André Malraux pressentait que « le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas ». Certes, des extrémismes, qu'on croyait éteints, sont entrés en éruption, rappelant ces vieux volcans qui crachent leur lave comme un dernier rempart à leur survivance.
Et si le XXIe siècle était tout simplement l'ère des médias ? L'époque où l'actualité, traversant le monde à la vitesse de la lumière, est accessible en même temps d'Ancorage à Pékin ?
Aux côtés du journal qu'on déploie (en raison de sa taille) chaque matin devant son café (certains préfèrent la tablette, plus petite !), la télévision a ajouté des chaînes - BFMTV, iTELE - qui transmettent en continu, rendant le téléspectateur témoin privilégié des événements. Ces infos ne sont pas réjouissantes, tuerie d'un côté, attentats de l'autre. Une manière directe de sensibiliser les masses et de leur rappeler qu'elles vivent dans un monde en guerre dont les belligérants n'ont pas de visages identifiés. Serions-nous irrémédiablement cernés ?
Un nombreux public |
Les Français moins friands de la presse écrite que les Anglais !
Elizabeth Bougeois connaît bien le monde de la presse pour y avoir travaillé durant 25 ans. Elle a présenté la météo, faisant ainsi la pluie et le beau temps. Jeudi dernier, le président de l'Université d'été, Jean-Claude Arrivé, est heureux de la recevoir sous le regard attentif de sa famille, dont son père Jean, maire de Saint-Germain de Lusignan durant de nombreuses années. Il peut être fière de sa fille : affichant un caractère bien trempé, elle ne pratique pas la langue de bois.
Ce soir-là, le thème de la conférence gravite autour de la presse régionale : mieux la comprendre ; fonctionnement, enjeux, exemples locaux et échanges citoyens. L'analyse est volontairement ciblée, même si la presse est multiple avec de nouvelles "fenêtres", les fameux réseaux sociaux (facebook, twitter, etc) où chacun peut se sentir une âme de reporter. La toile d'araignée médiatique s'étend chaque jour davantage. Avec ce danger qu'on y trouve le meilleur comme le pire et surtout une "intox" qui s'insinue sournoisement. Conséquence, d'après de récents sondages, le public échaudé se méfie de plus en plus de ce qu'il voit et entend. D'où une crise de confiance envers les journalistes dont on suspecte parfois la réelle indépendance…
Et la presse écrite dans tout ça ? « Elle est menacée en raison de l'essor des nouvelles technologies » souligne la conférencière. Les baisses de tirages des grands quotidiens sont révélatrices de la crise. Il est bon de distinguer « information et communication », cette dernière résultant des collectivités, des entreprises via les agences de com. ou les services de ces organismes. Dans ce cas-là, il s'agit d'une info "dirigée" qui correspond à un objectif précis. S'il doit exploiter le communiqué, le journaliste doit alors le vérifier s'il ne veut pas retranscrire une information qui tourne à la louange éternelle !
Née à la fin du XVIIe siècle (surtout en Angleterre et aux Pays Bas), la presse écrite a pris un bel essor aux XIXe et XXe siècles avant de connaître des difficultés liées à des concurrences multiples et variées. Sur l'objectivité des écrits, Elizabeth Bougeois est réaliste : « à partir du moment où il est traité par des hommes et des femmes ayant une sensibilité, le travail créatif n'est pas neutre. Il n'est donc pas objectif ». Et d'ajouter : « Les Français sont de petits lecteurs par rapport aux Anglo-Saxons. Le Sun tire à 3 millions d'exemplaires, Ouest France à 785.000, 20 Minutes à 943000 »…
Mieux comprendre la presse régionale avec Sud-Ouest
Elizabeth Bougeois a axé ses recherches sur le quotidien Sud-Ouest en se basant sur les titres et les éditos d'Yves Harté, Christophe Lucet et Bruno Dive sur une période donnée, du 1er au 15 janvier 2015. « L'éditorial positionne le journal. Il reflète la pensée de la rédaction, un certain regard porté sur le monde ». SO n'a pas de ligne politique affichée : les gens de droite lui reprochent d'être à gauche et réciproquement ! Sa devise : "les faits sont sacrés, les commentaires sont libres". L'analyse qu'elle a effectuée est minutieuse. Prenons par exemple les titres de unes faits pour attirer l'attention et donc provoquer l'achat. Le balayage est large mais cependant précis : actualité, environnement, délinquance, social, action positive des forces de police, polémique, histoire, sport.
Eprouvante, la période place le lecteur au cœur d'événements qu'il peut avoir du mal à saisir. Avec les attentats de Charlie Hebdo, le phénomène terrorisme est largement traité, aussi bien en France qu'à l'étranger. Il s'agit d'expliquer le drame que vit le pays dont l'origine vient de l'extérieur. Pourquoi les musulmans radicaux s'en prennent-ils à nous ? Les propos tendent à rappeler que la France n'est pas isolée et qu'elle peut compter sur des appuis. La notion de "collectif" apparaît clairement au fil des lignes. Non, la démocratie ne cèdera pas face à la barbarie parce que nous sommes unis !
Quel que soit le sujet traité (monde, Europe, France), s'ajoute une dimension pédagogique. Dès le départ, la ténacité du président Hollande est largement commentée, comparée aux attitudes d'Angela Merkel ou de Nicolas Sarkozy. SO développe les nouveaux courants que le contexte place sous les projecteurs, Podemos en Espagne, Alexis Tsipras en Grèce. Les peuples se serrent les coudes : « on a tiré sur l'Europe que nos ancêtres ont mis si longtemps à façonner ». Le cœur des humanistes saigne.
Elizabeh Bougeois détaille les messages que veut transmettre Sud Ouest à son lectorat : recherche d'équilibre démocratique, vulnérabilité mais force des sociétés, volonté d'avancer, pistes et mode d'emploi avec, en toile de fond, ce ciment que constitue le collectif, la lutte pour une société plus juste et une France qui se veut exemplaire. « Le ton de S.O. est rassembleur et constructif » estime-t-elle.
Plus que jamais en période troublée, les journaux "politiquement corrects" valorisent une certaine idée de la France. Les querelles des partis, par exemple, apparaissent de plus en plus inutiles aux yeux des citoyens sur une scène où les dangers peuvent surgir à tout moment et à n'importe quel endroit. Les écrits s'en ressentent forcément, alliant la gravité de la situation à la volonté de ne pas dramatiser. En ce sens, la presse écrite a un rôle important à jouer malgré l'affluence des "news" fleurissant sur la toile (la plupart des grands titres ont un relais numérique de qualité).
Suit un débat animé avec le public. Enseignante à l'université de Toulouse, Elizabeth Bougeois parle longuement de sa vie antérieure de journaliste. Sur la liberté de la presse, elle explique pourquoi certains journalistes en arrivent à s'autocensurer volontairement afin de conserver leur emploi. Les journaux indépendants sont rares, Le Canard Enchainé, Mediapart, Le Monde diplomatique.
Sans les subventions de l'Etat (très importantes) et la publicité qui leur permet de garder la tête hors de l'eau, bon nombre de titres français auraient mis la clé sous la porte. « S'ils dépendent des hommes politiques et du pouvoir en place, comment les journaux peuvent-ils être indépendants ? » demande un participant. « Quand on entre au Figaro, on sait quelle est sa ligne éditoriale. Si ce n'est pas votre façon de penser, inutile de présenter un CV » remarque la conférencière. Idem pour l'Humanité. Elle même évoque un reportage qu'elle a refusé de signer, victime de pression. Ses interrogations portent sur les coutumes et usages de la télévision qui ne prend pas forcément le temps de vérifier ses informations : « les faits peuvent y être dénaturés et en plus, il n'y a pas de droit de réponse »…
Bref, la presse est à tournant. Reste à savoir comment elle va évoluer puisqu'elle est au cœur d'une mutation, aussi importante sans doute que ne le fut la découverte de l'imprimerie, là où tout a commencé pour elle…
• Elizabeth Bougeois est titualire d'un doctorat en sciences de l'information et de la communication. Elle a travaillé pour la télévision et la presse écrite (dont la Dépêhe du Midi) avant de rejoindre l'enseignement à l'Université de Toulouse Jean Jaurès en 2014.
• Les journaux gratuits font du tort à la presse payante. « Ce concept est attractif » reconnaissent les jeunes (les étudiants en particulier). N'ayant pas les moyens de s'offrir un abonnement, ils trouvent en ces journaux distribués librement une source d'information rapide (les articles sont brefs) et une synthèse de l'actualité.
La citation de Beaumarchais pour le Canard Enchaîné ! |
Conférence Université d'été Jonzac © Nicole Bertin
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