dimanche 6 novembre 2016

23650 lettres en 50 ans d’amour : Dans l’intimité de Victor Hugo et de Juliette Drouet

Ecrivain renommé, Victor Hugo possède un incroyable tableau de chasse féminin. « Immense dans tous les domaines » disaient ses contemporains, envieux d’un tel champ de conquêtes ! Rendons hommage à la plus touchante de ses compagnes, Juliette Drouet, que le théâtre a porté sur les planches. La monumentale correspondance de ces deux êtres a inspiré Anthéa Sogno. Elle en fait une pièce qui illustre les grands moments de leur vie amoureuse, littéraire et politique. Elle a été présentée vendredi soir à Jonzac.

Anthéa Sogno et Sacha Petronijevic
Vendredi, la saison des Feuillets d’automne s’est ouverte sur une pièce de théâtre, « Victor Hugo, mon amour ». Guidé par deux comédiens de talent, Anthéa Sogno et Sacha Petronijevic, le public se trouvait au cœur d’une aventure sentimentale qui a traversé les époques. Juliette Drouet et Victor Hugo. Aussi célèbre que la marquise de Pompadour et Louis XV ? Pas tout à fait, mais sûrement plus émouvante car le personnage de Juliette est attachant par sa fidélité à un infidèle.

23650 lettres ou messages en 50 ans de liaison : « Les lettres que Victor et Juliette se sont écrites sont si belles, qu’une simple lecture aurait suffi à nous enchanter, mais nous avons souhaité aller au-delà pour atteindre une plus grande théâtralité.  Les dialogues de cet ouvrage ont été uniquement reconstitués d’après leurs écrits, lettres, journaux intimes, pièces de théâtre, poèmes. Ces dialogues forment une enfilade de scènes qui racontent toute leur vie, de leur rencontre sur la scène du théâtre de la porte Saint-Martin, jusqu’au jour où, 50 ans plus tard, Juliette ferme les yeux pour toujours en 1883. On dit que ce jour-là, Victor Hugo ferma son encrier pour toujours, il cessa d’écrire. Ce qui prouve bien que Juliette était non seulement le grand amour de sa vie, mais aussi la muse absolue » explique le metteur en scène Jacques Décombe.

Anthéa Sogno dans le rôle de Juliette Drouet
Eprise, retirée, cible d’une société hypocrite, Juliette Drouet n’a jamais baissé les bras pour montrer à son « Toto » combien son attachement était grand. Sur la scène du théâtre du château, les moments enjoués et câlins se succèdent entre froufrous et dentelles, ce qui fait dire à un spectateur : « il fait chaud ce soir ! ». Juliette est entière et pas rancunière. Son Toto, elle l’a même sauvé quand Napoléon le Petit voulait sa peau. Elle l’a accompagné dans son exil et quand il l’a délaissée, elle a continué à le vénérer comme un dieu. Si c’est pas de l’amour, ça lui ressemble !

Il faut dire qu’Hugo est un écrivain monumental et ses engagements contre la misère, par exemple, rendent ternes les interventions des hommes politiques actuels. Il a d’ailleurs été l’un des premiers à se prononcer contre la peine de mort. Voilà pour l’aspect officiel. Mais dans l’intimité ? Hugo était démesuré en tout. « En ce qui concerne la bagatelle, octogénaire, il a sauvé l’honneur de la littérature française » plaisantait à son sujet Henri de Montherlant tandis qu’André Maurois assurait que « les servantes d’Hugo avaient leur chambre à côté de la sienne, Boz n’étant pas toujours endormi ! ».
Si Juliette Drouet est passée à la postérité, Victor Hugo aurait rencontré un nombre important de femmes (entre 500 et 700 ?) et sans doute ont-elles contribué à sa bonne santé puisqu’il est mort à l’âge de 83 ans. Il n’a jamais été malade à l’exception d’une petite attaque en 1877 et d’un phlegmon.

« L’homme a reçu de la nature une clé avec laquelle il remonte sa femme toutes les 24 heures »

Fils du Général d’Empire républicain Léopold Sigisbert Hugo, Victor est né à Besançon en 1802, au 23 de la Grande Rue. Sa mère, Sophie Trébuchet (vendéenne royaliste) n’est pas une épouse hautement dévouée. Elle se rend souvent en Normandie, dans un petit manoir qui a été construit par l’un des descendants de Louis XIV et de la marquise de Montespan. Elle y retrouve son amant Victor de la Horie. De là à en déduire qu’il pourrait être le vrai père de Victor, il n’y a qu’un pas. L’enfant, qui porte son prénom, le connaît. Et pour cause, il vit officieusement avec sa mère.
Lorsque la police poursuit La Horie, Sophie le cache dans sa maison de l’ancien couvent des Feuillantines, près du Panthéon à Paris. Le petit garçon passe avec lui de longs moments, apprend le latin et savoure la poésie. M. de Courlandais, comme il se fait appeler, est aussi son parrain.

Vers l’âge de 20 ans, Victor Hugo envisage de se marier avec Adèle Foucher. Dans un premier temps, les parents y sont opposés. M. Foucher ne veut pas d’un plumitif pour gendre et Sophie Trébuchet n’imagine pas une fille de fonctionnaire dans sa parenté. Les choses s’arrangent quand la situation de Victor s’améliore. Alors monarchiste, il touche une pension du Roi qui lui est bien utile.


Les deux jeunes gens, qui n’ont jamais commis d’écart, convolent en justes noces. Le bât blesse dès la première nuit. Victor est pris d’une ardeur extraordinaire et la malheureuse Adèle, peu habitée à ce type d’exercice, en sort meurtrie : « neuf fois sur le mé tier, il remit l’ouvrage » dit-on. Il prend goût à cette nouvelle activité puisqu’il déclare : « l’homme a reçu de la nature une clé avec laquelle il remonte sa femme toutes les 24 heures ». A ce rythme, Adèle tombe rapidement enceinte. Elle met au monde Léopold, qui meurt peu après sa naissance. Suivront Léopoldine, Charles, F. Victor et Adèle II.
Agacée par les avances incessantes de son mari, Adèle finit par lui claquer la porte au nez. Serait-il un obsédé sexuel qui manquerait terriblement de tendresse ? Elle ne veut pas le savoir et préfère prendre les devants. En ce sens, elle est déjà très moderne : « Fais ce que tu veux à condition que nous sauvions les apparences ». En conséquence, ils ne divorceront jamais. Néanmoins, Victor Hugo est placé devant une terrible réalité : sa femme légitime l’a abandonné...
Libre à moitié, il part vers de nouveaux horizons et rencontre une comédienne, Juliette Drouet (Julienne Gauvain de son vrai nom), belle comme un cœur, qui joue un petit rôle dans Lucrèce Borgia. Apparemment, elle découvre l’amour avec son séducteur. Ils ne se quitteront plus. La correspondance qui nous est parvenue démontre que leur lien n’était pas que platonique : « je vous aurais avalé comme une cerise si vous n’aviez eu de queue ! » avoue-t-elle. Peu à peu, Juliette se rend indispensable. Elle occupe tous les postes à la fois : elle est maîtresse, secrétaire, repasseuse. N’allez pas croire qu’elle est bornée. Au contraire, elle l’aide dans son travail, fait des relectures et écrit régulièrement. Moins bien que son amant à qui elle coûte cher en colifichets et broderies. Elle a dû abandonner le théâtre, les tréteaux ayant été bien savonnés à son arrivée !

Juliette Drouet, ravissante et passionnée
Leur liaison n’est pas un long fleuve tranquille. Il la cache, il la jalouse et la séquestre dans un petit appartement. Surtout, il lui demande d’être économe. Bien qu’asservie, elle ne se rebelle pas. Elle espère. Son seul moment de bonheur est un voyage, chaque année, de quelques semaines. Elle est à ses côtés, dans un café de Rochefort, quand il apprend la noyade de sa chère Léopoldine en 1843. « Avec sa fille, il entretenait une relation qu’on pourrait qualifier d’intellectuelle incestueuse. C’était la seule femme qu’il aimait véritablement. Il était d’ailleurs contre son union avec le fils d’un armateur du Havre » estime l’écrivain Michel de Decker. La mort de Léopoldine est une tragédie pour Victor Hugo.

Désemparé, son appétit pour les femmes n’en est que plus féroce. Il a une liaison avec Léonie d'Aunet, mariée à un artiste peintre qui a le désavantage d’être âgé. Elle s e rend au domicile de Victor Hugo par un escalier dérobé qui conduit à son bureau. Ainsi peut-elle traverser le salon sans risquer de croiser Adèle (qui se console dans les bras de Sainte-Beuve, baptisé Sainte-Bave par Hugo). Notre Don Juan a bien envie passer une nuit entière avec Léonie. La rencontre a finalement lieu rue Saint-André des Arts. Or, au petit matin, les tourtereaux voient surgir un huissier. L’époux soupçonneux a fait suivre sa dulcinée et la voilà prise en flagrant délit d’adultère. A cette époque, on ne badine pas avec l’amour : Léonie est conduite à la prison Saint-Lazare tandis que l’autre fautif, qui est pair de France, est intouchable de par sa condition. Il est inquiet tout de même. Si cette histoire venait à se savoir, qu’en serait-il de sa notoriété ? Il se rend chez la princesse Hélène et lui demande d’intercéder en sa faveur auprès de Louis Philippe. Compréhensif, ce dernier a une idée. Il propose au mari de réaliser une fresque aux Tuileries. Une commande prestigieuse inattendue...
En échange, l’homme s’engage à ne pas porter plainte contre Hugo. L’affaire s’ébruite et fait le bonheur des journaux satiriques dont « L’assiette au beurre ».

Il séduit Louise Michel


Durant son exil à Jersey et Guernesey, Victor Hugo travaille autant qu’il ne courtise. Dans leur contrat, les servantes savent qu’elles peuvent arrondir leurs gages en se rendant dans la chambre de « Monsieur ». Il en fait une belle consommation, les renvoyant dès que leur ventre prend de l’extension. A sa manière, il participe au repeuplement des îles anglo-normandes ! Sur ses carnets, il note ses conquêtes par des appréciations personnelles et un code secret (au cas où) :  « voyage en Suisse » veut dire jolie poitrine ; il y a aussi « descente à la cave, promenade en forêt, trou du clou », etc. Enfin, quand la demoiselle est pucelle, elle est « ermite de la chaussée d’Antin ». Par chance, il ne contracte aucune maladie dite de « bonne galanterie », contrairement à Flaubert ou Maupassant (la syphilis est courante). Atteint de "priapisme" (érection continuelle), il est solide et entend le rester !
C’est à cette époque qu’il s’entiche de Mme de Girardin, femme d’un patron de presse, qui est médium. Ensemble, ils font tourner tables et guéridons. Ces séances de spiritisme se poursuivent pendant un certain temps. Victor Hugo cherche à entrer en contact avec sa fille adorée et disparue, Léopoldine. Il aurait aussi conversé avec Mahomet, Voltaire, Shakespeare et Napoléon. Après tout, pourquoi pas ?

Victor Hugo, désespéré par la disparition de sa fille Léopoldine qu'il apprend 
lors d'un déplacement à Rochefort
Après la chute de l’Empire, Victor Hugo rentre enfin en France. Il publie... et complète son tableau de chasse. La comédienne Sarah Bernard, si jeune par rapport à lui, fait partie des territoires occupés (elle fera une fausse couche). Juliette Drouet est toujours présente et se tait. A-t-elle d’autre choix ? Cependant, elle se fâche quand son compagnon de toujours - qui la traite de « vieille » -  veut conduire sa nièce Blanche dans son lit. A 78 ans, il n’a pas froid aux yeux. Il s’incline devant l’indignation que suscite cette perspective. Pas pour longtemps ! Avec la fameuse Louise Michel, l’anarchiste de la Commune, il a une brève rencontre qui aboutit à une naissance. Elle n’est pas très sexy, mais il s’en moque. Neuf mois plus tard, Louise met au monde une fille, Victorine. Enseignante chez les bonnes sœurs, elle se trouve dans l’obligation de l’abandonner. Cette histoire a été révélée par un descendant de Victorine, journaliste à Grandville, qui a réalisé une enquête sur sa famille.

Quand l’écrivain meurt, en 1885, la population est en émoi. Lors de ses obsèques, les prostituées - qu’il fréquentait assidûment et qu’il a toujours défendues - lui disent un « au revoir » particulier : durant 48 heures, elle livrent gratuitement leurs charmes aux passants.

Ainsi s’éteignit « celui qui fut un jour créé par un décret spécial et nominatif de l’Eternel ». Ecrivain à l’œuvre gigantesque, Victor Hugo n’aimait pas les demi-mesures. Pour sa fidélité et son amour, Juliette Drouet méritait bien d’avoir une place d’honneur à ses côtés !


• Anthéa Sogno et Sacha Petronijevic : « Nous avons fait tout cela pour faire du théâtre mais en jouant la pièce, nous avons très vite eu la sensation d’être au-delà, car nous n’interprétons pas des personnages de théâtre, nous ne jouons pas les dialogues d’un auteur dramatique, nous incarnons des héros qui ont vécu et les mots que nous nous disons sont les leurs ».

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