mercredi 9 novembre 2016

Garçons émasculés, filles d'à peine huit ans violées collectivement puis assassinées : victimes de la guerre civile, les Soudanais du Sud, devenus migrants, quittent leur pays…

Mardi, à la Rochelle, l’association SOS Méditerranée, dont le bateau l’Aquarius intervient au large de la Libye, a présenté ses actions de secours aux migrants. Elle a également soulevé le voile sur le sort difficilement supportable des populations africaines victimes de la guerre civile. Adam et Idriss, deux Soudanais accueillis par les associations rochelaises, ont apporté leur témoignages.

L'Aquarius de SOS Méditerranée : il est positionné en haute mer au Sud de l'Italie et 
peut intervenir rapidement dans les eaux internationales
Salle de l’arsenal, mardi en fin de journée. Dans le cadre des Assises de l’économie et de la mer qui ont reçu le matin même François Hollande à La Rochelle, l’association SOS Méditerranée organise une réunion d’informations sur les actions qu’elle conduit en Méditerranée. Un large public a répondu à l’invitation.
En France, on parle beaucoup des migrants depuis le démantèlement de la jungle de Calais. Alors que la perspective des Présidentielles de 2017 anime les débats et qu’un coup de massue a frappé la classe politique tricolore depuis l’élection de Donald Trump aux USA, les citoyens sont éloignés des crises qui frappent l’Afrique. Ils entendent surtout parler de la Syrie et de la prise de Mossoul en Irak. Ainsi, pris entre les querelles de Sarkozy, Juppé, Hollande et Marine Le Pen, ils restent les pieds plantés dans leurs « charentaises », fort utiles en ces temps de frimas.

Sauvetage de migrants en Méditerranée
On ne soulignera jamais assez le travail des associations caritatives. Leur ligne de conduite ? Le bon sens, la solidarité, l’entraide. Parmi elles, SOS Méditerranée est née de la rencontre d’un capitaine de marine marchande allemand, Klaus Vogel, et de l’humanitaire française Sophie Beau. Des migrants mouraient en tentant de rejoindre l’Europe, combien de temps encore allait-on fermer les yeux ?
La société civile s’est donc mobilisée en 2015 pour créer cette unité de secours à partir d’un bateau l’Aquarius et d’une équipe comprenant des professionnels de la navigation (11), une équipe médicale (8, Médecins du Monde) et des sauveteurs (8) : « depuis l’an 2000, c’est plus de 30.000 personnes qui sont mortes en tentant de rallier les côtes européennes. La traversée entre la Libye et l’Italie en fait l’axe migratoire le plus mortel au monde. En 2015, 2892 personnes ont péri sur cette route censée les conduire vers la liberté » explique la directrice générale adjointe, Fabienne Lassalle.

Fabienne Lassalle, directrice générale adjointe
Le dr Guillaume Fauvel et Gildas Kerdoncuff, organisateurs de la soirée, rappellent que l’implication de l’Aquarius s’avère indispensable : « la mobilisation à terre continue pour sensibiliser les citoyens à la situation en Méditerranée et financer la continuité des opérations. 35 opérations de sauvetage, permettant l’assistance à 7967 hommes, femmes et enfants en détresse, ont été réalisées en huit mois ». Après deux « campagnes », une troisième est en cours jusqu’en février 2017.
Sont exposés les buts poursuivis : sauver des vies, accompagner les personnes blessées et traumatisées et enfin témoigner de la réalité des migrants dont certains perdent malheureusement la vie. A cette question ? « les familles recherchent-elles les disparus ? », un rescapé répond négativement. « Face à la violence, chacun suit son propre chemin. En dehors des nôtres, nous ne sommes plus personne ». 

Un nombreux public
Mais qui sont-ils ces migrants que la population occidentale pointe parfois du doigt ? Quand on découvre le quotidien de ceux qui s’enfuient par voie maritime, on ne peut guère les taxer de « venir manger le pain des Français ». S’ils ne sont pas secourus, il leur est impossible d’arriver jusqu’à l’île de Lampedusa sur une fragile embarcation, la plupart du temps surchargée. « Soit ils sont localisés et pris en charge, soit ils périssent noyés » remarque Antoine, membre de l’équipage.
Quand ils quittent l’Afrique, ils ignorent ce qui les attend. Les passeurs ne les préviennent pas des dangers qui les guettent et puis la Méditerranée est une mer capricieuse, le temps pouvant se gâter d’une heure à l’autre. Et d’ajouter : « A bord de l’Aquarius, nous patrouillons et travaillons en étroite relation avec les autorités italiennes qui coordonnent les opérations. Je me souviens d’une journée, fin août, où les gardes-côtes ont porté assistance à 6500 migrants au large de la Libye. On a compté 45 opérations. Chacune d’elles dure entre une heure et une heure et demie. Les rescapés viennent de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Ouest. Les Italiens s'occupent d'eux par la suite ».

« En Lybie, ils disent aux enfants de tester leurs armes sur les Noirs »

Images extraites du film

Ce sauvetage en direct, le public l’a suivi à travers le regard du cinéaste Jean-Paul Mari, « Les migrants ne savent pas nager ». A bord de l’Aquarius, le grand reporter a filmé plusieurs interventions. Prises de vue émouvantes, gorges qui se serrent, mains tendues, help. Hommes à la mer parfois. Chaloupes croulant sous le poids, prise en charge, organisation, chaleur humaine, intervention des médecins, pudeur, joie (certains parlent de renaissance ou baisent le pont du bateau), yeux perdus des femmes, témoignages d’un migrant qui vagabonde depuis sept ans entre différents pays pour manger, sans avoir de nouvelles des siens. Apaisement, sourire des enfants. La paix pour quelques jours.
Arrivée des équipes italiennes en tenue de cosmonautes, pardon en tenue de protection blanche, masque sur le visage. Retour aux réalités, nouvelle étape, destin : pile ou face ?

Idriss et Adam aux côtés de Giselle Eh Raheb, interprète
Ce périple, deux Soudanais, Adam et Idriss l’ont vécu et c’est avec émotion qu’ils ont découvert le travail de Jean-Paul Mari. Comment oublier des moments qu’ils ont eux-mêmes traversés ?  Ils remercient ceux qui les ont aidés « à sortir des limbes, aux marges de l’enfer ». Adam est arrivé avec sa compagne et ils viennent d’être parents ; Idriss est venu avec sa famille. Logés aux environs de La Rochelle, ils sont dans l’attente d’une régularisation.
Derrière eux, se cache un drame que vit le Soudan du Sud. Indépendant du Nord depuis 2011, la guerre civile y fait rage depuis la fin 2013, résultant d’une opposition entre les forces du président Salva Kiir et celles du chef rebelle Riek Machar soupçonné d’avoir fomenté un coup d’état. Des crimes horribles ont été perpétrés.

Saignés à mort, gorges tranchées

Selon le directeur général de l'Unicef, « la violence contre les enfants au Soudan du Sud a atteint un nouveau sommet dans la brutalité. Des survivants ont raconté qu'on a laissé saigner à mort des garçons émasculés, que des filles d'à peine huit ans ont été violées collectivement puis assassinées. Des enfants ont été attachés ensemble avant que leurs agresseurs ne leur tranchent la gorge, d’autres ont été jetés dans des bâtiments en feu. En outre, environ 13.000 enfants auraient été enrôlés dans les groupes armés des deux cotés ».

Le Bureau des Affaires humanitaires de l'organisation internationale (Ocha) affirme qu'un enfant sur trois est sévèrement sous-alimenté et 250.000 enfants risquent de mourir de faim. Il rappelle également que les deux-tiers des 12 millions d'habitants du pays ont besoin d'aide et que 4,6 millions d'entre eux risquent de manquer gravement de nourriture. 

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme confirme cette violence dans un rapport : « C’est une femme contrainte de se déshabiller sur une route avant d’être violée par cinq soldats devant ses enfants. Puis violée à nouveau dans des buissons par un autre groupe, avant de découvrir que ses enfants avaient été kidnappés. C’est une autre femme attachée à un arbre après avoir vu son mari se faire tuer. Et contrainte de voir sa fille de 15 ans violée par dix soldats »… 

Les sauveteurs italiens et leur tenue de protection...
 Interprète, Giselle El Raheb avoue que les personnes recueillies sont dans des états psychologiques fragiles : les uns ont du mal à croire qu’on puisse traiter des êtres humains comme ils l’ont été dans leurs pays, les autres en arrivent à douter quant à leurs convictions religieuses. Dans tous les cas, ils sont déracinés. Dans le reportage, l’un des migrants déclare que les Libyens détestent les Noirs : « ils achètent des armes aux enfants et leur disent de s’exercer à tirer sur nous. Ils nous arrêtent et si nous voulons manger un morceau de pain, nous devons le payer et demander de l’argent à nos familles. Et que dire du viol des femmes ». Abominables ces témoignages ? Oui ils le sont… et ils se déroulent dans la parfaite « ignorance » des pays dits civilisés. Au nom des gisements, du pétrole, de l’uranium et de ces petites choses dont nous avons besoin dans notre vie quotidienne.

Laissons la conclusion en forme d’espoir aux responsables de l’association : par ses interventions, elle « humanise la Méditerranée » et démontre par l’Aquarius, son équipe et ses donateurs que l’Europe des citoyens existe !

Discussion après la conférence. De janvier à novembre 2016, 4220 victimes sont mortes 
en Méditerranée, dont 3743 en Méditerranée centrale (88%)
• Le droit européen ne permet pas de créer une association européenne, d’où la création d’entités nationales de SOS Méditerranée en Allemagne, en France et en Italie. On parle aussi du Danemark. « La mobilisation a été extraordinaire » reconnaissent Fabienne Lassalle et Coralie, « le financement participatif par internet nous a permis de recueillir à notre création 275.000 euros en 40 jours ». Le budget des campagnes est de 11000 euros par jour (dont 30% réservé au fuel). La société vit grâce à des fonds privés en majorité (10.000 donateurs, mécènes, entreprises). C’est un travail de tous les instants avec une priorité, se faire connaître auprès de la population. L’association cherche d’ailleurs 642000 euros pour financer sa nouvelle intervention qui aura lieu durant l’hiver.
Francis Vallat préside SOS Méditerranée France ainsi que de l’European Network of Maritime Clusters qui coordonne les Clusters nationaux de 17 pays européens. Ancien armateur, c’est un acteur engagé du développement durable.


• Au nom de la Ligue des Droits de l’homme, Yefri Benzerga, conseiller municipal de la Rochelle, a insisté sur la nécessité d’aider ces hommes et ces femmes en errance.

Aucun commentaire: