lundi 7 novembre 2016

Bertrand Piccard, pilote de Solar Impulse, à Royan : un tour du monde de 43 041 km en avion uniquement grâce à l'énergie solaire !

« Si des dizaines de milliers de personnes se mettent à économiser 10% d’énergie et si elles poussent les gouvernements à mettre en place une politique énergétique plus ambitieuse, Solar Impulse aura véritablement été utile »…


Samedi 29 octobre, Bertrand Piccard était l’invité du festival des Nouvelles Explorations organisé au palais des congrès de Royan. Nombreux attendaient avec impatience l’initiateur du projet Solar Impulse, cet avion solaire devenu mythique avec lequel il a réalisé, aux côtés d’André Borschberg, un tour du monde de mars 2015 à juillet 2016. Décollant d’Abou Dabi, Solar Impulse a traversé l’Inde, la Chine, le Pacifique, les Etats-Unis, l’Atlantique, l’Europe du Sud pour revenir à son point de départ. « We made it », eh oui ils l’ont fait et cet exploit s’insère pleinement dans la recherche d’énergies renouvelables non polluantes. C’est pourquoi, avec son coéquipier, l'aéronaute a créé le Comité international des technologies propres qui réunit des chercheurs venant de tous les horizons. Son objectif ? Préparer « l’après pétrole ».



Existe-t-il un gène de l’exploration ? On pourrait le penser en observant la généalogie de Bertrand Piccard. Né en Suisse, à Lausanne, il est le fils de l'océanographe Jacques Piccard, détenteur du record mondial de plongée en sous-marin dans la fosse des Mariannes (- 10916 m) et le petit-fils du physicien Auguste Piccard qui inspira, à Hergé, le professeur Tournesol (il a été le premier à atteindre la stratosphère à bord d'un ballon). Des "savanturiers", hommes entreprenants, esprits curieux et non conformistes. Audacieux aussi, sachant tenter l’impossible en sortant des sentiers battus.
Baignant dans une ambiance familiale intellectuelle et novatrice, Bertrand Piccard ne pouvait se confiner à sa profession de psychiatre. Se pencher sur la nature humaine, c’est aussi imaginer son devenir et sur ce chapitre, les interrogations sont nombreuses. C’est aussi inventer comme le firent, tout au long des siècles, chercheurs et savants. A l’Inquisition qui longtemps freina les progrès scientifiques au nom de la religion, se sont substitués les lobbies. Vous savez, les grands groupes qui préfèrent leurs actions en bourse et leurs dividendes au bien-être de l’humanité...

Bertrand Piccard, Didier Quentin, maire de Royan, Bettina Laville et François Marot, organisateurs du Festival des Nouvelles Explorations
Comment voler sans aucun carburant ? 
Ainsi est né le rêve de Solar Impulse

Comment agir dans ce contexte ? La réponse est simple, il faut apporter la preuve que tout est possible en affrontant les réflexions du style « Un tel projet est irréalisable !» ! Solar Impulse, par exemple, est un avion révolutionnaire qui fabrique sa propre électricité grâce au soleil, il peut donc voler « perpétuellement ». « Et contrairement à Icare, il ne se brûle pas les ailes au soleil ! » remarque avec humour Bettina Laville, organisatrice du festival.
L’objectif est de proposer de nouvelles technologies dont la fiabilité doit être testée. Pensez aux pionniers de l’aviation : en pilotant eux-mêmes leurs inventions, parfois au péril de leur vie, ils ont apporté leur pierre à l’édifice !
Bertrand Piccard leur ressemble. Après plusieurs « ratés », il est parvenu à effectuer, avec le britannique Brian Jones, le premier tour du monde sans escale à bord du ballon Breitling Orbiter 3. Un vrai challenge en 20 jours avec cette crainte : le propane. « S’il vient à manquer, vous savez que vous allez tomber. A mon arrivée, il en restait seulement 40 kg. D’où cette question : jusqu’à quand utiliserons-nous les énergies fossiles et comment voler sans aucun carburant ? Ainsi est né le rêve de Solar Impulse ».


Solar Impulse a été conçu par une pépinière de talents : « ce fut plus dur pour les ingénieurs que pour les pilotes » avoue Bertrand Piccard. Certains trouvaient le rêve inaccessible et les équipes voyaient d’un mauvais œil qu’un prototype, minutieusement et durement construit, puisse vivre ce que vivent les roses, l’espace d’un matin en cas d’accident.  « Les ingénieurs doivent apprendre à devenir eux-mêmes des explorateurs » estime l’aéronaute. Avoir foi dans leur quête, un peu comme Indiana Jones dans « La dernière croisade », quand il pose le pied sur une arche invisible pour rejoindre le gardien du Graal.

En effectuant un tour du monde, Solar Impulse a démontré qu’on pouvait voler sans polluer grâce à des capteurs solaires et une haute technologie : ce système ne relève pas de la science fiction ! « Là-haut, c’est la liberté, le calme. Le retour dans l’ancien monde, celui de la pollution et du pétrole, est plus difficile ! ». Les images du film réalisé lors des différentes étapes sont magnifiques, vol au dessus des pyramides d’Egypte, du Golden Gate à San Francisco, la statue de la Liberté à New-York. Pilotes accueillis comme des héros, regard admiratif des foules face à ce bel oiseau de 72 mètres d’envergure.
Derrière ce reportage, se cache l’envers du décor. Le voyage en lui-même a demandé une intense préparation aux pilotes : comment stocker assez d’énergie dans les batteries, par exemple, pour rester en l’air jusqu’à ce que l’astre du jour soit à nouveau présent pour accomplir son rôle ? Les pionniers ont appris à s’organiser avec un objectif en tête : « économiser les ressources de la planète, réconcilier l’environnement et l’industrie ». 

A en croire le discours des écologistes, pour survivre, l’homme devrait abandonner certaines habitudes. C’est à dire faire marche arrière. « Réduire le confort, la mobilité et les échanges entraînerait des problèmes sociaux. Il faut au contraire développer des technologies propres et moins gaspiller pour permettre à l'humanité d’évoluer. Certaines étapes, à bord de Solar Impulse, nous ont obligés à voler seul plusieurs jours consécutifs. C’est de la folie, direz-vous. Non, la folie consiste à trouver normal le fonctionnement de notre société, à ne pas essayer de l’améliorer » souligne Bertrand Piccard. Chaque geste compte dans la vie quotidienne. Cependant, les créneaux proposés doivent s'avérer efficaces (stockage réel des panneaux solaires, etc), le citoyen "normal" n'ayant pas forcément toutes les cartes en main…


Solar Impulse au dessus des pyramides d'Egypte
En Espagne
Le monde de l’exploration, ce n’est pas du spectaculaire !

Pour Bertrand Piccard, l’exploration doit comporter une dimension philosophique pour être utile aux autres : « ce n'est pas du spectaculaire ». Avoir des idées ne suffit pas, « quelqu’un doit croire en vous ». Pour Solar Impulse, il a trouvé une oreille attentive auprès de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne : « après lui avoir présenté notre vision d’un  vol perpétuel, une étude de faisabilité a été lancée. Elle est arrivée à la conclusion que nous devions construire un appareil de l’envergure d’un Jumbo Jet pour le poids d’une voiture, soit des ailes de 72 m pour un poids total de 2300 kg. Du jamais vu, du jamais fait. De quoi faire fuir tous les fabricants d’avions ! De quoi nous stimuler, André et moi. Le projet du Solar Impulse I a été lancé officiellement par une conférence de presse alors que nous n’avions ni argent, ni équipe. Une façon de nous empêcher d’abandonner en cours de route. L’avantage de ne rien avoir au commencement est d’être totalement libre de créer quelque chose de révolutionnaire ».
La diversité du groupe constitué est à souligner (les grosses pièces en fibres de carbone ont été sous-traitées à un chantier naval). Celle des pilotes également : l’un est pilote de chasse et l’autre pilote de ballon et psychiatre ! « Tous deux, nous ne faisons pas deux, mais trois » dit-il. Explications : Chacun émet son point de vue ; la troisième voie, celle de l’analyse, se compose de l’adjonction des deux.
Solar Impulse II a nécessité deux ans de travail. Il fait penser à Dumbo avec ses deux grandes ailes et en plus, il est dix fois plus léger qu’un planeur de compétition. Il a été fabriqué en Suisse. Plusieurs mécènes ont participé à l’aventure, certains venant de secteurs inattendus (Laboratoires Clarins, champagne Moët et Chandon). Sans oublier Google qui finance moult recherches. Personne du côté des compagnies aériennes…  

Apprendre à changer d'altitude
« Pour innover, il faut sortir du système. S’écarter du tracé unique, chercher toutes les options, se transformer effectivement en explorateur ». Et Bertrand Piccard de comparer les pas vers "l’inconnu" à un vol en ballon : « On dépend du vent. Pour changer de direction, il faut varier d’altitude. Dans la vie, c’est pareil ». Une telle remise en question demande du courage, de la détermination. « On hésite, on préfère ne pas prendre de risques. Les gens qui ont des convictions fortes sont des dangers publics ». Bref, méfions-nous du conditionnement, obstacle à la création. « Qui que nous soyons, avec notre chemin et nos aspirations, notre potentiel et nos handicaps, nous devrions au moins pouvoir nous dire une chose : j’ai tout fait pour avoir une vie intéressante et utile. Intéressante pour apprendre, progresser, se développer, mais cela ne suffit pas au risque de rester égoïstement dans son monde. Utile aussi afin d’apporter aux autres de l’énergie pour avancer sans toutefois que notre altruisme nous fasse perdre de vue notre propre but. Il faut les deux, la relation à soi-même et la relation aux autres. Quels que soient les vents que vous rencontrerez, l’essentiel est de vous rappeler que c’est à vous de définir l’altitude de votre existence ».

Dans la salle, le public est attentif. Bertrand Piccard explique comment il a franchi les obstacles en changeant précisément de direction, en abandonnant sa zone de confort et en développant ce qu’il y a après. A toutes les époques, des hommes et des femmes ont tenté des expériences. Sans eux, que serait le XXIe siècle ? Science, recherche, médecine.
Et le fameux gène de l’exploration dans tout ça ? « Si ce gène s’acquiert par l’éducation, tout est possible » dit-il avec une logique imparable. On comprend qu’il ait été un calvaire pour les enseignants ! Dans sa jeunesse, il voulait devenir archéologue pour découvrir la mystérieuse Atlantide. Depuis, Bertrand Piccard a fait d’autres découvertes, tout aussi passionnantes…

Confidences :

Les questions du public où Bertrand Piccard se livre à la confidence : « Petit garçon, j’étais craintif et je ne voulais même pas monter dans un arbre ». Jusqu’à sa passion pour le deltaplane ! (pionnier du vol libre et ULM en Europe, sacré champion d'Europe de voltige en deltaplane en 1985). « Ayez confiance en vous ! » dit-il.
A-t-il connu des échecs ? Il sourit en évoquant son premier vol en ballon qui s’échoua en Méditerranée six heures après son décollage.
Fera-t-il un autre tour du monde en avion solaire ? « Deux, c’est assez ; trois, c’est trop ! ».  

Débat avec le public
Les grandes dates : 
  
• 26 juin 2009 Présentation du premier prototype de Solar Impulse 1 HB-SIA à Dübendorf.
• 13 mai 2011 : premier vol international du HB-SIA entre l'aérodrome militaire de Payerne (Suisse) et l’aéroport de Bruxelles (Belgique). Piloté par André Borschberg, l'avion a parcouru 630 km durant 13 heures, à la vitesse moyenne d'environ 50 km/h et à une altitude d'environ 12 000 pieds.
• 2012-2013 : construction du deuxième prototype Solar Impulse 2 immatriculé HB-SIB (Hotel Bravo Sierra India Bravo)..
• 2014 : le premier avion Solar Impulse 1 (HB-SIA) est mis en vente, le sponsor Solvay le rachète.


• 9 mars/juillet 2015 : tentative de tour du monde en plusieurs étapes ; Abou Dabi est la ville de départ et d'arrivée prévue de Solar Impulse 2. Trajet en 5 mois environ dont 25 jours de vol effectif.
• 3 juillet 2015 : sa mission est interrompue à cause d'une panne sur ses batteries.
• 21 avril 2016 : Après avoir été immobilisé pendant huit mois à Hawaï, l'avion reprend son tour du monde pour rallier la côte Ouest des États-Unis.
• 24 avril 2016 : Solar Impulse 2 a bouclé la traversée du Pacifique et s'est posé sur la base aérienne de Moffett, au sud de San Francisco, en Californie juste avant minuit, heure locale (7 h 0 GMT), trois jours après son décollage jeudi d’Hawaï.
• 3 mai 2016 : Solar Impulse 2 a réalisé sa première étape américaine. Il survole la Californie du Nord au Sud, tengeante plus de 22 600 FT (6 899 mètres) au-dessus du village historique de Pioneertown, haut-lieu de tournages de westerns, dans les années 1940, avant d'arriver à Phoenix (Arizona)
• 23 juin 2016 : au terme d’un périple de 6 272 kilomètres au-dessus de l’océan Atlantique, l’avion Solar Impulse 2 a atterri jeudi 23 juin à Séville, dans le sud de l’Espagne.
• Du 11 au 13 juillet, André Borschberg vole de Séville au Caire, en survolant les Pyramides avant d'atterrir.
• Le 24 juillet, Bertrand Piccard décolle du Caire pour la dernière étape. Il atterrit à Abou Dhabi le 26 juillet vers 0 h 5 UTC (4 h 5 à Abou Dabi), achevant ainsi le premier tour du Monde en avion propulsé uniquement par l'énergie solaire.

• L’aventure se poursuit

A vu le jour un comité mondial des technologies propres qui regroupe les acteurs du réseau Solar Impulse, mais aussi des chercheurs qui travaillent sur les énergies renouvelables : « notre but est de permettre à toutes ces personnes de se regrouper et d’échanger ». N’hésitez pas à contacter Bertrand Piccard sur le site www.bertrandpiccard.com

Après la conférence, Bertrand Piccard dédicace son livre "Changer d'altitude" 
paru aux éditions Stock
• Les retombées du vol Solar Impulse sont nombreuses : solvant pour panneaux solaires, matériaux, ascenseur solaire, nouvelle mousse isolante, leds, batteries, etc

• Alors que Solar Impulse I n’était qu’un prototype, Solar Impulse II a démontré ses pleines capacités. Piloté à tour de rôle par Bertrand Piccard et André Borschberg, son cockpit ne fait que 3,8 m3, un espace estreint qui demande une adaptation. Ses pilotes ont réalisé un tour du monde entre mars 2015 et juillet 2016, la traversée du Pacifique représentant le record de vol en solitaire sans ravitaillement ni escale avec 5 jours et 5 nuits pour parcourir 8 900 km.

• Coût de Solar Impulse : 170 millions d’euros (la moitié du budget d’un film à Hollywood). Quel musée l’accueillera vu la longueur de ses ailes (72 mètres) ? Question.

• Bernard Piccard estime que la meilleure voiture électrique actuellement sur le marché est proposée par Tesla, la version la plus performante autorisant environ 560 kilomètres d’autonomie en cycle normalisé.

• Dormir dans Solar impulse : on peut dormir par tranches de 20 minutes. En théorie et s’il y a un problème, un signal sonore annonce la couleur ! Bertrand Piccard utilise l’autohypnose et André Borschberg le yoga.

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