Claire Liaud est présidente du Tribunal de Grande Instance de Saintes depuis 2016. « La notion de justice me guide depuis que je suis enfant. La rencontre judiciaire peut changer la vie d’un individu » confie cette magistrate aux valeurs humanistes. Dans l’interview qui suit, sont abordés des volets de la nouvelle réforme pour la justice, fusion des Tribunaux d’Instance et de Grande Instance, Cour criminelle départementale ainsi que des sujets plus locaux comme les travaux qui seront effectués à la Maison d’arrêt de Saintes.
L’objectif de la loi de programmation 2018-2022 est de renforcer l’accessibilité et la qualité de la justice pour les justiciables et d’améliorer le quotidien des professionnels du droit et de la justice.
Au centre de la photo, Claire Liaud, présidente du TGI de Saintes |
La présidente du TGI répond à nos questions :
• Concrètement, que va changer cette loi ? Il est question, en particulier, de fusionner les Tribunaux d’Instance et de Grande Instance et de créer des pôles spécialisés dans les départements ayant plusieurs tribunaux de Grande Instance…
Claire Liaud, présidente du TGI de Saintes : Comme certains départements, la Charente-Maritime a la spécificité d’avoir deux tribunaux de Grande Instance, La Rochelle et Saintes. Soumise à publication de décret, la question de la spécialisation n’interviendra pas immédiatement. Une réflexion s’opérera sous le contrôle du Premier Président de la Cour d’Appel de Poitiers dont nous attendons les instructions. La loi ouvre une possibilité d’absence de changement car il est écrit que des pôles ou des types de compétences « peuvent » être spécialisés et non « doivent » être spécialisés. Si dans le département, la répartition des contentieux est satisfaisante, rien ne changera. En revanche, toujours sous le contrôle du Premier Président, certains types de contentieux pourraient être traités à Saintes comme le Tribunal paritaire des baux ruraux, notre secteur étant plus rural que celui de La Rochelle.
En ce qui concerne la fusion des Tribunaux d’Instance et de Grande Instance, elle devient effective. Le Tribunal judiciaire de Saintes regroupera l’ensemble des contentieux que traite actuellement le Tribunal d’Instance. La principale incidence concernera la répartition des personnels. Greffiers et adjoints administratifs vont se fondre dans le greffe général du Tribunal judiciaire. Dès lors, un greffier du TI actuel pourra demander de ne plus travailler à l’Instance pour être affecté dans un autre service. Jusqu’alors, s’il voulait accéder au TGI, il devait demander sa mutation. Avec le Procureur de la République et le directeur de Greffe, nous nous préparons à accompagner ce changement.
En tant que chef de juridiction, je pense que cette disposition offrira plus de souplesse en terme de gestion des effectifs. Pour les fonctionnaires habitués à travailler dans le cadre de l’Instance, leur situation évoluera puisqu’ils pourront être astreints à des permanences le week-end. En revanche, les fonctionnaires des tribunaux de proximité, comme celui de Jonzac, ne seront pas appelés à Saintes sauf s’ils sont volontaires.
En ce qui concerne le tribunal de proximité de Jonzac, il serait intéressant d’y traiter d’autres contentieux tels que les affaires familiales hors et après divorce, c’est-à-dire des contentieux sans avocat obligatoire. Pour les avocats, ce tribunal de proximité peut d’ailleurs être une opportunité à saisir en ouvrant des cabinets secondaires dans cette ville.
Du pénal cinquième classe et des petits contentieux pourraient être réintroduits et pourquoi ne pas envisager, pour les habitants du Sud Saintonge, une audience pénale une fois par mois ? Cela suppose des déplacements de magistrats et surtout des moyens. Personnellement, je n’exclus pas de prendre des audiences JAF à Jonzac si un greffier accepte de me suivre. Ainsi, on renforcerait l’accessibilité de la justice en rapprochant les justiciables des professionnels du droit. Des audiences organisées à Jonzac, comme c’était le cas autrefois, éviteraient aux personnes en graves difficultés socio-économiques d’avoir à se déplacer à Saintes. Cela donnerait de la consistance à la juridiction.
Audience solennelle de rentrée du TGI de Saintes début 2019 |
Cour criminelle : « En fonction de l’expérimentation, cette juridiction sera généralisée ou pas »
• Expérimentées de 2019 à 2022, les Cours criminelles départementales visent à désengorger les Cours d'assises. Dans ces nouveaux Tribunaux composés de cinq magistrats, il n’y aura plus de jury populaire tiré au sort. Quelle est votre position sur le sujet ?
La Cour criminelle départementale, sans jury populaire, est prévue pour les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion où, rappelons-le, des stocks importants d’affaires restent à juger dans le département. Avec la greffière des Assises, nous étions partantes pour être Cour criminelle départementale expérimentale. Pour septembre 2019, nous aurions eu treize dossiers sur vingt qui pouvaient relever de cette Cour. Très peu de départements se sont portés volontaires.
La proposition n’a pas abouti car nos chefs de Cour ont estimé que nos effectifs n’étaient pas suffisants. Nous les avons au siège, mais pas au parquet où il manque un cinquième parquetier. Tant que ce poste ne sera pas créé par la Chancellerie, nous ne pourrons pas prendre certaines initiatives.
La Cour criminelle départementale n’est pas une juridiction « au rabais » comme d’aucuns le laissent entendre ! Composée de magistrats professionnels, elle permet de donner une réponse rapide à des situations humaines complexes. En évitant l’hypocrisie de la correctionnalisation de certains viols, par exemple, cette Cour présente l’avantage de dire à la victime : « ce que vous avez vécu reste un crime et c’est pourquoi votre affaire est jugée par une juridiction criminelle ». En fonction de l’expérimentation, cette juridiction sera généralisée ou pas.
Au sujet du jury populaire, je ne reviendrai pas sur cet acquis historique de la Révolution française. Sa présence est importante pour les crimes d’une haute gravité.
• Au sujet des affaires de viols, la parole s’est-elle libérée depuis que certaines femmes "connues" ont choisi de parler librement ?
Jugé par la Cour d’assises, le viol « simple » est puni de quinze ans de réclusion et de vingt ans en cas de viol aggravé. La parole des femmes s’est-elle libérée ? On aura toujours une frange grise qui ne parlera jamais. Le viol entre époux, par exemple, reste tabou et est difficile à établir. Généralement, ce sont les violences conjugales qui sont traitées par la juridiction. Les rapports sexuels imposés entrent dans ces violences, mais sont rarement assimilés à un viol…
« Les drogues de synthèse sont une catastrophe et la cocaïne un vrai problème »
• Autre sujet préoccupant, la drogue et l’imagination débordante des trafiquants pour irriguer les marchés. Saintes n’est pas épargnée ?
Les services d’enquête, de plus en plus spécialisés, sont à l’œuvre car la région est loin d’être épargnée en effet. Les dernières interpellations sur le trafic de cocaïne, traitées par la brigade de recherches de Saintes, l’illustrent. Nous assistons à une montée en puissance de la cocaïne par rapport à l’héroïne et la résine de cannabis. Egalement à une montée en puissance des réseaux qui se mettent en place avec des locaux et sont parfois pilotés par des gens de la région parisienne qui viennent essaimer chez nous. La raison en est simple : ici, il y a une population malheureusement en difficulté qui a recours à des produits stupéfiants. Même dans une ville calme comme Saintes, c’est un phénomène qui existe. Les drogues de synthèse sont une catastrophe. La cocaïne - actuellement en provenance de Guyane - est un vrai problème.
La prévention des jeunes est importante. De nombreuses actions sont conduites par les gendarmes dans les collèges et lycées.
• L’informatique entre de plain pied dans la réforme de la justice comme le règlement dématérialisé de petits litiges de la vie quotidienne. Explications…
La dématérialisation des procédures civiles devant le Tribunal sera facultative. La Chancellerie nous a présentés de nouveaux logiciels de traitement qui permettront de gérer les contentieux. Les personnes qui le souhaitent pourront conserver une procédure classique. Il leur suffira de cocher la case correspondante.
Les dépôts de plaintes sur internet ont été officialisés. Ils permettent à chacun de porter plainte où qu’il soit. Ensuite, la plainte est traitée par le service compétent.
• En ce qui concerne l’exécution des peines, il s’agit d’instaurer une nouvelle échelle pour éviter les courtes peines d’emprisonnement qui n’empêchent pas la récidive et peuvent être "désocialisantes". Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les magistrats n’ont pas attendu une loi pour se poser des questions sur leurs pratiques ! La problématique des courtes peines d’emprisonnement et leur exécution est une préoccupation. Prenons le cas d’une mère de famille qui écope de deux mois de prison. Quel est le sens de la couper de son environnement avec le coût, pour la société, que cette situation va induire en terme de garde de ses enfants ? Ce sont des réflexions que nous menons et de nombreuses pistes sont intéressantes. En ce qui concerne l’application de la réforme, notre crainte est qu’en terme d’exécution des peines, on soit proche du dispositif actuel par défaut de moyens.
Dans quelle mesure cette réforme va t-elle influencer la jurisprudence du Tribunal au moment du prononcé ? Il s’agit d’étudier tous les moyens qui permettent d’envisager ou pas un aménagement de la peine. Va-t-on opter pour le bracelet électronique ? Quel accompagnement offrir à une personne à qui on propose un aménagement de peine ? C’est aussi la question que se posent les services pénitentiaires, les conseillers d’insertion et d’approbation. Quels seront les moyens attribués pour une vraie prévention de la récidive ? Nous sommes actuellement dans l’incertitude.
• Quand un justiciable écope d’un mois de prison, l’effectue-t-il à la prison ou avec un bracelet électronique ?
Cela dépend. Soit il va en prison, soit un aménagement de peine est proposé. Parfois, la pose du bracelet électronique est impossible car certaines zones géographiques ne sont pas couvertes par le dispositif. Il est intéressant de réfléchir sur les courtes peines d’emprisonnement. Leur mise en œuvre est coûteuse et prend beaucoup de temps. Par ailleurs, quand un justiciable écope d’une courte peine, travailler sur un projet d’insertion n’est guère possible pour lui.
Pour les peines plus longues, de nombreuses actions sont mises en place à la Maison d’arrêt de Saintes au niveau éducatif et culturel. Les détenus qui veulent sortir de leur environnement antérieur peuvent s’ouvrir l’esprit, des moyens étant donnés par l’Administation Pénitentiaire.
La réforme aura le mérite de nous interroger sur le sens des sanctions que nous prononçons.
• Au sujet des mineurs délinquants, un accueil temporaire pourrait être organisé dans un autre lieu que les centres éducatifs fermés. Qu’en pensez-vous ?
L’idée est intéressante, mais la question est de savoir où ils seront placés. La Direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse est confrontée à de vraies difficultés en terme de capacités d’accueil. Plusieurs centres éducatifs fermés existent en Charente-Maritime et hors département. Ils sont saturés et rencontrent des problèmes d’encadrement et de personnel. L’aide sociale à l’enfance est, elle aussi, en difficulté. Avant de lancer ce type de réforme, la recherche de moyens est indispensable.
« Des filets seront installés sur la Maison d’arrêt de Saintes avant la fin de l’année »
La maison d'arrêt de Saintes |
• La prison de Saintes est vétuste. Une nouvelle construction verra-t-elle le jour ?
La prison de Saintes est vieille, mais elle n’est pas insalubre. Elle a été construite au XIXe siècle en centre ville avec toute la problématique que présente aujourd’hui ce lieu de détention situé intra-muros. Le projet de Fontenay, près de Saint-Jean d’Angély, a été totalement abandonné.
La direction de l’Administration Pénitentiaire, qui a encadré le conseil d’évaluation de la Maison d’arrêt de Saintes récemment, a également écarté l’idée d’une construction nouvelle dans les environs de la cité santone qui puisse décharger Rochefort et Saintes. Elle préfère déléguer des fonds aux établissements existants : effectuer des travaux à Saintes pour la sécurité des personnels ; éviter les projections au dessus de l’enceinte. Des filets seront installés sur la Maison d’arrêt avant la fin de l’année. Lorsqu’ils seront posés, la municipalité s’est engagée à installer la vidéo-surveillance sur la place et aux alentours de l’établissement.
La prison de Saintes subit une surpopulation qu’on retrouve malheureusement dans de nombreux établissements pénitentiaires. Elle accueille les courtes peines et les détenus provisoires.
• En conclusion, cette réforme correspond-elle aux attentes de ce début de XXIe siècle ? La carte judiciaire peut-elle être remise en cause ?
La carte judiciaire ne sera pas modifiée. Ce que déplorent certains magistrats est la disparition du Juge d’Instance, même si la fonction prend un autre nom. Il faut avancer avec son temps, toujours dans l’intérêt du justiciable. La France a toujours un petit train de retard ! Cette loi doit être un outil, un support, un levier plutôt que de l’avoir en tête comme un obstacle !
Le Palais de Justice de Saintes |
• Des travaux au Palais de Justice : L’aménagement du service d’accueil unique du justiciable et des travaux pour l’accès aux personnes handicapées sont programmés. Pour l’instant, face aux marches imposantes de l’entrée, les personnes à mobilité réduite empruntent le petit parking situé derrière le tribunal où un ascenseur est à leur disposition.
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