8000 ml linéaire, soit une capacité de 15 à 20.000 spectateurs.
La Porta Sanavivaria, Porte Est de la Victoire, était avant tout spectacle, l’entrée de la Pompa, le défilé solennel des combattants qui arrivaient sans armes tant que celles-ci n'avaient pas été vérifiées. Le salut au dignitaire politique marque le départ d’une incroyable journée pour peuple et dirigeants, tous installés selon un ordre très défini.
Les patriciens se situent sur les gradins de pierre, en bas du bâtiment et sont protégés par un filet tendu à l’aide du balteus, mur de protection courant tout autour de l’arena. Les autres citoyens prennent place selon leur catégorie sociale sur des gradins de bois qui se succèdent par palier, groupe fermé entre deux précinctions (sorte de palier qui, dans les amphithéâtres et dans les théâtres antiques, régnait au-dessus de chaque étage de gradins et sur lequel s'ouvraient les vomitoires).
La plèbe, positionnée sur la moitié supérieure des gradins, utilise 28 escaliers d’accès à la mi-pente de la cavea, tandis que bas peuple et esclaves restent au plus haut du bâti.
La magie de la construction reste ce formidable jeu d’escaliers, au nombre total de 90, qui permet en très peu de temps d’installer toute une société obsédée par la distinction de ses catégories sociales.
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Porte des morts : avant et après travaux (© NB) |
L’utilisation de la voûte et du petit appareillage dans la construction de la Porta Libitinensis (déesse des funérailles) montre aussi combien l’invention du mortier est une "révolution" architecturale. La petite salle à l’angle de la porte Est où se prépare le gladiateur, symbolise, quant à elle, tous les questionnements que l’on peut avoir face à la réalité des mises à mort gratuites et sanglantes de ces hommes de métier. En effet, il est certain que péplums et toiles de nos illustres peintres ont créé un imaginaire collectif autour de la mort dans l’amphithéâtre, remis en partie en question de nos jours. La relecture de textes, règlements et contrats provenant d’écoles de gladiature, nous permettent de dire que si la mort, au fil des combats, était le sort inéluctable du gladiateur de métier, sa vie pour autant avait grande valeur d’argent et d’investissement. La mort, somme toute, n’était pas aussi gratuite et admise que l’on croit..
« Entre les chasses du matin (type de jeux appelés venationes), les mises à mort des condamnées (meridiani), les combats des esclaves, puis les grandes et célèbres munera de l’après-midi, l’histoire de la Gladiature ne peut se résumer par une seule caricature. Elle exige au contraire une grande subtilité de narration dans son évolution, dépassant largement la simple présentation des costumes et des armes des combattants. Ce sont surtout les appropriations politiques, que chaque Empereur en a fait au fil du temps, et depuis l’héritage et la désacralisation du munus (cadeau d’un combat simulacre en offrande aux mânes d’un défunt notable) qui permettent de comprendre combien l’Amphithéâtre symbolise, à lui tout seul, une civilisation fascinante et son mode d’organisation politique » explique la guide conférencière en histoire de l'Art et des Patrimoines, Cécile Trebuchet, par ailleurs présidente de l'association Médiactions.
Monument de l’ancienne Aquitania, l'amphithéâtre, emblématique de la civilisation romaine, fait aujourd'hui la fierté de la ville de Saintes qui a choisi de le transmettre aux générations futures par une restauration d'envergure.
• La forme elliptique s'est peu à peu imposée pour répondre à une triple exigence, accueillir un grand nombre de spectateurs, offrir une vision optimale des combats, enfin permettre une meilleure évolution des gladiateurs (ce panneau explicatif est visible sur le site des arènes)
1 - arena, piste recouverte de sable où se déroulent les combats
2 - cavea, ensemble des gradins (entre 32 et 35 rangs à Saintes)
3 - maenianum, ensemble de 10 ou 11 rangs de gradins
4 - podium, gradin d'honneur réservé aux élites
5 - tribune d'honneur réservée aux représentants de l'autorité romaine et aux édiles qui financaient les jeux
6 - vomitorium, large couloir d'accès comprenant des escaliers desservant les gradins
7 - porte sanavivaria, porte des vivants, entrée triomphale située à l'Est
8 - porte libitinensis, porte des morts par où sont évacués les hommes morts au combat
9 - carcer, loges où sont enfermés les animaux destinés à être lâchés dans l'amphithéâtre
10 - vélum, grande pièce de tissu, généralement en lin, servant de plafond utilisée dans les arènes romaines
11 - balteus, mur de pierre ne dépassant pas un mètre de hauteur qui ceinturait l'arrière de l'orchestre et le séparait de la cavea
12 - sacellum, petit sanctuaire utilisé par les gladiateurs
• À l’occasion de ce chantier, Karine Robin, archéologue départementale et Victorine Mataouchek, archéologue de l’Inrap ont étudié les maçonneries de l'amphithéâtre. L'ensemble était en mauvais état, d'où la nécessité d'effectuer des travaux en plusieurs phases. Fissures, fragilisation des structures, dégradation des arches, mauvais écoulement des eaux. Autrefois, un égout traversait l’arène, lequel s'est obstrué au fil des siècles. On comprend mieux pourquoi l’amphithéâtre se transforme en bassin en cas de fortes pluies ! L'assainissement est prévu en 2026.
• Les archéologues ont remarqué des traces laissées dans la maçonnerie par les ouvriers antiques, relatives à leur travail quotidien. A l'époque de sa splendeur, l'ampithéâtre était beaucoup plus haut qu'aujourd'hui et son agencement permettait une circulation aisée du public. Apparemment, il existait deux accès possibles, par le haut et le bas du vallon.