extrait des graves alluvionnaires
Un soleil de plomb tape sur la campagne charentaise. Depuis que les visiteurs peuvent suivre en direct les fouilles réalisées dans la carrière d'Angeac, leur nombre ne cesse de croître. Ils ont appris que vivaient là des dinosaures dont les ossements sont étonnamment bien conservés dans les argiles. Rencontre avec un passé qui se perd dans la nuit des temps avec une particularité : quand ces immenses bestioles peuplaient la Terre, l'homo sapiens restait à inventer…
Angeac en Charente. En ce mardi de juillet, les visiteurs, qui se pressent à l'entrée, ignorent que la fameuse "carrière à dinos" a été le lieu d'un drame. Quelle est donc cette histoire ? Les chercheurs, qui fouillent le site depuis 2010, y ont découvert - entre autres - de nombreux ossements de dinosaures regroupés dans un même périmètre. « Des dizaines de juvéniles » souligne un spécialiste. Un cinéaste pourrait faire jouer son imagination. Pourquoi ces créatures ont-elles connu une fin prématurée ? Poursuivies par un prédateur, elles auraient pu s'embourber et ces terres mouvantes, semblables à des marécages, seraient devenues leur tombeau. Nul ne saura jamais ce qui a bien pu leur arriver.
Pelle à la main, scientifiques, étudiants et bénévoles ont en commun leur passion pour la paléontologie. Les "témoignages" recueillis, issus d'époques reculées, ne les laissent pas insensibles. La télévision non plus puisque l'équipe " Des racines et des ailes" prépare une émission.
En fin de journée, elle assiste à un événement suivi avec une grande attention. Un sacrum de plusieurs tonnes est extrait de sa prison multimillénaire par une pelleteuse conduite avec dextérité. Il est déposé sur le plateau en l'attente d'être dirigé vers le musée d'Angoulême où il sera analysé. Ce sacrum appartient à un dinosaure d'une quarantaine de mètres. Une bestiole immense qui coulait des jours tranquilles il y a des millions d'années. Le plus incroyable, le plus touchant aussi est de retrouver la trace de son existence. Comme si elle avait laissé une signature...
Un climat tropical...
Le rideau s’ouvre au Crétacé, vers 130 millions d’années. La température d’alors est tropicale. Toute une faune (dont les dinosaures) a élu domicile dans cette région qui appartient aujourd'hui au département de la Charente. L'endroit conjugue étroitement l’eau et la terre.
La mer s’est retirée. A Cherves, par exemple, elle a laissé derrière elle une immense lagune d’eau salée, très allongée, qui s’étend d’Angoulême à la Rochelle environ, soit une centaine de kilomètres. Sous l’effet du soleil, l’eau salée s’évapore, d’où la précipitation du gypse (qu'exploite actuellement la société Garandeau). Peu à peu, cette lagune, à mi-chemin entre la mer d’Aral et les chotts d’Afrique du Nord, commence à recevoir l’eau douce continentale en provenance du Massif Vendéen et du Massif Central.
Ere quaternaire (100.000 ans). La future carrière d'Angeac correspond à un espace proche de la Charente dont le cours est différent de son tracé actuel (elle mesure plus d'un kilomètre de largeur). Pleine de vivacité, elle érode les couches argileuses de son lit qui abrite d'anciens ossements de dinosaures. Lesquels sont recouverts de sable et de graviers. Les courants mêlent les restes des uns et des autres, comme s'ils voulaient faire un pot commun de ces occupations successives. A cette époque, les gros "lézards" ont disparu pour faire place à des animaux plus acceptables par leur taille tel que l'éléphant antique. Sur les rives du fleuve, l'homme de Néandertal expérimente ses outils sans vraiment se préoccuper de ceux qui l'ont précédé. La chose la plus importante pour lui est de survivre…
XXe et XXIe siècles après J.C. Une infinité s'est écoulée, une goutte d'eau dans l'immensité du temps. La société Audoin, propriétaire d'une dizaine d'hectares à Angeac, est intriguée par des présences inhabituelles lors des extractions de graves, dont une défense de mammouth en 2004. Le responsable alerte les spécialistes, mais le courant ne passe pas. On demande à l'entreprise d'arrêter ses activités pour effectuer des recherches approfondies, ce qui pose problème. Les ossements (dinosaures et autres), malgré leur intérêt et leur rareté, ne sont pas protégés par la loi et peuvent donc être détruits par les carriers.
Les années passent. En 2008, une vertèbre de grand sauropode (dont fait partie le diplodocus) s'ajoute aux "pêches miraculeuses" et en janvier 2010, Jean-Pierre Paillot aperçoit un long fémur de 2,20 mètres dans le godet de sa pelle mécanique. Jean-Marie Audouin et ses fils contactent le musée d'Angoulême dont le conservateur, Jean-François Tournepiche, se montre à la fois intéressé et compréhensif afin de ne pas entraver la bonne marché de la société. Des fouilles d'une durée de quatre semaines sont programmées. Elles sont mises en place par Didier Néraudeau, professeur à l'université de Rennes.
Un sacrum de dinosaure de plusieurs tonnes
En juillet 2015, s'est ouverte la sixième campagne. Le gisement n'est exploitable qu'un mois de l'année, en été. En effet, dès que les pompes cessent leur activité, l'endroit est aussitôt recouvert par les eaux de la nappe phréatique. Cette protection naturelle évite aux "curieux" de se précipiter sur les lieux pour en ramener quelques trophées !
Dans l'argile grisâtre, épaisse de plus d'un mètre, les os et les bois sont dans un bon état de conservation. Les étudiants ont d'excellentes pistes à explorer, à commencer par la formation du gisement. « Nous cherchons à comprendre la dynamique du site. Dans les couches, on observe des variations ». Et la récolte n'est jamais stérile avec des trouvailles étonnantes, dents, griffe, vertèbres, morceaux d'arbres. « C'est vraiment intéressant ».
Le sourire aux lèvres, Jonathan se souvient du jour où le fameux sacrum (bas du bassin) a fait un retour triomphant chez l'homme moderne : « en nettoyant des graves, nous avons constaté qu'un gros os effleurait. Nous l'avons dégagé et vu son importance, nous l'avons plâtré pour le protéger afin qu'il puisse être étudié. Il appartient à un spécimen géant ! ». Voir ce paquet minutieusement emballé s'élever dans les airs a quelque chose de surréaliste ! Le public est fasciné tandis que les fouilleurs ressentent une véritable émotion. Dès que l'engin pose la "momie" sur le sol, ils applaudissent : l'opération est réussie !
Une manœuvre délicate... |
A poser délicatement... |
Jonathan et Jean-François Tournepiche |
Ronan Allain, paléontologue au Museum National d'Histoire Naturelle et l'un des rares spécialistes des dinosaures en France, travaille à Angeac. « Le lieu est vraiment exceptionnel pour la connaissance ! Nous y avons localisé les éléments d'un dinosaure carnivore ainsi qu'une griffe assez gigantesque ! ». Plusieurs espèces d'iguanodons ont été identifiées. Tous attendent d'y trouver les empreintes des fameuses plumes d'ornithomimosaures. On sait désormais qu'existaient des dinosaures à plumes, la preuve ayant été apportée en Chine et Mongolie ! Ils vivaient aussi à Angeac ! En 2012, Ronan Allain a publié la description d’un nouveau spinosaure découvert au Laos, sorte de dinosaure carnivore pesant de quatre à six tonnes et répondant au doux nom d’Ichthyovenator laosensis. Angeac, dont les travaux se poursuivront encore quelques années, devrait être à l'origine de nouvelles publications.
Un gisement unique en Europe
Jean-François Tournepiche, coordinateur des fouilles, souligne la richesse du gisement : « c'est un chantier extraordinaire, un "aquasystem" fossilisé qui n'a pas d'équivalent en Europe. Il offre une grande potentialité de recherches ». D'autant qu'aux dinos et aux mammouths, s'ajoute un véritable bestiaire, des poissons, des requins d'eau douce, des mammifères, des végétaux dont des conifères. « Ne croyez pas que toutes les espèces étaient gigantesques, c'est loin d'être le cas » précise le spécialiste. Disons simplement que certains spécimens étaient hors normes !
Les ossements mis au jour sont protégés et étudiés. Les pièces les plus représentatives seront exposées en musée après avoir été sélectionnées par une commission d'experts. S'y ajouteront des expositions temporaires, des conférences et les thèses soutenues par des étudiants. Dont celle de Laure.
Elle travaille sur la carrière charentaise depuis des années et note attentivement chaque découverte. Elle s'intéresse à une quarantaine de jeunes dinosaures de la même espèce, des ornithomimosaures qui se déplaçaient en troupeau. « Un peu comme les autruches » plaisante-t-elle. Ils sont morts à quelques jours d'intervalle. Les causes ? Maladie, attaque de crocodiles ou autres prédateurs, incendie, enlisement ? Allez savoir ! Le fleuve d'alors a gardé le secret, ensevelissant leurs corps dans les sédiments. La mission des chercheurs est de faire "parler" ces témoignages.
Malgré ses nombreux atouts, Angeac n'a pas la chance d'avoir conservé de véritables empreintes de dinosaures comme on peut en voir à la Plagne, dans le département de l’Ain ou encore à Crayssac dans le Lot avec la fameuse plage aux ptérosaures.
En attendant d'en savoir plus, on peut rêver en imaginant cet univers, si éloigné de notre environnement moderne ! Malgré l'évolution, l’homme se heurte toujours aux questions existentielles : « qui est-il, d’où vient-il et où va-t-il ? ». Dans sa quête, il dispose d‘éléments qui éclairent son (long) chemin…
Reportage/ Photos © Nicole Bertin
• De nombreuses espèces de dinosaures ont été retrouvées à Angeac. En 2015, une tête de fémur d’un mètre de haut, pesant plus de 100 kilos, a été mise au jour ainsi que des tibias d’ornithomimosaures, les fameux dinosaures à plumes qui faisaient trois mètres de haut et cinq de long ! Les chercheurs ont surnommé cette bestiole "Mimo" ! Sans oublier le sacrum d'un sauropode de plus de 40 mètres. A ce jour, ont été répertoriés 4500 fossiles et 15000 fragments.
• Le dessinateur Mazan a consacré deux ouvrages à Angeac dont le second a été présenté cette année.
« Avec mon collègue Romain Vullo, nous avons découvert
en Charente-Maritime divers petits sites
livrant des dents de dinosaures »...
en Charente-Maritime divers petits sites
livrant des dents de dinosaures »...
Paléontologue, professeur à l'université de Rennes et membre de l'Académie de Saintonge, Didier Néraudeau connaît bien la carrière d'Angeac. Confidences :
« J'ai effectivement été l'un des premiers à fouiller le site d'Angeac, à créer les objectifs et l'équipe de recherche en 2010, sur la demande du Musée d'Angoulême. Une grosse vertèbre avait été récoltée par Jean-Pierre Paillot fin 2008, de l'entreprise Audoin, au cours de l'extraction de la grave alluvionnaire. Il nous a été demandé par le Musée, à Romain Vullo et moi-même, si cette vertèbre était plutôt du mammouth, de la baleine ou du dinosaure. Nous avons tranché en faveur de cette dernière hypothèse.
Sur cette base, nous avons estimé qu'il fallait faire un premier sondage et celui-ci s'est révélé très encourageant, des dizaines d'ossements cassés ou entiers étant prélevés par la pelleteuse dans une argile grise à beige située sous les alluvions anciens de la Charente. J'ai réuni une équipe de recherche pour réaliser une fouille en août-septembre 2010 à l'emplacement du premier sondage. Cette équipe rassemblait, avec Ronan Allain, les meilleurs laboratoires et les meilleurs scientifiques spécialistes des reptiles fossiles en France : Eric Buffetaut (CNRS-ENS Paris), Jean Le Lœuff (Musée des dinosaures d'Esperaza, Aude), Jean-Claude Rage (CNRS-Muséum d'Histoire Naturelle de Paris) et Romain Vullo (CNRS-Université de Rennes). Puis Ronan Allain a pris les rênes du projet en 2011.
La carrière d'Angeac est un site très fossilifère et remarquable non seulement par sa richesse en ossements de dinosaures, par la grande qualité de conservation de ces ossements, mais aussi par leur âge géologique, le milieu du Crétacé inférieur (120 à 130 millions d'années), dont on ne connaît dans l'Ouest de la France que très peu de gisements de dinosaures. Avant la découverte du site d'Angeac, le plus important gisement crétacé de dinosaures en France était celui d'Esperaza, dans l'Aude, étudié par mon collègue Jean Le Lœuff. Mais cet autre site date de la fin du Crétacé (75-80 millions d'années) : il est bien plus récent que celui d'Angeac. Il est donc particulièrement intéressant, pour connaître l'évolution des espèces de dinosaures et de leur environnement, de disposer ainsi dans le Sud-Ouest de la France de deux sites très fossilifères distants dans le temps d'un quarantaine de millions d'années.
A noter également qu'avec mon collègue Romain Vullo, dans les années 2000 à 2010, nous avons découvert en Charente-Maritime divers petits sites livrant des dents de dinosaures d'une époque intermédiaire du Crétacé, datée d'environ 100 millions d'années.
Au final, entre les Pyrénées orientales, la Charente et la Charente-Maritime, nous pouvons suivre l'évolution des faunes de dinosaures dans l'Ouest de la France au Crétacé, avec trois zooms successifs espacés l'un de l'autre d'environ 20 millions d'années. Cela représente au total plus d'une vingtaine d'espèces de dinosaures, accompagnées de divers crocodiles, tortues et reptiles volants (les ptérosaures).
A l'échelle d'Angeac, les découvertes majeures sont celles d'un sauropode (herbivore) géant muni de fémurs mesurant plus de 2 mètres chacun et d'un théropode original, sans dents et de taille modeste, s'inscrivant dans le grand ensemble des dinosaures aviens, c'est-à-dire des cousins et des ancêtres des oiseaux modernes.
Depuis la réalisation en 2010 du premier sondage dans la carrière d'Angeac, les surprises les plus enthousiasmantes sont l'étendue de la couche contenant les ossements dinosauriens, avérée sur quelques kilomètres, et l'existence d'autres couches à dinosaures, légèrement plus récentes ou plus anciennes, dans d'autres localités saintongeaises ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire