mercredi 21 juin 2023

Jonzac : Hommage de Laurent et Christophe Doucet à leur père Jean-Marry

Samedi 10 juin, étaient célébrées les obsèques de Jean-Marry Doucet en l’église de Jonzac. Ses enfants, Laurent et Christophe, lui rendent un bel et délicat hommage, rappelant les différentes étapes de sa vie. Une existence bien remplie : « ce qui revient souvent et de façon quasiment générale pour Jean-Marry, c'est sa gentillesse profonde, sa disponibilité pour le collectif, sa débrouillardise de grand bricoleur et jardinier passionné et sa tolérance parfois ironique et un brin résignée face aux aléas douloureux de la vie »...  


 AU REVOIR JEAN-MARRY, AU REVOIR PAPA

« 11 février 1940 : Naissance à Jarnac pendant la Deuxième Guerre Mondiale de Jean-Marry Doucet. Il était lié par une grande partie de sa famille (d'agriculteurs du côté de Baignes notamment) à la campagne charentaise (dont il connaissait le patois) et donc au Cognac dont il sera contrôleur de la production pour l’État durant une partie essentielle de sa carrière professionnelle (« rat de cave » comme disaient les paysans), arpentant les routes de la Petite Champagne avec sa 2CV Citroën jaune citron (pour ceux qui ont connu ce célèbre véhicule très « camouflé » pour un contrôleur...) afin de visiter les chais et les alambics des distilleries avec ses collègues de la rue Paul Bert à Jonzac.

Mais revenons en arrière, durant la guerre en 1944 : naissance de son frère Gilles, puis séparation de ses parents Henri et Pauline. Il est élevé par son père à partir de l'âge de 4 ans. Son père se remariera avec Hélène qui compta beaucoup pour lui, ainsi que son demi-frère Jean.

Malgré tout, des souvenirs qu'il nous avait transmis de sa première jeunesse, on gardait les images d'une enfance plutôt heureuse (il était né un dimanche diraient certains, ses deux fils), entre virées campagnardes façon « Guerre des Boutons » et plus tard celles de jeunes gens presque insouciants des années 50 aux cheveux gominés, frottant les tabliers de leurs Vespa pour faire des étincelles autour de la place centrale de Jarnac et épater les filles. Un extrait d'un article que l'écrivain et journaliste Michel Boujut - qui fut l'un de ses grands amis d'enfance - écrivit dans une chronique de La Charente Libre, donne l'ambiance de ses années d'adolescence : « C'est un ami d'enfance, du temps de la communale de Jarnac : Jean-Marry Doucet. Marry avec un Y, il y tenait beaucoup, je me souviens. On était dans la même classe. On jouait ensemble. Comme moi, il aimait lire. On s'échangeait nos journaux préférés, "Tintin" ou "Spirou". Plus tard, il avait participé à la création du Hot Club de Jarnac dont j'avais eu l'initiative, une association d'amateurs de jazz. On organisait des conférences avec des auditions de disques dans une petite salle de la mairie ou au foyer protestant de la rue Chabot. On parlait aussi parfois entre nous de la guerre d'Algérie qui était comme une menace suspendue au-dessus de nos têtes ».

Le sort rattrape d'abord sa famille. Le 8 août 1960, disparaissait son père rongé par une terrible maladie. Jean-Marry a vingt ans (ce n'est pas encore la majorité à l'époque qui était à 21 ans). Comme un malheur n'arrive jamais seul dit le proverbe, il doit faire son service militaire  l'année suivante, puis il est envoyé en Algérie dans cette guerre coloniale qui cachait son nom. Dans sa dernière lettre de soldat adressée à sa belle-mère et son frère Gilles avant son retour en Métropole au printemps 1962, il termine par ces mots : « On a le moral à zéro et ils feraient bien de nous libérer le plus vite possible, sinon on fait un malheur. Enfin, à bientôt (souligné deux fois) et adieu l'armée ».

L'année 1962 sera pourtant pour lui celle du bonheur de la rencontre de l'amour au-delà des blessures de l'histoire. C'est la rencontre avec celle qui deviendra la femme de sa vie, Monique Juan, arrivée à Angoulême avec le flot des Pieds Noirs ayant dû quitter l'Algérie. Elle est née à Oran, elle a 20 ans, il en a 22.  C'est la jeunesse et le désir plus forts que les épreuves de la vie. Deux enfants naîtront de cette union en 1966, puis 1967, Laurent et Christophe. Après leur mariage à Angoulême, suivront Chalais, Barbezieux, et surtout Jonzac, ville qui formera pendant des décennies la géographie intime et sociale de Jean-Marry et de sa famille. Un enracinement qui n'empêchait pas une curiosité plus vaste pour ce voyageur passionné. L'Espagne avec la famille de Monique notamment à Palamos, à nouveau l'Algérie mais devenue indépendante. Le Tyrol, le Québec et même le Vietnam nourriront cette curiosité toujours questionnante et ouverte sur le monde, à la rencontre de l'autre et non des préjugés de races car il privilégiera toujours les échanges directs avec les habitants et les éclairages documentaires humanistes. Une démarche, un esprit qu'il transmettra à sa famille.

2000 : l'âge de la retraite bien méritée à 60 ans. Oui, vous avez bien entendu 60 ans ! Après le 10 mai 1981 (d'où les roses et le bandeau rouges de son cercueil selon ses derniers vœux) dont il fut l'un des acteurs modestes, mais enthousiastes comme dans tous ses engagements politiques locaux, syndicaux et associatifs au service de l'éducation populaire. Les réunions militantes se déroulaient parfois tard le soir à la maison ou ailleurs avec les collègues, les voisins ou les camarades après les journées de travail (qui étaient à plus de 35 heures) et l'éducation des enfants. Elles étaient pourtant plus fournies qu'aujourd'hui et se déroulaient dans la vie réelle et non virtuelle des écrans où un simple « like » ou un lâche « clash » sur les réseaux sociaux effacent le temps du débat et de l'auto-organisation nécessaire. 

Ce fut bien sûr une retraite active dans la vie sociale et culturelle jonzacaise et même un temps comme commissaire-enquêteur. Toujours sur les petites routes de Charente-Maritime par goût du travail, amour des gens du pays charentais, leur accent « qui fait d'au beun aux oreilles » et compléter sa petite retraite de l'administration des douanes en fin de carrière (avec parfois un détour par un nid à cagouilles dont il connaissait les coins « m'en doute a's't'heure »). Il profite de l'un de ses derniers grands bonheurs : ses petits enfants Agathe, Andréa et Clément, dont les souvenirs et les blagues de « papy Jean-Jean » resteront à jamais !

2015-2017 : Les maladies viennent frapper ce bonheur non usurpé du « temps de vivre » comme le chantait Moustaki. D'abord le diagnostic de la maladie de Parkinson en 2015, puis une maladie rénale à partir de 2017 qui viendra le diminuer peu à peu jusqu'à le faire disparaître ce mardi 6 juin 2023 au commencement de la nuit.

Il est difficile et quasiment impossible de retracer une vie dans un discours avec seulement quelques jours de préparation et même si c'est son propre père que l'on enterre. Chacun a ses souvenirs, même les plus proches ont des visions différentes, un regard subjectif. Chaque personne a sa propre conscience, ses pensées parfois secrètes, son intimité, voire ses zones d'ombre… 

Toutefois ce qui revient souvent et de façon quasiment générale pour Jean-Marry, c'est sa gentillesse profonde, sa disponibilité pour le collectif, sa débrouillardise de grand bricoleur et jardinier passionné, et sa tolérance parfois ironique et un brin résignée face aux aléas douloureux de la vie. Toutes et tous, gardez avec vous le meilleur de Jean-Marry et ce meilleur, portez-le à votre tour au service des autres pour en faire quelque chose de positif, comme lui.

Nous te rejoindrons tous un jour dans cette terre dont tu aimais tant le contact comme celui des fleurs et des plantes de ton jardin. Pour toi, cette citation de Chateaubriand, ton écrivain préféré avec Boris Vian, extraite de la fin de ses Mémoires d'Outre-Tombe les bien nommées :

« Je me suis rencontré entre deux siècles,

comme au confluent de  deux fleuves ;

j'ai plongé dans leurs eaux troublées,

m'éloignant à regret du vieux rivages où je suis né,

nageant avec espérance vers une rive inconnue »

AU REVOIR JEAN-MARRY, AU REVOIR PAPA »

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