jeudi 29 mars 2018

L’agriculteur Paul François continue le combat : « Le rachat de Monsanto par Bayer ne change rien, la procédure suivra son cours »

Amiante, herbicides, pesticides : le long chemin d’hommes et de femmes pour alerter sur la dangerosité de certains produits sur la santé

Paul François a publié chez Fayard « Un paysan contre Monsanto », ouvrage retraçant treize années de combat contre la maladie et la firme transnationale. En vente dans les librairies dont celle de la Poste à Montendre.
Amiante, pesticides, Henri Pezerat, chercheur au CNRS, a été de tous les combats quand il s’agissait  d’aider des ouvriers tombés malades en raison de substances utilisées dans leur cadre professionnel.  Certains ont trouvé la mort. Démunis face à des groupes puissants peu enclins à reconnaître la vérité, il a apporté sa caution scientifique à ces salariés qui pesaient bien peu dans la balance. Ainsi le scandale de l’amiante, interdite depuis 1997 (seulement), des pesticides dont la fameuse affaire « Paul François », agriculteur charentais qui a attaqué Monsanto en justice, ou les salariés de Triskalia, coopérative bretonne condamnée en septembre 2016 pour intoxication aux pesticides. Depuis des années, des victimes aux vies bouleversées s'insurgent pour faire plier ces géants de l’agroalimentaire.

Mercredi soir à Montendre, le film Sentinelles, réalisé par Pierre Pezerat (fils d’Henri), a été diffusé à l’initiative de l’association Clap, suivi d’un débat animé par Paul François. Ces témoignages, riches en enseignement, ont démontré que certains groupes agro-alimentaires, pourtant soucieux d’une communication "positive", se soucient peu de leur personnel et plus généralement des conséquences que peuvent avoir leurs produits sur la santé et l’environnement, faisant fi des générations futures, c’est-à-dire de leurs petits-enfants. Apparemment, cela ne leur pose pas de problème de conscience…

Quelque part une trahison de la part des employeurs et fabricants…

Tous faisaient confiance à leurs employeurs ou leurs fournisseurs. Quand Josette Roudaire et Jean-Marie Birbès travaillaient l’amiante et voyaient autour d’eux des nuages « semblables à la neige », ils n’imaginaient pas que leur santé en serait altérée. 
En 2004, quand Paul François, agriculteur à Bernac en Charente, ouvre le couvercle de son pulvérisateur pour voir s’il est vide avant d’introduire un nouveau produit, il accomplit un geste banal… qui va bouleverser son existence. Il se rend compte qu’il a respiré « quelque chose de mauvais » et son état se détériore rapidement. A l’origine de ses problèmes, le Lasso, un désherbant de la marque Monsanto, déjà interdit dans plusieurs pays en raison de sa dangerosité. La France, elle, l'autorise. Comme à l‘habitude. 
S’ensuivent de longues années de crises douloureuses et invalidantes qui le conduisent, au fil des rémissions et des rechutes, à des séjours parfois prolongés dans plusieurs hôpitaux, à Angoulême, Poitiers, la Salpétrière à Paris. A chaque fois, la médecine se refuse à attribuer son état à l’inhalation accidentelle du produit. On va même jusqu’à le conduire dans un établissement psychiatrique : « une chance parce que les médecins ont vu que j’étais sain d’esprit. Le plus dur, c’est qu’on m’a empêché de voir mes enfants » avoue-t-il. 

En agriculture, combien de produits phytosanitaires employés ?
Le nombre de cancers, en forte progression
Paul François se met à la recherche de scientifiques qui pourraient analyser de façon plus précise et indépendante les symptômes dont il est frappé. Parmi eux, Henri Pézerat - qui a contribué à l’interdiction de l’amiante en France - fait apparaître la responsabilité du Lasso dans le mal dont il souffre. Avec l’aide de Me Lafforgue, son avocat, Paul François se lance alors dans un combat judiciaire sans précédent. Il lui faut attendre 2012 pour que le tribunal de Lyon lui donne raison contre la firme multinationale Monsanto : le pesticide est reconnu responsable de l’intoxication et de ses graves effets secondaires. Le jugement est confirmé en appel en 2015, mais l’histoire n’est pas terminée. Saisie, la Cour de Cassation a réuni la Chambre mixte.  Elle a estimé que le dossier aurait du porter sur la commercialisation en toute connaissance de cause d’un produit défectueux plutôt que sur un défaut d’information sur l’étiquette. En conséquence, en juillet 2017, elle a annulé l’arrêt de Lyon et renvoyé les deux parties devant une autre Cour d’appel. Nouvelle étape judiciaire, les conclusions ont été déposées et on devrait en savoir davantage prochainement. 
« Le fait que Bayer rachète Monsanto ne change rien au suivi de la procédure » souligne Paul François. Cependant, il semble évident que Bayer, en pareille circonstance, n’aurait pas fait traîner le dossier aussi longtemps… « A un moment, j’ai failli tout arrêter car j’étais malade. J’ai eu une tumeur sur la thyroïde qui a été enlevée, mais j’ai fait cinq chocs septiques » avoue-t-il. Une fois remis, il a écouté sa famille et son avocat. « Si nous gagnons, cette affaire fera jurisprudence » estime ce dernier. En France et ailleurs.

 Me Lafforgue, avocat de Paul François
Il passe au bio

Le film a sensibilisé le public avec une évidence : les produits qu’utilise l’agriculture nuisent non seulement aux paysans, mais ils se retrouvent sur les cultures et dans les sols. Paul François a lui-même changé ses habitudes. Il a grandi avec certaines méthodes inculquées : « Dès 14 ans, j’ai été formé pour pratiquer une agriculture chimique ». On traite, on fait du rendement et tant pis si ça appauvrit les terres. De toutes les manières, le circuit est verrouillé et la FNSEA est souveraine. Toutefois, ces dernières années, les scandales alimentaires font bouger les curseurs et la malbouffe est alarmante ainsi que le nombre de cancers, en forte progression. Les consommateurs s’adressent de plus en plus aux producteurs locaux dans le cadre de marchés fermiers par exemple, lesquels connaissent une fréquentation croissante. 
Comment en est-on arrivé là ? A une époque, il fallait garantir le panier de la ménagère. C’est alors que les grandes surfaces sont entrées en action, avec l’aval des gouvernements, en proposant des prix bas. Ces pratiques ont asphyxié les agriculteurs qui ne peuvent plus vivre correctement de leur travail et souffrent de la concurrence des autres pays. 

Débat avec la salle
Paul François, quant à lui, a décidé de faire du bio en commençant par la moitié de son exploitation de 204 ha : « au début, je ne savais pas faire, j’ai réfléchi. J’ai pensé aux effets sur la santé, ma famille, les voisins. Mon choix a été rapidement établi ». Ses filles et sa femme l'accompagnent. Il emploie deux salariés de 28 et 29 ans qui se sont investis. Et ça marche : « le bio me rapporte plus que l’autre partie qui est en exploitation classique ». Conséquence, dans trois semaines, les parcelles de Paul François seront cultivées 100% bio ! 
Dans le public, une participante s’interroge : « Ces terrains ne sont-ils pas contaminés par des années de pesticides ? ». Paul François admet qu’il faut bien un commencement : « je sais qu’il reste des résidus et qu’il faut compter dix ans. Toutefois, la présence de vers de terre est prometteuse ! Seul hic, quand je traitais avec des produits phytosanitaires, mes voisins ne disaient rien. Depuis que j’utilise du bio à base d’algues, l'odeur est forte et ils le font savoir ! ».
Au sujet des problèmes qui peuvent surgir entre agriculteurs et riverains, il estime qu’il faut ouvrir le dialogue et rechercher un terrain d’entente. Une charte de bonnes pratiques a été établie dans le Limousin entre des pommiculteurs et des habitants qui voulaient sortir le fusil… 

Globalement, l’utilisation de produits phytosanitaires aurait baissé en France de 2 à 3%. Comment  peut-on changer les pratiques ? En sensibilisant les jeunes dans les lycées agricoles. La projection du film « la mort est dans le pré » est édifiante. Deux des trois agriculteurs sont décédés de maladies liées aux fameux produits. « Quand je demande aux élèves "Qui veut faire une autre agriculture ?", nombreux lèvent la main » souligne Paul François. Un bon signe pour l’avenir, mais le mal n’est-il pas déjà fait ?…


• Paul François : « Aujourd’hui, on ne défend pas l’exploitation agricole. On défend l’agroalimentaire, l’agro-chimie et le haut du panier de la FNSEA ». L’exemple du Roundup est révélateur…

• Par financement participatif, Paul François a pu recueillir 70.000 euros qui lui permettront de payer les frais de justice et continuer son combat, en particulier à travers l’association Phyto-Victimes fondée en 2011. Elle vient en aide aux agriculteurs ou personnes ayant un contact professionnel avec les pesticides et qui se sont retrouvés victimes de ces produits. L’association les accompagne aussi pour faire reconnaître leur maladie professionnelle.

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