lundi 6 mai 2019

Mission Ariel : « Observer l'atmosphère de 1000 planètes ouvrira un nouveau domaine pour leur compréhension » déclare l'astrophysicien Jean-Philippe Beaulieu

« La mission ARIEL sera la machine ultime pour étudier les atmosphères de planètes » 


En mai 2028, le télescope spatial de la Mission Ariel sera lancé de Kourou en Guyane avec, pour objectif, d'observer et d'analyser les atmosphères de 1000 planètes extrasolaires. Le comité scientifique de l'Agence Spatiale Européenne a insufflé 450 millions d'euros dans cette opération entièrement dédiée aux atmosphères de planètes. « Avec la masse d’informations que nous obtiendrons, ce sera révolutionnaire. Nous comprendrons mieux notre place sur notre bonne vieille Terre et combien elle est précieuse et fragile. Les observations permettront-elles aussi de comprendre pourquoi Vénus, autrefois assez semblable à la Terre, est devenue aussi inhospitalière ? » s'interroge l'astrophysicien Jean-Philippe Beaulieu. Aux côtés de Giovanna Tinetti, il est l'un des responsables de l’équipe française qui fournira le spectrographe infrarouge et la caméra d'Ariel. Une aventure passionnante à la découverte des autres mondes...

Jean-Philippe Beaulieu répond à nos questions :

•  Les recherches des astrophysiciens se poursuivent depuis un événement très médiatisé en 2014, l'atterrissage de Philae sur Tchouri, un monde glacé situé à 500 millions de kilomètres de la Terre. Quels ont été les moments les plus marquants de ces dernières années ?
 

Jean-Philippe Beaulieu : Pourquoi étudier les comètes ? Au début de la formation de notre système solaire, la matière primitive était distribuée dans un disque avec des comètes, astéroïdes, petits corps qui rentraient en collision, s’agrégeaient pour finalement donner naissance aux planètes. Une grande partie de l’eau de notre Terre vient des comètes. Donc, en les étudiant, on observe le début de l’histoire de notre système solaire. 
La comète visitée par la mission Rosetta nous montre comment sont ces objets astronomiques il y a 4.5 milliards d’années. On peut ainsi mieux comprendre comment s’est formée la Terre. De plus, y a-t-il de la chimie complexe dessus ? Peut-on y fabriquer des acides aminés qui sont les premières briques du vivant ?
L’Europe a mis Rosetta en orbite autour de la comète après plus de 10 ans de voyage, alors que la comète était loin du soleil, donc inactive. Puis la sonde spatiale Rosetta a largué Philae, petit atterrisseur de la taille d’une machine a laver, avec son labo. Quel dommage que Philae n’ait pas pu s’accrocher avec ses harpons
sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Comme la gravité est très faible, Philae a rebondi et dérivé à la surface de la comète, avant de basculer dans une petite crevasse. L’espoir était qu’il fonctionne des mois tandis que la comète approchait du soleil. Il a marché quelques dizaines d’heures. Ceci dit, les informations recueillies sont intéressantes.
 

Philae (© wikipedia)
• Parlez-nous des ondes gravitationnelles, déformations de l’espace-temps prédites par Einstein, qu'il serait désormais possible de mesurer grâce à des outils appropriés, les détecteurs Ligo et Virgo ?

Une découverte étonnante a été l’observation des ondes gravitationnelles. C’est un phénomène prédit par la relativité générale. Quand deux trous noirs rentrent en collision, c’est un cataclysme qui envoie une signature particulière : l’espace est perturbé,  un peu comme une vague passant à la surface de l’océan. Nous avons deux lasers dans des tunnels qui mesurent des distances de manière très précises entre deux miroirs. Le passage d’une onde gravitationnelle modifie la distance entre les miroirs de 10 à la puissance - 20. Ça veut dire 0.000 (20 zéro 1) milliardième de milliardième de… Bref, un effet minuscule ! Cette observation a été faite simultanément par deux instruments.
Aujourd'hui, deux instruments aux USA et l'un en Italie effectuent ces mesures en simultané. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on ne repose pas sur la lumière, mais sur la déformation de l’espace-temps par un phénomène extrême, deux trous noirs rentrant en collision à 1.3 milliards de kilomètres...


« Dire que l’eau est liquide à la surface d'une planète, première définition simpliste de l’habitabilité, ne garantit pas du tout qu’il y ait effectivement de la vie »

• Parlez-nous de Kepler-186f, première cousine de la Terre située dans "la zone habitable" de son étoile ? En sait-on davantage ? 

Il y a une quinzaine d’années, la quête était “trouver la plus petite planète possible”. Les astronomes chassaient des planètes, toujours plus de planètes, plus petites… Je faisais partie de la horde ! Nous avons été très fiers, à l’époque, de trouver la première planète tellurique glacée, OGLE-2005-BLG-390Lb. Elle est restée la plus petite connue durant quelques années.
Le satellite Kepler a vraiment révolutionné la thématique des exoplanètes avec la découverte de plus de 3000. Kepler était conçu pour pouvoir détecter des planètes comme la Terre en orbite autour du soleil. Il a effectivement localisé plusieurs planètes à la bonne distance de leur étoile pour que l’eau (s’il y en a) soit liquide à la surface.
Kepler-186f a fait pas mal de bruit comme étant la petite sœur de la Terre. Depuis, une trentaine de planètes de ce type ont été repérées. On trouve des planètes “habitables” autour d’étoiles comme le soleil, mais aussi autour de naines rouges. On les trouve aussi avec tout type de masses ! On connaît aussi des systèmes avec plusieurs planètes dans la zone habitable. Mais attention : dire que l’eau est liquide à la surface, qui est la première définition simpliste de l’habitabilité, ne garantit pas du tout qu’il y ait effectivement de la vie.  En fait, c’est plus complexe, mais c’est déjà un début...

S’il y a une seule chose à retenir, c’est la suivante. Avoir des planètes, c’est la règle pour les étoiles de notre galaxie. On trouve des planètes de toutes masses autour des étoiles de tous types. Une planète de cinq fois la masse de la Terre, avec un rayon de 1,5 fois celui de la Terre, en orbite autour d’une étoile naine rouge, de 1/5 la masse du soleil peut être tout à fait habitable ! Il faut sortir de notre anthropocentrisme et ne pas se restreindre à la recherche d’une terre autour d’un soleil. Il faut avoir un œil plus large !



« 200 personnes, 15 pays participants, 450 millions d’euros de l’Agence Spatiale Européenne, plus les contributions : Ariel est un gros projet » 
  
• Le comité de programme de l'Agence spatiale européenne (ESA) vient de sélectionner la mission ARIEL en tant que mission de 4ème classe intermédiaire du programme "Cosmic Vision". ARIEL est un télescope spatial qui sera lancé à partir de la base de Kourou en Guyane en mai 2028. Quelle sera sa mission ? 
 
ARIEL est un télescope de 1 m qui observera les atmosphères de 1000 planètes à partir de 2028. Ça sera la première mission entièrement dédiée aux atmosphères de planètes. D’où vient-il ?
En 2007, avec Giovanna Tinetti, collègue qui est désormais professeur à l’University College of London, nous avions réalisé la première détection de vapeur d’eau dans une atmosphère de planète. Cette planète était un monde particulier, une géante gazeuse comme Jupiter tournant en trois jours autour de son étoile, un Jupiter chaud. En guise d’eau, c’était plutôt de la vapeur d’eau, ambiance sauna ! Mais c’était la première fois qu’une molécule était détectée dans une atmosphère de planète. Après ce travail, nous nous demandions « quelle est l’étape suivante ? ». Bien évidemment, un télescope spatial avec instrumentation dédiée et optimisée pour faire des mesures très difficiles !
Au fil des ans, nous avons construit une équipe, développé un projet pour répondre aux appels d’offres de l’Agence Spatiale Européenne. De temps en temps, l’ESA lance un appel d’offres pour une mission spatiale avec un budget de l’ordre de 450 à 600 millions d’euros. Le sujet est ouvert,
tout est possible. Il faut que les enjeux scientifiques justifient le projet, ce qui est faisable dans le budget. Bien évidement, beaucoup de monde en Europe a des idées de projets à soumettre !
En 2010, nous avons soumis un premier projet nommé ECHO qui fut un des projets pré-sélectionnés parmi une cinquantaine pour études complémentaires de deux ans. Au final, nous n’avons pas été choisis pour lancement, mais le travail effectué nous a bien positionnés pour la suite.
Nous avons alors répondu au quatrième appel d’offres de l’ESA avec ARIEL et avons été l'un des trois pré-sélectionnés pour des pré-études parmi une trentaine de projets. Bonne nouvelle, nous avons été retenus en mars 2018 pour un lancement en 2028.
200 personnes, 15 pays participants, 450 millions d’euros de l’Agence Spatiale Européenne, plus les contributions des pays participants. Bref, c’est un gros projet. Je suis le numéro 2 du projet,  responsable de l’équipe  française qui fournira le spectrographe infrarouge et la caméra. La responsable est Giovanna Tinetti, en poste à Londres.

ARIEL sera la machine ultime pour étudier les atmosphères de planètes extrasolaires. Observer 1000 planètes va ouvrir un nouveau domaine pour leur compréhension. C’est peut-être de là que viendra une question qui me tient à cœur : Vénus et la Terre sont deux planètes qui étaient très semblables autrefois avec des masses voisines, Vénus recevant un peu plus d’énergie du soleil, de l'ordre de 30% environ. Comment pouvons-nous avoir une planète comme la Terre et une autre comme Vénus aujourd'hui ? Vénus a une atmosphère 100 fois plus dense avec une température de 500 degrés et une pluie d’acide sulfurique. Est-ce que l’activité humaine et le réchauffement climatique - qui est en train de s’emballer - ne vont pas transformer notre bonne vielle Terre en Vénus en quelques milliers d’années ? ARIEL donnera peut-être des indications sur cette question. Ou pas. Ce qui est clair,
c’est qu'avec la masse d’informations que nous obtiendrons, ce sera révolutionnaire.

Il est important de faire des bonds en avant. Une image que j’aime bien est la suivante : « L’électricité n’a pas été découverte en améliorant la lampe à huile ». Il est important d’avoir des projets très novateurs qui apporteront peut-être des réponses à des questions que nous nous posons, mais qui fourniront aussi des informations d’une richesse sans précédent. Nous comprendrons mieux notre place sur notre bonne vieille Terre et combien elle est précieuse et fragile. Il n’y a pas de planète B !
ARIEL sera lancé à partir de la base de Kourou en Guyane en mai 2028 et sera placé en orbite à Lagrange L2, située à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Le télescope spatial sondera les atmosphères de mille planètes extrasolaires, des géantes gazeuses aux planètes rocheuses, qu’elles soient chaudes ou tempérées autour d’étoiles de types différents. Il mesurera la composition et la structure des atmosphères planétaires, limitera la nature de leurs noyaux, détectera la présence de nuages ​​et étudiera les interactions avec l'étoile hôte

• Récemment, La Chine s'est distinguée en étant la première à se poser sur la face cachée de la Lune. Comment a réagi la communauté scientifique européenne dont la France fait partie ?

La Chine développe ses programmes de recherche de manière très agressive avec beaucoup d’ambition, que ce soit pour l’espace, l’astronomie antarctique, la radio astronomie ou la recherche en général. En  France, on considère que le crédit impôt recherche pour Total, Sanofi ou d’autres grands groupes est un investissement de recherche et, dans le même temps, on étrangle les chercheurs sous plus de bureaucratie tout en réduisant les crédits.
La Chine a une politique très attractive pour ses ressortissants talentueux, en poste à l’étranger, pour les inciter à revenir. Cet atterrissage lunaire montre le développement de la technologie spatiale chinoise. Ça n’est pas facile de se poser sur la Lune sans encombres ! Et c’est encore plus délicat sur Mars !
Bref, contrairement à la France, la Chine a de fortes ambitions et se donne les moyens de les réaliser. Elle comble son retard dans ce domaine rapidement. Je ne serais pas surpris que d'ici 15 ans, un Chinois foule le sol de Mars. Je dirai que la sonde sur la face cachée de la Lune est un peu anecdotique, c’est une étape dans leur programme. Ce qui est remarquable, c’est la vitesse à laquelle ce pays développe ses nouveaux projets.

Directeur de recherche au CNRS, l’astrophysicien Jean-Philippe Beaulieu poursuit ses passionnantes explorations. Cet ex-jonzacais est le fils de Françoise et Jean-Claude Beaulieu, bien connus à Jonzac et en Charente-Maritime
« Les extra-terrestres, s'ils existent, ne sont peut-être pas aussi bienveillants qu'on veut le croire »...

• On ne peut pas terminer cette interview sans évoquer les extra-terrestres ! « Si les extraterrestres nous rendent visite un jour, je pense que le résultat sera semblable à ce qui s'est produit quand Christophe Colomb a débarqué en Amérique, un résultat pas vraiment positif pour les Indiens » a déclaré le physicien et cosmologiste britannique Stephen Hawking en 2010. Partagez-vous son point de vue ? 
 
Certains naïfs bien pensants disent qu’une civilisation très évoluée est nécessairement bienveillante envers une civilisation moins évoluée. Si une civilisation a réussi à développer des technologies permettant le voyage interstellaire, elle a atteint un grand degré de sagesse pour ne pas s’être auto-détruite, entre autres, et sera bienveillante envers nous. Prudence quant à cette interprétation ! Sur notre planète, jamais un groupe plus évolué n’a traité avec bienveillance un groupe moins évolué. A chaque fois, ce fut un désastre pour les civilisations moins avancées.
Envoyer un message vers les étoiles proches pour signaler notre présence peut aussi être vu comme une invitation à "déjeuner" où nous pourrions finir, qui sait, comme plat de résistance de ces aliens ?
Notre immense chance est d’être sur notre caillou bleu, la Terre, loin de toute autre planète habitable. Nous sommes très difficiles d’accès, ce qui est une bonne chose. Mais on devrait plutôt faire profil bas et ne pas lancer des rendez-vous à tort et à travers !

 Propos recueillis par Nicole Bertin

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