vendredi 18 novembre 2016

Les forges d’Etouars : tout feu, tout flamme Des canons de marine pour l’arsenal de Rochefort

Chaque année à Etouars en Dordogne, l’association 3F-3M offre au public un spectacle inoubliable. En effet, le temps d’un week-end, ces passionnés mettent en marche un haut fourneau au milieu du village et font une "coulée"… comme au temps d’avant quand cette région était célèbre pour sa métallurgie.


En toute initiative, il faut des passionnés. Au milieu des années 90, la grande fête « Etouars au Temps des Canons » donne une idée à J.L. Delage et J. Bontemps : pourquoi ne pas « ressusciter » l’histoire des Forges du Périgord aux XVIIe et XVIIIe siècles ? La renommée de la région était alors importante et de nombreux vestiges attestent de cette activité.
A une époque où les territoires valorisent leurs « atouts », qu’ils soient touristiques ou historiques (les deux le plus souvent !), une telle entreprise fit son chemin et donna du baume au cœur des anciens : la forge avec son soufflet a longtemps fait partie du quotidien pour réparer un outil, réaliser une belle pièce de ferronnerie. Et de nos jours, on fabrique même des épées, reproductions d'armes ayant appartenu à de valeureux guerriers !
C’est ainsi que l’association 3F-3M (Feu – Fer - Forges - Minerais – Minéraux - Métaux) a vu le jour. Vous voyez, les éléments y sont largement réunis ! L’un de ses objectifs coule de source. Il s’agit de « rechercher, expérimenter, diffuser et animer toutes actions se rapportant à l’histoire et au fonctionnement des forges, fonderies du Périgord-Limousin-Angoumois ». S’y ajoutent les volets culturels et scientifiques.

Le haut fourneau mis en place sur la place d'Etouars
Préparation...
La fameuse coulée
Un spectacle pour le public nombreux
Tous les ans, le village d’Etouars, commune de 150 habitants située au nord de la Dordogne, connaît donc une animation particulière. Ce jour-là, outre les nombreux stands se rapportant au travail du fer, l’association fait revivre un haut fourneau, selon une méthode ancestrale qui enchante le public. En effet, ce haut fourneau et ses spectaculaires coulées de fonte ne passent inaperçues, on peut même dire qu’elles sont attendues avec impatience ! Un cercle se forme autour des disciplines de Vulcain, autrement dit des fameux passionnés qui travaillent en direct. Tout est expliqué, d’où l’aspect pédagogique de la présentation. A cet univers « flamboyant », s’ajoutent artisans de talent et exposants  : couteaux, sculpture, vitraux, bijoux se déclinent dans toutes les formes et tous les métaux, du fer à l’inox, du bronze à l’étain…

Les différentes opérations avant l'obtenir la pièce choisie


Prudence lors du démoulage
Et voilà le travail !
Des canons de marine pour l’arsenal de Rochefort

Pendant plus de deux siècles - de la fin du XVIIe au XIXe siècle - la région du Périgord Vert, en Dordogne, a été l’un des berceaux de la sidérurgie en France. Les 137 forges produisaient de la fonte de fer (de différente qualité), de l'acier et des objets en fonte tels que les marmites ou des plaques de cheminée. Certaines d'entre elles, installées dans les vallées du Bandiat et de la Tardoire (Etouars, Javerlhac, Forge-Neuve, La Chapelle, Jomelière, Ruelle) ont fait leur réputation en fabriquant des canons de marine pour l'arsenal de Rochefort. Lors des guerres de Louis XIV, les forges périgourdines et charentaises ont largement été sollicitées. Sous Louis XV, une commande passée par l’Etat leur confie la réalisation de 2990 canons sur un total de 3240 (le reste étant attribué aux forges du Dauphiné). Cet essor s’accompagne d’un épanouissement économique du territoire. L’ingénieur Montalembert est le premier à couler les gros calibres en utilisant deux fourneaux accolés. En général, ces structures étaient proches des ressources naturelles utilisées comme le minerai de fer ramassé ou extrait de mines, la forêt pour la production de charbon de bois et les cours d'eau comme source d'énergie.
En Périgord Limousin, les minerais les plus riches sont la limonite et la geothite. La qualité du minerai de fer est prouvée : « très fusible », riche en oxyde de fer, peu phosphoreux, parfois riche en manganèse. Après avoir été lavé, il était traité dans la forge où il était cassé par des bocards (concasseurs) avant d’être fondu dans le haut fourneau (les bas fourneaux offraient des rendements plus faibles). L’énergie hydraulique était indispensable à la forge : elle permettait le fonctionnement de la soufflerie, des marteaux, des bocards, etc.

Chaque été, Etouars retrouve « l'esprit » qui l’a animée en rendant hommage aux hommes qui ont consacré leur vie à ce travail laborieux, difficile et pénible de par ses conditions. Plusieurs associations contribuent à ce devoir de mémoire, 3F3M, les forges d’Ans et le CPIE du Périgord Limousin. En toile de fond, se devine la fameuse Route des tonneaux et des canons dont l’objet est la mise en valeur de l’itinéraire qu’empruntaient les matières premières destinées à l’arsenal de Rochefort. D’autres projets d’animation sont à l’étude.


• Le site historique où étaient coulés certains canons de la frégate de La Fayette
 a repris du service en 2014 avec la fabrication d'un canon réalisée pour la frégate l'Hermione

• Sur le site, démonstrations de travail de coutellerie, coulée de bronze, stands des artisans, etc.

Au gré des stands



Aiguiser ses couteaux !
Actionner le soufflet
Fabriquer des briques
Ou des girouettes

• De nos jours, de nombreuses fonderies ont vécu une révolution quand les fours électriques à induction ont remplacé le cubilot et son ancestral mode de fusion au coke. Conforme aux normes environnementales, ce nouveau procédé de production permet aux entreprises d’être plus réactives dans un souci permanent de répondre aux attentes de leurs clients.

• La fonte était produite dans le haut-fourneau. Dans la forge basse, on transformait la fonte de fer en acier par réchauffe et martelage.

• Balade dans les anciennes forges : 
Un lieu à la fois chargé d’histoire et bucolique

 
• Quelques dates : 

1766 : On y fabrique des canons pour Ruelle et du fer
1774 : Outre le haut fourneau, elles sont équipées d'une forge à battre à deux feux.
1789 : 80 ouvriers travaillent à la forge pour atteindre une centaine au début du XIXe siècle
1811 : On y produit 5000 quintaux métriques de fonte en gueuse et 500 quintaux de fer forgé. Un haut fourneau, trois affineries, deux marteaux
1868 : Cessation des activités face aux nouvelles technologies

• Visite des vestiges des ateliers qui composaient la forge et l’affinerie ( Les étangs, les halles à charbon, le lavoir à minerais, le bocard, le haut-fourneau, l'affinerie et la maison du maître de forges). A noter le cadre environnemental : deux étangs et des arbres magnifiques…

Photos © Nicole Bertin

 • Montalembert, intimement lié à la région

Le marquis de Montalembert est né à Angoulême le 16 juillet 1714. Ingénieur, il est spécialisé dans les fortifications défensives. En 1750, il convertit un ancien moulin à papier, situé sur la Touvre à Ruelle, en forge à canons. Avec cette forge, celle de Forgeneuve à Javerlhac en Périgord et d'autres forges qu'il prend à ferme, il propose de fournir à la marine les canons de fonte de fer dont elle a besoin. La forge devient fonderie à canons pour la marine du Roi en 17531. À la suite de conflits d'ordre technique et financier, le gouvernement du roi Louis XV prend le contrôle de la forge en 1755 sans offrir aucune indemnité au marquis.
À demi ruiné, il reprend sa carrière militaire pendant la guerre de Sept Ans. Il présente alors au duc de Choiseul, ministre, son Mémoire sur les fortifications. Ses plans sont amèrement critiqués dont les canons de trop fort calibre qui mettraient à l'épreuve la solidité de l'édifice.
Piqué, le marquis fait construire à ses frais le fort de l'île d'Aix, qui ne coûte que 800 000 livres et dont la solidité résiste à toutes les épreuves. Après de longues procédures judiciaires pour faire reconnaître sa propriété en Angoumois, Montalembert revend en 1774 Ruelle et Forgeneuve au comte d'Artois (le futur Charles X) qui la cède au roi Louis XVI en 1776. Le marquis obtient alors une indemnité de 20 000 livres de rentes qu'il ne touchera jamais…
Il meurt à Paris le 28 mars 1800, à l'âge de 85 ans, doyen des généraux et des membres de l'Académie des sciences.

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