samedi 20 décembre 2014

Un voyage
dans le Venice Simplon Orient Express
Souvenirs d'un sénateur du rail !

Jeudi 16 octobre, a eu lieu dans le quartier hommes de la Maison d’arrêt de Saintes une rencontre littéraire sur le thème d’ « Un voyage dans le Venice Simplon Orient Express », avec la collaboration de Benoit Vautier, enseignant éducation nationale en poste à la maison d’arrêt, de Thierry, Pẚl, Bedri, Mickaël, Ibrahim, José ainsi que de Didier Catineau, éditeur, écrivain et journaliste. L’élaboration de ce texte qui représente un travail collectif cosigné par Thierry, Pẚl, Bedri, Mickaël, Ibrahim, José ainsi que Didier Catineau a été permise grâce à l’association socioculturelle de la maison d’arrêt de Saintes, à Gilles Roy, directeur de la Maison d'arrêt de Saintes avec des financement du Fonds interministériel de la prévention de la délinquance (FIPD) versés par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances et de la Fondation SNCF sur l'appel à projets « Coups de cœur solidaires ». Le texte définitif de la nouvelle a été présenté aux détenus participants le jeudi 13 novembre.


Entrer dans une agence de voyages, c’est entrer dans le monde de l’irréel. Tout y est coloré, chatoyant. Les brochures abondantes vous parlent de pays fabuleux où vivent des éléphants, des requins, des oiseaux multicolores. On vous parle doucement, on vous sourit, on vous flatte, on vous séduit par mille merveilles. La charmante jeune fille blonde aux yeux bleu profond comme un lac de montagne me décrivit Prague, Budapest, Vienne, Venise et combien la vie était subtile et délicate dans une cabine douillette avec des couchettes aux draps de damas en coton.
Boire un vieux cognac dans la voiture-bar du Simplon Express, enfoncé dans un fauteuil en cuir, déguster des mets inouïs apportés par des serveurs en jaquette et cravate sont des promesses de félicité à venir qui me firent me précipiter à la gare pour prendre le premier train pour Paris.
A moi l’aventure !

Remarquez bien que prendre le train n’est pas pour moi une aventure ! Je suis un « sénateur du rail » et j’en suis fier ! J’étais mécanicien sur les énormes Pacifics à vapeur et j’ai grimpé tous les échelons pour atteindre le sommet de la hiérarchie des roulants. Je suis un « sénateur » car la machine doit passer avant tout et que l’horaire est une chose sacrée à respecter. Je consulte fréquemment ma montre à gousset, une montre oignon disent les horlogers. Elle est ma compagne la plus fidèle et j’aime la ponctualité. J’ai à présent plus de 90 ans, mon dos me fait mal, je boitille bien un peu mais mon regard est vif et clair.
Ma mémoire n’est pas du tout chancelante et mes copains de la maison de retraite le savent bien puisqu’ils me répètent sans cesse : « Sacré Marcel, toujours un train d’avance ! ». Ils ne croient pas si bien dire ! Mon épouse m’a quitté pour d’autres paysages et je veux avant de la rejoindre là-haut, si là-haut ça existe, devenir passager d’un train que j’ai conduit il y a si longtemps, en Syrie. Il s’appelait le Taurus. En aurais-je à raconter entre les moutons sur les voies, la chaleur écrasante, l’odeur entêtante de l’huile et la fournaise de la chaudière. Mais tout cela était bien loin et puis c’était la guerre, la deuxième ! Alors, en ce temps là, on ne réfléchissait pas trop mais je suis quand même fier d’avoir pu conduire mes locomotives sur une ligne mythique comme celle du Taurus Orient Express.


J’ai vidé mon compte à l’écureuil pour m’offrir ce voyage vers Venise, une ville où je ne suis jamais allé et où j’avais promis d’emmener Elise mais le sort en a décidé tout autrement. J’ai emmené ma veste des dimanches, ma cravate en tricot, mes mocassins noirs et mon vieux Leica gagné un soir de désœuvrement dans une gargote qui sentait le poisson et le vin rouge frelaté. Les copains des Glycines, du moins ceux que je reverrai, à mon retour, seront sûrement heureux de partager avec moi ce dernier voyage.

J’essaie de ne pas me laisser gagner par l’émotion car la nostalgie remonte et sur le quai de la gare de l’Est, je vois bien le train bleu et or avec ses flancs parsemés de lions dorés, la moquette rouge et les gars en livrée qui semblent heureux de m’accueillir comme si on se connaissait depuis toujours. J’écris tout ça dans mon petit calepin pour me souvenir de tout. Les copains seront heureux de lire ça. Les copains, c’est tout ce qui me reste. Ils ne sont pas plus vaillants que moi mais je suis toujours debout et droit et fier. Je suis un « sénateur ».




La cabine est fort jolie, un peu petite mais je ne suis pas bien grand, nerveux plutôt. C’est comme ça qu’Elise m’appelait « Mon nerveux ! ». J’ai un peu de peine à nouer ma cravate pour le dîner que j’appréhende un peu. Faudra-t-il faire la conversation ? Il faudra que je surveille les autres avec les couverts et bien utiliser les bons outils. Quand j’étais dans ma Pacific, je surveillais tout ! Et j’ai même fait cuire sur une pelle chauffée à blanc dans le foyer, un steak qu’avec mon compagnon nous arrosâmes d’un petit Bordeaux chambré. Notre mission était d’aller d’un point à un autre et de faire l’heure. Qu’il gèle, qu’il neige, qu’il pleuve, les passagers devaient être sûrs d’arriver. Qu’importait le climat ! Ici, dans ce wagon-restaurant au nom bien évocateur de l’Oriental avec ses panneaux noirs laqués, je me sens dans un monde qui n’est pas fait pour moi. Je pense au bonheur d’Elise si elle était avec moi en cet instant et je contemple un peu stupidement les verres de cristal et les couverts en argent ou si cela n’en est pas, ça y ressemble beaucoup.

A la bibliothèque des Glycines, j’avais trouvé un ouvrage qui parlait de l’Orient Express. Je ne m’imaginais pas que cela puisse exister. Le train des rois et le roi des trains. C’est comme ça qu’on l’appelle. Je suis donc un « sénateur » et ma vraie richesse est celle des rois : c’est l’amour que je porte à Elise après toutes ces années difficiles. Des fleurs fraiches cachent presque la nappe d’un blanc immaculé. Les mets que je déguste avec patience me sont parfaitement inconnus. Par contre, le vin conseillé me plait bien parce qu’un vrai cheminot « à l’ancienne » doit savoir tenir son rang. J’ai 90 ans et toujours le cœur frémissant à la découverte de nouveaux crus, de nouvelles appellations.


On ne roule pas bien vite et le soir commence à envelopper la campagne que nous traversons bien doucement. L’Autriche, les Alpes Suisse, l’Italie me semblent à la fois si proches et si lointaines. Un gentil steward m’indique qu’il existe une voiture-bar qui fait salon et qu’un pianiste joue des musiques de tous les âges. Enfoncé jusqu’aux oreilles dans un profond canapé, je savoure mon verre de cognac ambré aux douceurs voluptueuses. On m’assure qu’il est hors d’âge. Je veux bien le croire tant l’esprit charentais s’y révèle dans toute sa singularité. J’écris ça pour faire « bisquer » un peu les copains qui doivent se contenter, une seule fois par semaine, d’un vague verre de vin rouge bien misérable. Le pianiste est très dégourdi et m’a promis de jouer une valse sur son piano tout noir. Elise serait là, elle adorerait. En avons-nous fait des fêtes à la campagne avec ces bals où l’on tournait jusqu’à perdre l’équilibre ! Je me sens bien en ce moment précis. Je vais ranger ce calepin qui ne me quitte plus et partir faire des rêves lointains accompagné du doux staccato des roues ferrées sur les rails. Le « sénateur » est fatigué.

Venise (photo Nicole Bertin)
Demain, je verrai Venise, la lagune, les palais, les gondoles et promis, je ramènerai pour les copains une ou deux bouteilles de Chianti que nous boirons aux Glycines, en douce pour ne pas effrayer le personnel. Elise sera là puisque je l’emmène partout avec moi. Bonne nuit Elise. Attend moi encore un peu, Venise arrive et avec elle les promesses d’une nouvelle nostalgie.

Thierry, Pẚl, Bedri, Mickaël, Ibrahim, José, Didier

• L’Orient Express 

Le roi des trains et le train des rois ! 

- 1er voyage : 81heures ½ - voyage inaugural le 16 octobre 1883. Gare de l’Est à Paris pour Istanbul.

- Trajet : Grande Bretagne / France / Italie / Serbie / Croatie / Slovénie / Bulgarie / Roumanie / Grèce /Turquie.

- Avec le Taurus Express, ce sont 11 630 kilomètres, 11 capitales européennes, asiatiques et égyptienne qui sont reliées, entre les deux guerres.

- Wagons raffinés – aristocratie européenne avide de voyager (années folles).

- Mettre le luxe des croisières transatlantiques (Normandie, Titanic) sur des roues. C’est aussi un lieu de rencontres.

- Créateur et fondateur de la compagnie Internationale des Wagons lits : Georges Nagelmakers s’inspire du train Pullman aux Etats-Unis.

- Volonté d’ouvrir le vieux continent aux grands espaces, assurer l’unité européenne, favoriser la rencontre entre l’Europe et les pays d’Orient.

- Espace clos – Abolir les frontières.

- Voitures-lits, voitures restaurant toutes en bois de teck.

- Spectaculaire innovation – Jamais vu en Europe.

- 24 voyageurs privilégiés à destination de Constantinople (l’ancienne Byzance – Istanbul)

- Retour à Paris au bout de 15 jours. – 3186 kilomètres – traversée de 10 pays. Le voyage peut être dangereux, on conseille aux voyageurs de glisser un révolver dans leurs bagages.


-  Vitesse moyenne : 70 km/heure.

-  Ecrivains célèbres : Paul Morand – Graham Greene, Apollinaire, Agatha Christie, Pierre Loti …
- Fermeture en 1977 puis reprise de l’exploitation de la ligne.
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- Maintenant : Luxe inouï – 24 heures de voyage (Venise)

- Compartiment privé avec lavabo et linge chiffré (serviettes et savons de luxe).

- Voitures-restaurant décorées de marqueterie, de laques de Chine, de panneaux Lalique.

-  Argenterie et verres de cristal.

- Piano bar. On s’y retrouve après diner, on s’attarde quelques heures pour écouter le pianiste jouer jusqu’au petit matin.

- Cabines doubles : un lit haut et un lit bas.

- Toilettes en bout de chaque voiture.

- Couchettes converties en banquettes le jour.

- 3 voitures restaurant : Etoile du Nord, Côte d’Azur et l’Orientale.

- Nappes de lin blanc, fleurs fraiches, argenterie.

- Equipe chevronnée de chefs cuisiniers. Vins et champagne en supplément.

- Tenue élégante de rigueur le soir – tenue de soirée, robe de cocktail – veste – cravate. Pas de jeans ni de baskets...



• Didier Catineau est né en 1953 à Jarnac (Charente). Saintongeais passionné par son histoire régionale, il participe activement à de nombreuses initiatives visant à défendre l’expression d’une vitalité culturelle charentaise : homme de radio et animateur d’émissions littéraires et musicales, organisateur de manifestations culturelles, éditeur de quinze ouvrages sur la Charente-Maritime, auteur d’une dizaine de livres, en nom propre et en collaboration (nouvelles policières, régionales, récits courts, études historiques…), conteur, conférencier, spécialiste de Pierre Loti, il est journaliste et correspondant de presse pour les quotidiens, hebdos et magazines du département de la Charente-Maritime. Il est le récent préfacier des deux derniers ouvrages publiés par Michel Lis le jardinier et Madeleine Chapsal. Il est déjà intervenu en décembre 2010 à la prison de Saintes sur le thème : « Pierre Loti – Récits de voyages de Tahiti au Japon – Itinéraires d’écrivains », en juin et juillet 2012 aux quartiers hommes et femmes pour l’élaboration collective d’une nouvelle sur le thème du voyage et en octobre et novembre 2013 pour deux rencontres littéraires en quartier femmes et en quartier hommes sur le thème « Une île à conquérir ». Ces deux rencontres ont débouché sur l’écriture de deux nouvelles publiées dans l’Œilleton en 2014.

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