En changeant les règles du jeu du déploiement du Très Haut Débit, le nouveau plan du gouvernement Philippe permettra aux opérateurs privés d'investir là où les collectivités de Nouvelle-Aquitaine avaient projeté la construction de réseaux publics de fibres optiques. Le modèle économique et la solidité du montage régional sont menacés par ce revirement
Alain Rousset, président du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Mathieu Hazouard, président de la Société Publique Locale « Nouvelle-Aquitaine Très Haut Débit », les présidents des Conseils départementaux de Charente, Corrèze, Creuse, Dordogne, Landes, Lot-et-Garonne, Haute-Vienne, et les présidents des structures (syndicats mixtes) dédiées à l'aménagement numérique sur ces mêmes territoires, viennent d'écrire au Premier ministre pour alerter sur les conséquences locales de cette décision nationale.
• Le contrat de départ
Acte 1 - En 2013, le plan France Très Haut Débit incite les collectivités locales à agir pour déployer les réseaux de fibre optique là où les opérateurs privés ne vont pas : les territoires ruraux. La France est partagée entre les zones AMII (Appel à Manifestation d'Intention d'Investissement), c'est-à-dire denses, donc très rentables, et réservées aux opérateurs privés, et les zones moins denses (hors des agglomérations) pour lesquelles les collectivités qui souhaitent investir se voient promettre une aide de l'Etat.
• Le montage régional vertueux
Acte 2 - En Nouvelle-Aquitaine, 7 départements (Charente, Corrèze, Creuse, Dordogne, Landes, Lot-et-Garonne, Haute-Vienne) pensent un modèle d'aménageur-investisseur au travers d'une Société Publique Locale (SPL) qui permet de mutualiser l'exploitation et la commercialisation des réseaux. L'idée est simple : les fonds publics investis génèreront des recettes (redevances des fournisseurs d'accès utilisant ces réseaux) qui pourront financer les projets suivants pour assurer la couverture des derniers kilomètres, là où le coût à la prise est le plus fort.
Pour cet équilibre économique, mais aussi pour intéresser les fournisseurs d'accès, le modèle repose sur un dimensionnement nécessairement important. C'est réussi avec plus de 500.000 foyers qui devraient être raccordés à la fibre optique d'ici 2021 dans ces 7 départements, au prix de 750 millions d'euros d'argent public déjà engagés.
L'horizon est parfaitement défini : pour assurer une solution de Très Haut Débit à tout habitant de Nouvelle-Aquitaine en 2030, les collectivités auront d'ici là dégagé les possibilités de nouveaux investissements, et pourront ainsi couvrir tout ce que les opérateurs privés n'auront pas déployé.
• Déstabilisation, fragilisation, incertitudes
Acte 3 - En décembre 2017, le gouvernement Philippe souhaite accélérer et s'en remet pour cela... aux acteurs privés. Lesquels sont encouragés à intervenir sur les zones AMEL (les zones les plus rentables parmi les zones moins rentables laissées à l'action publique). Des zones pour lesquelles la carence de l'initiative privée avait pourtant été constatée en 2011 puis en 2013. Côté projets des collectivités : l'aide d'Etat disparait pour la phase 2 !
A première vue, l'idée est séduisante (responsabilisation des opérateurs privés, et dépense publique diminuée) mais en rompant ainsi soudainement le contrat, le gouvernement déstabilise fortement le modèle régional : si les opérateurs privés « récupèrent » les territoires les plus intéressants parmi ceux que les collectivités avaient projeté d'équiper, le montage financier du projet public d'ensemble n'est plus valable. Cet aménagement progressif et équitable est remis en cause. Le réseau global deviendrait également moins important, et pourrait alors devenir moins séduisant pour les fournisseurs d'accès. Enfin, l'aide nationale supprimée, les acteurs publics ont quelques incertitudes sur la capacité à finaliser les plans de financement.
Alors même que les opérateurs privés accusent des retards sur les plans de déploiement actuels (et que les nouvelles conventions ne seront pas davantage contraignantes en cas de non-respect du calendrier), la liberté qui leur est donnée de venir piocher les portions de territoire lucratives, ne laissant plus aux collectivités que les dernières zones les plus coûteuses à équiper, fait planer une sérieuse menace sur le projet régional d'aménagement numérique.
Pour alerter sur ces conséquences importantes localement, les collectivités de Nouvelle-Aquitaine engagées dans ce modèle mutualisé régional (au travers de la SPL) viennent d'écrire conjointement au premier ministre. Elles demandent que ces décisions soient reconsidérées et qu'à tout le moins, le guichet « Fonds pour la Société Numérique » soit réouvert, assurant les financements d'Etat pour les réseaux publics locaux. Les signataires estiment « impensable » une réponse négative synonyme de « nouvelle contrainte » forte, « alors que les chantiers engagés assurent un déploiement efficace, dans un calendrier proche, et selon un modèle vertueux pour la dépense publique ».
• La lettre au Premier ministre est signée d'Alain Rousset, président du Conseil régional, Mathieu Hazouard, président de la Société Publique Locale « Nouvelle-Aquitaine THD », François Bonneau, président du Département de la Charente, Jacques Chabot, président de Charente Numérique, Jean-Marie Bost, président de DORSAL, Valérie Simonet, présidente du Département de la Creuse, Pascal Coste, président du Département de la Corrèze, Jean-Claude Leblois, président du Département de la Haute-Vienne, Germinal Peiro, président du Département de la Dordogne et président du Syndicat mixte « Périgord Numérique », Jean-Louis Pedeuboy, président du Sydec des Landes, Xavier Fortinon, président du Département des Landes, Pierre Camani, président du Département de Lot-et-Garonne et président du Syndicat mixte « Lot-et-Garonne numérique ».
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