La vie des Ajhassons racontée dans un livre : parce qu'ils le valent bien ! © N. Bourgouin |
Bernard Rouhaud est de retour dans sa ville natale. C'est là qu'il a grandi et commencé sa carrière d'enseignant au collège de Matha, puis au lycée de Saint Jean d'Angély où il était professeur d'anglais. Esprit curieux et éclairé, il a rapidement compris que sa mission première - la transmission de la connaissance - devrait s'enrichir de nouvelles expériences. « C'est en 1968 que j'ai rencontré Odette Comandon lors d'un repas des anciens organisé par le maire, André Brugerolle. J'avais formé un petit groupe qui présentait des danses du monde et nous avons évolué devant elle. Elle m'a alors conseillé de créer un vrai groupe folklorique avec des danses régionales. Et je vous aiderai, a-t-elle ajouté. J'étais conquis ».
Un premier noyau est constitué. Pour qu'il soit performant et reflète l'âme de la région, des recherches sont nécessaires. L'évolution est passée par là, rangeant dans le vieux "cabinet " les usages d'antan. Le patois, qui n'est pas chic dans les conversations, est carrément boudé par les jeunes générations et les coutumes des grand-mères font figure d'un autre âge. Bernard Rouhaud et ses amis comprennent qu'il est grand temps de préserver la "mémoire" avant qu'elle ne disparaisse, gommée par un exode rural massif. Chapeautée par l'UPCP (Union pour la culture populaire en Poitou-Charentes-Vendée), la moisson est riche. Sollicités, les anciens sont heureux d'évoquer leur jeunesse : « la collecte a été importante. Elle nous a permis de constituer un répertoire des danses et des chansons traditionnelles de Saintonge ». Un vrai travail d'ethnologue !
Les Ajhassons (traduire "petites pies") de Matha prennent leur envol. De 1982 à 1988, Bernard Rouhaud encadre le groupe qui organise un festival annuel à Matha avant de prendre un essor international : « nous avons été l'un des premiers à sortir officiellement de France grâce au Ministère de la Culture ».
Lors du festival au théâtre antique de Bosra en Syrie, ils sont suivis attentivement. Le président Mitterrand envisage, en effet, d'effectuer une visite officielle dans ce pays, les relations étant rompues depuis un certain temps. Matha doit donner l'exemple. Un sacré poids repose sur les épaules des Ajhassons !
Le superbe théâtre antique de Bosra |
Rencontre avec Bachar El Assad
Lorsqu'ils arrivent en Syrie en 1984, Bernard Rouhaud et les Ajhassons sont un peu fébriles. En effet, le premier spectacle est consacré aux danseurs du Bolchoï. La barre est haut placée. « Quand nous sommes entrés dans ce théâtre antique extraordinaire, que les sables ont préservé du temps, de nombreuses personnalités étaient présentes dont Bachar El Assad, alors ministre de la culture. Il y avait au moins 16000 personnes sur les gradins. La nuit précédente, nous n'avions pas très bien dormi ! Ce fut un succès et pour nous, une grande joie. Dès le lendemain, nous avons été ovationnés par les journaux, puis une conférence de presse a été organisée ».
De retour en France, Bernard Rouhaud poursuit ses activités quand une opportunité s'ouvre à lui. En 1988, il rejoint le Ministère des Affaires Etrangères, chargé de diriger le Centre culturel français de Nazareth en Israël, poste qu'il conserve jusqu'en 1993 : « il s'agissait d'instaurer un dialogue avec les Palestiniens, rompu depuis des décennies. Parmi mes fonctions, réunir jeunes Palestiniens et Israéliens sur une même scène était non seulement une tâche motivante, mais les résultats ont toujours été prometteurs ». Seul hic, durant cette période, sévit la Guerre du Golfe. « La situation était dangereuse, mais j'ai pu constater que les centres culturels dont j'avais la responsabilité n'avaient pas été attaqués. J'en ai conclu que le travail entrepris avait porté ses fruits »…
Après avoir occupé des postes en Thaïlande (de 93 à 97) où il rencontre le styliste Peng Seanpinta, puis en Bulgarie et en Inde, Bernard Rouhaud est de retour à Matha, le souvenir de ses pérégrinations en tête. L'une d'elles reste gravée : l'aventure des Ajhassons ou comment la petite ville de Matha s'est illustrée de par le monde ! Un sacré défi et une belle histoire contée dans un ouvrage dont la sortie est programmée à l'automne avec de magnifiques illustrations. Nous sommes impatients de le découvrir...
• Bernard Rouhaud a co écrit "Droguets, guêtres cotillons" (1976) ; il a participé à l'enquête sur "Le Dragon des Michelet" (son ancêtre) écrit par Daniel Cario et il prépare "Une vie Ajhassons" à paraître en novembre aux éditions Bordessoules.
Ne croyez pas que nos aïeux voyaient la vie en noir !
Victime des clichés, on imagine la troupe patoisante en tenue sombre, jupe longue et tablier, avec pour seul ornement une coiffe brodée. Pas de quoi fantasmer ! Voilà qui faut sursauter Bernard Rouhaud : « Les costumes de nos aïeux n'étaient pas tristes. Il y avait du bleu, du rouge, du violet, du brun ». Passionné d'histoire, il explique que certaines couleurs de vêtements étaient liés aux corporations. Sous François 1er, les paysans étaient en bleu et en écru l'été ; les commerçants et ouvriers en marron. En cas de rébellion, on savait tout de suite d'où venaient les agitateurs ! Les plus aisés, quant à eux, s'habillaient comme ils voulaient. A la campagne, les femmes portaient des jupons colorés qu'elles dévoilaient grâce à des pinces (appelées pages). Dès que la maréchaussée apparaissait (car l'acte était répréhensible), elles les décrochaient et la tenue retrouvait sa rigueur.
Longtemps, les mariées ont porté du rouge ou du bleu. Le blanc n'est venu que tardivement, vraisemblablement des Etats-Unis. Il y a encore de nombreux pays où le blanc est la couleur du deuil, comme en Chine.
Superbes bijoux de nos aïeules (croix et pages) |
• En 20 ans, les Ajhassons ont enchaîné les récompenses : collier d’argent à Dijon, 2ème ensemble mondial en 1976, meilleur ensemble français en 1979 et 1995, médaille d’or au festival de Bourgas-Bulgarie en 1982, représentation de la France dans de nombreux festivals en Suisse, Tchécoslovaquie, Pologne, Yougoslavie, Grèce, Bulgarie, Turquie, USA, Canada, Albanie, Syrie, Hongrie, Thaïlande, Portugal, Espagne. L’ensemble a participé à plus de 1000 spectacles et enregistré plusieurs disques.
• Chaque année, à partir de 1979, dans le cadre du festival de la paix, Matha accueillait près de 1000 jeunes artistes du monde entier ainsi que les écoles des troupes professionnelles de l'Opéra de Pékin, les ballets nationaux de Cuba, Corée, Hongrie, URSS, Sri-Lanka, Thaïlande. Les Ajhassons ont cessé leurs activités en 2001.
• Quelques photos de l'album souvenirs (© N. Bourgouin)
N'ont-ils pas fière allure, nos Ajhassons ? |
1 commentaire:
Que de magnifiques souvenirs de répétitions, de spectacles, de voyages. Mercis Bernard,
Infiniment Merci !
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