Et ce n’est pas fini, les candidatures locales se poursuivent : les communicants des stations méditerranéennes de Cannes et de Nice ont enclenché une surpublication dans les medias ! L’UNESCO, à l’initiative d’un Français, a aussi initié en 1971 un programme particulier, objet d’une convention signée par 119 pays et comprenant aujourd’hui 631 sites dans le monde, dont 14 en France. Ce programme se nomme : « Programme sur l’Homme et la biosphère » ou « MAB ». Le quatorzième bien français inscrit il y a peu de jours est le secteur des gorges du Gardon et le plus vaste territoire est celui de la Vallée de la Dordogne inscrite en 2012.
Enfin, l’Unesco a inventé en 2003 une liste du « Patrimoine Immatériel » sur laquelle sont inscrits 314 traditions ou savoir-faire que la France suit d’assez près pour y avoir proposé régulièrement le Fest-noz, la musique traditionnelle guadeloupéenne, le repas gastronomique, les ostensions limousines, le compagnonnage et l’équitation de tradition française.
Nous ne pouvons évidemment que nous réjouir de ce mouvement souvent issu du monde associatif auquel se sont jointes les collectivités locales trop heureuses de trouver dans ces campagnes de communication des prétextes à un tourisme culturel généralement bénéfique. Mais, si généralement l’État, par l’intermédiaire du Ministère de la Culture et du quai d’Orsay, est présent au moment de l’inscription sur la sacro-sainte liste, il n’est guère à la manœuvre le lendemain des festivités qui ont marqué la consécration locale, en présence du chef de l’État et d’un cortège qui ne veut pas laisser passer le bénéfice politique de l’opération.
Les associations et notamment la nôtre ont, ces dernières années, passé beaucoup de temps à s’opposer aux initiatives locales susceptibles de défigurer la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) des biens de la Liste mondiale : la sulfureuse « femme Loire » en plein cœur de la zone Loire, les éoliennes autour du Mont-Saint-Michel ou à proximité de Saint-Savin, les permis de construire à proximité des remparts de Provins, la bataille du « Mont-Perdu », et tant d’autres.
À chaque fois il a fallu mobiliser, pétitionner, communiquer alors qu’il eût suffi, par une bonne et juste application des lois de 1913 sur la protection des monuments et de 1930 sur la protection des sites, une simple décision des organes de l’État pour arrêter le pire.
S’agissant du programme « MAB » et des 14 zones de réserve de biotopes, le jeu est un peu le même : pendant que Madame Royal inaugure la nouvelle réserve des gorges du Gardon, le maire de Beynac, en plein cœur de la Dordogne, réactive une création de route au pied de la rivière Dordogne dont il est manifeste qu’elle n’est pas dans l’esprit du programme international et ce, quelques mois avant la réunion à Paris de la fameuse COP 21.
Plusieurs reformes pourraient améliorer cette paradoxale schizophrénie entre la volonté d’affirmer d’un bout à l’autre du territoire les Valeurs Universelles proposées par l’autorité républicaine avec les conséquences touristiques et économiques et les initiatives des suzerains locaux décidés à pousser jusqu’au bout des projets contraires.
Tout d’abord il faudrait, puisque l’État n’est manifestement plus décidé à utiliser sa boîte à outils protectrice, que notre législation oblige les collectivités à inscrire dans leurs textes et leurs plans les règles internationales des orientations de l’UNESCO. Sur l’initiative de Madame Ferrat, sénatrice, et d’Ambroise Dupont, ancien sénateur, un texte avait été voté en ce sens dans les mêmes termes par les deux assemblées, mais les alternances récentes ne lui ont pas permis de franchir la ligne d’arrivée. Le projet de loi « Création artistique et Patrimoine » discuté aujourd’hui par le Conseil des Ministres reprend ces principes mais clairement édulcorés. Espérons que les parlementaires poursuivront la tâche qu’ils avaient commencée et donneront aux associations les moyens de la défense des Valeurs Universelles.
Ensuite, certaines collectivités, telle la ville d’Albi, font de gros efforts pour associer la population à la démarche de l’inscription en l’expliquant avec ses avantages et ses contraintes, en élevant corrélativement le niveau de la culture locale et, par voie de conséquence, en mettant sur la bonne route les initiatives touristiques de qualité et respectueuses de l’esprit du processus mondial : faisons ce qu’il faut pour qu’elles servent d’exemple à celles qui tentent d’inscrire leur bien.
Un instrument existe dans la Constitution : l’article 7 de la Charte de l’environnement prescrit, conformément à la Convention d’Aarhus que la France a ratifié, que le « public » doit être associé à « l’élaboration » des décisions qui concernent son cadre de vie.
Après un nombre conséquent d’arrêts du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État, le Premier ministre a confié au préfet honoraire Duport un rapport à ce sujet dont les conclusions sont pragmatiques et excellentes. Reste à appliquer ses préconisations avec la pédagogie nécessaire : en commençant par associer la société civile aux mécanismes adéquats. On se protègera ainsi de bien des faux pas et contentieux.
Enfin : une directive européenne de juin 2001 (et oui, tout cela est très international !), a décidé qu’il fallait faire une « évaluation environnementale » de tous les programmes, plans, schémas d’aménagement de toutes sortes et que cette évaluation devrait être exécutée par une « autorité environnementale indépendante ».
Le Conseil d’État vient de s’aviser que notre règlementation n’était pas du tout dans les clous car nos « autorités environnementales » n’étaient pas vraiment indépendantes. Pendant que la ministre de l’Écologie se dépêche de publier un nouveau décret qui mette de l’ordre, les sages du Palais-Royal se préoccupent du passé : afin de tenter de sauver un bon stock de plans et schémas, ils viennent de demander à la Cour Européenne de Justice s’ils pourraient annuler les dispositions contestées seulement pour l’avenir.
En définitive, il n’est pas possible d’écrire à longueur de pages et de tweets sur les destructions des bouddhas de Bâmiyân, la ville de Palmyre en Syrie, la ville de Samarra en Irak, et de tolérer dans notre vieil hexagone des atteintes, médiocres, à une Valeur Universelle Exceptionnelle proclamée : certes ces Valeurs sont différentes, mais comme le disait Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU : « La fonction des Valeurs Universelles n’est pas de gommer les différences, mais de nous aider à les accepter en nous respectant mutuellement et sans chercher à nous détruire. »
Alain de La Bretesche
Président de Patrimoine-Environnement
Administrateur du Mouvement associatif (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’’Europa Nostra
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