mardi 25 août 2015

L'un des trésors des Templiers est à Cressac Des fresques uniques en Charente

La bataille de la Bocquée, haut fait de la Seconde Croisade au XIIe siècle, est immortalisée sur les murs de la chapelle templière de Cressac en Charente… 


Découvrir les fresques qui ornent la chapelle templière de Cressac, c'est faire un retour dans le temps, celui des croisades dont la première fut prêchée par le pape Urbain II en l'an 1095. Il n'était pas encore question de Daech, mais de délivrer le tombeau du Christ aux mains des Infidèles à Jérusalem. Un pèlerinage "armé" se mit en place. Ainsi, avec la bénédiction des autorités chrétiennes, de grandes expéditions virent le jour, conduisant rois, puissants seigneurs et fidèles vers ces contrées dont ils ignoraient tout. Un choc pour eux que cet Orient tellement plus raffiné que leur environnement habituel ! A cette époque, les coutumes et usages n'étaient pas d'une exquise sensibilité et les chants des troubadours ne parvenaient pas à faire oublier la brutalité des comportements.
Ces terres lointaines plurent aux nouveaux occupants qui y installèrent des places fortes dont le fameux Krak des chevaliers en Syrie. A la quête spirituelle, s'ajouta la conquête matérielle. L'ordre des Templiers, qui assurait la sécurité des voyageurs en Terre Sainte, grandit en importance. Cette puissance allait lui attirer les foudres de Philippe Le Bel.


 Revenons à Cressac aux alentours de 1160. Le village, qui ne porte pas encore ce nom, se niche entre monts et vaux. Une tranquillité que recherchent les Templiers, obéissant à l'austérité de leurs règles. Sur un "dognon" offert par le seigneur du coin - traduire "petite colline" - ils installent une commanderie. Il y a de l'espace, un puits jamais à sec, des champs où paissent les moutons, de la pierre pour la construction. Un ensemble immobilier voit le jour dont il ne reste aujourd'hui que la chapelle, les dépendances en bois ayant disparu.
Les pèlerins de Saint-Jacques s'y arrêtent, comme en atteste l'empreinte de "la main du pénitent" gravée dans la paroi.

Sur le mur extérieur, la main du pénitent
L'architecture de l'église est simple, un rectangle avec une orientation vers Jérusalem, trois fenêtres en façade, un oculus, la présence d'un lieu de méditation adossé au mur nord tandis que celui du sud révèle une communication vers les cuisines et les pièces destinées aux moines. L'entrée est sobre, peu décorée et devait comporter un auvent. L'intérieur, par contre, recèle des fresques et autres représentations. Quelques cérémonies (pour Noël) y sont organisées, mais les gens de la contrée viennent surtout y signer les actes notariés. Du cimetière qui s'étendait à proximité, il ne reste rien sinon de vagues souvenirs dans la mémoire populaire, des sépultures ayant été "bouleversées" par les charrues des paysans.

Sur une colline, l'église templière de Cressac
Au début du XIVe siècle, les choses se gâtent quand le Philippe Le Bel prend la décision d'anéantir les Templiers, trop riches à son goût. Voilà qu'il fait brûler à Paris, dans l'île de la Cité, le vingt-troisième grand maître de l'ordre, Jacques de Molay. Sur son bûcher, ce dernier le maudit avec une telle efficacité « jusqu'à la treizième génération » que sa lignée succombe (d'où la fameuse légende des Rois maudits). Le pape Clément V trouve la mort lui aussi.
Concernée par ce cataclysme, Cressac change de main. Elle va bientôt dépendre des Hospitaliers qui succèdent aux Templiers. Leur occupation dure environ un siècle avant qu'ils ne quittent l'endroit. L'église est abandonnée et la voûte s'écroule. A ciel ouvert, elle est exposée aux intempéries. Qui s'en soucie ? Les œuvres des Templiers, que cet édifice abrite secrètement, n'intéressent personne !

A la Révolution, le bâtiment est acheté par un fermier de la région qui le transforme en étable (cas identique à l'abbaye de Trizay). Il y installe des mangeoires pour ses animaux et refait le toit. Les peintures du mur nord ont pour rempart foin et paille qui les isolent des "agressions". Des vaches côtoyant des fresques peintes en hommage aux Croisés, avouez que la cohabitation est originale !
Au fil des ans, les ornementations souffrent et s'altèrent, celles du mur sud en particulier où rumine le bétail.
La situation reste en l'état jusqu'en 1902 où Félicien Gendre, originaire de Brie sous Archiac, remarque ce "théâtre" inattendu. Colporteur, il parcourt la campagne et vend des bibles. Interloqué, conscient qu'il a devant lui un témoignage précieux à sauver, il alerte le pasteur de Barbezieux, Théophile Duproix. Ce dernier se déplace et réalise la valeur de ce patrimoine oublié. Le fermier finit par capituler…

L'entrée de la chapelle
L'édifice est sauvé. La communauté protestante y entreprend des travaux dont la voûte en berceau. Le classement aux Monuments historiques intervient en 1914. « Le travail de nettoyage était colossal. Chacun a mis de la bonne volonté et malheureusement, dans l'enthousiasme général, certaines peintures du mur sud ont été effacées » souligne Danaé, guide conférencière.
Dans les années 1950, une restauration des fresques est entreprise, chapeautée par le laboratoire de recherches des Monuments Historiques. On imagine des artistes venant sur place effectuer un rafraîchissement de l'ensemble. Pas du tout ! Faute de moyens, semble-t-il, les responsables estiment plus judicieux de "déposer" les peintures du mur nord, soit 33 morceaux roulés et envoyés à Paris. Ils y sont stockés durant des lustres sans bénéficier du moindre traitement. Dix ans plus tard, Marie-France de Christen se met à la tâche, fixant les différentes parties sur un contre-plaqué afin de les conserver dans leur intégralité. Les parties manquantes ne sont pas reconstituées.

Le décor est orné des premières "fleurs de Louis" qui devinrent plus tard "les fleurs de lys" alors que le roi Louis VII préférait les iris, dit-on ! Ce monarque est le premier époux d'Aliénor d'Aquitaine
Dans la capitale, les spécialistes trouvent attrayants ces grands tableaux qui content un pan de notre histoire. Ils sont d'abord présentés au Trocadéro, puis en d'autres sites quand la commune de Cressac aimerait bien retrouver ses chevaliers ! Opiniâtres, les Charentais ne les récupèrent qu'une décennie plus tard. Certes, le puzzle assemblé reproduit les scènes initiales, mais elles ont perdu de leur authenticité première. Seule consolation, les supports rigides les isolent de l'humidité qui pourrait les altérer. De nos jours, ces techniques de restauration ne sont plus guère employées car elles provoquent des dégâts…
Craignant de ne jamais revoir leur trésor, les habitants sont heureux de le retrouver et dès lors, des visites sont organisées qui suscitent une certaine émotion. Exceptionnelles, ces peintures murales ne sont pas sans rappeler les graffiti de Moings.

Visite guidée par Danaé

L'ocre utilisé pour les fresques
Le mur nord conserve le souvenir d'un événement historique, la bataille de la Bocquée, dite des Gonfanons, qui s'est déroulée près du Krak des Chevaliers en Syrie. Les Croisés en sortirent vainqueurs, ayant attaqué les troupes de Nour ed Din par surprise. L'altercation a lieu en 1163 entre Damas et Alep. Sur ce long "rouleau", aux côtés des chevaliers d'Angoumois et du Poitou, on aperçoit Guillaume Taillefer, Geoffroy Martel, frère cadet du comte d'Angoulême, Hugues le Brun, sire de Lusignan et des Templiers. Triomphe du bien contre le mal. Tous ces dessins (dont on ignore l'auteur) révèlent mout détails (forteresses, chevaux, armures, écus, lances).

Détail de la fresque de Cressac (bataille de la Bocquée)
La seconde évocation, ultérieure, serait un échange de prisonniers. Saladin, qui était fin diplomate, était favorable à la négociation qui constituait une forme non agressive au cœur d'un contexte parfois compliqué.
Qu'y avait-il sur le mur Sud ? On l'ignore puisque tout a disparu…

Echange de prisonniers ?
Lorsque les Hospitaliers héritent de l'église de Cressac, le goût a changé. Ils ajoutent aux fresques des frises, des feuillages et autres motifs, rendant "la bande dessinée" de leurs aïeux plus pimpante.
D'autres peintures attirent l'attention : Saint-Georges sauvant d'un dragon la princesse de Silène ; une nef ; Constantin, premier empereur chrétien ; l'évêque d'Angoulême Ademar Saint-Michel pesant les âmes et un chrisme à la croix droite dont les symboles restent énigmatiques. Si le A peut représenter l'infini (Alpha et Oméga) et l'étoile à huit branches le soleil, quelle est la signification des deux cercles comportant des ronds ? Les planètes Vénus et Mars ou bien des yeux… La question est posée et chaque spécialiste a sa propre interprétation. Un chrisme assez proche se trouve à Saint-Jacques de Compostelle.

Des symboles mystérieux...
Cette chapelle, située près de Blanzac, est un joyau au milieu d'un paysage verdoyant et vallonné. Aux alentours, de nombreux monuments méritent le détour dont Saint-Gilles de Puypéroux, Conzac, Poulignac. Pour ceux que le patrimoine intéresse, le département de la Charente - plus discret sur ses richesses que la Charente-Maritime - est une pépinière. D'autant qu'à quelques encablures, se trouve la belle Aubeterre et son église souterraine…

Une nef conduisant les Croisés en Terre Sainte
Bataille des Gonfanons en Syrie

La description  de cette bataille par le chroniqueur musulman Ibn-Alatir montre l'importance de la victoire remportée par les Croisés : "Noureddin, ayant rassemblé ses troupes, pénétra dans les provinces chrétiennes, et vint dresser son camp à la Bocaia , au pied du château des Curdes. Son dessein était de faire le siège de cette forteresse, et de se porter ensuite contre la ville de Tripoli, dont il desirait s'emparer. Un jour, vers le midi, tandis que les soldats étaient sous la tente, on aperçut tout-à-coup des croix qui s'élevaient du haut de la montagne où était le château. En effet, les Francs ayant reuni toutes leurs forces, avaient resolu de fondre à l'improviste et en plein jour sur l'armée musulmane. Au moment fixé, ils n'attendirent pas l'arrivée de leur arrière-garde, et mirent tout de suite l'épée à la main. Comme les musulmans ne s'attendaient pas à cette attaque , les troupes les plus avancées se trouvèrent hors d'état de résister, et envoyèrent avertir Noureddin de ce qui se passait. Mais, pendant ce temps, les Francs atteignirent les avant-postes et les firent plier. Leur marche fut si rapide, qu'ils arrivèrent en même temps que les fuyards jusqu'au quartier de Noureddin. Les musulmans n'eurent pas même le temps de monter à cheval et de se revêtir de leurs armes, et furent, les uns massacrés , les autres faits prisonniers."

• Trois programmes de restauration : D'un montant de 127.000 euros financés par les subventions des collectivités, la Fondation du Patrimoine et le comité de sauvegarde et de mise en valeur du Blanzacais, ces travaux - supervisés par l'Eglise protestante unie de Barbezieux - ont consisté à supprimer les joints en ciment pour réaliser des enduits à la chaux et à nettoyer la grande peinture du mur nord. Les contaminations biologiques ont été traitées en particulier. La dernière tranche interviendra prochainement : elle comprend les murs ouest et est (intérieur et extérieur) ainsi que les restaurations des peintures qui s'y trouvent.

L'évêque Adémar ?
Restauration du mur nord : un badigeon de chaux transparent a été appliqué sur les faux joints, recouvert d'une succession de glacis à l'aquarelle.


• La chapelle templière de Cressac est propriété de l'Eglise protestante unie de Barbezieux (EPUB). Un office sera célébré à la chapelle de Cressac le 20 septembre à 10 h 30.

• Visite jusqu'au 31 août du mardi au samedi de 14 h à 17 h. Après cette date, s'adresser à Jean et Colette Tardat au 05 46 64 07 31 ou 06 60 83 92 12. André Faure de Blanzac propose des visites en anglais (05 45 64 03 22).

Au XIXe siècle, le peintre Eugène Sadoux a reproduit les fresques de Cressac
 Visite de la chapelle de Cressac en Charente © Nicole Bertin

2 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour Madame,
Je me passionne depuis plus de 40 ans pour l’Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ.
Je viens de lire, avec grand intérêt, votre remarquable article, richement illustré sur la Chapelle Templière de Cressac.
J’aurais, néanmoins, une question à poser (sans aucune intention polémique ou arrière-pensée d’aucune sorte) à propos du Chrisme que vous décrivez : vous dites qu’il est « à la croix droite dont les symboles restent énigmatiques. Si le A peut représenter l'infini (Alpha et Oméga) et l'étoile à huit branches le soleil, quelle est la signification des deux cercles comportant des ronds ? Les planètes Vénus et Mars ou bien des yeux… »
Si je vois bien « A » (l’Alpha), je ne vois pas l’Oméga « Ω ». Peut-on alors parler d’infini ? Ne serait-ce pas là une volonté de marquer, plutôt, un « commencement » ? Mais comme vous le dites aussi : à chacun son interprétation.
Quant à la Croix, je ne la vois pas droite, héraldiquement parlant mais plutôt pattée (symbole premier de l’Ordre). Croix pattée honorée, à la croisée des branches et sur chaque branche d’une étoile à 8 rais.
Bien entendu, il n’est pas question pour moi de vouloir donner une leçon mais plutôt de connaître le sentiment d’une personne qui a été au contact direct de témoignages d’une histoire appartenant à notre patrimoine et bien vite oubliée du plus grand nombre
Bien cordialement
Thierry Delattre
Thierry.delattre14@wanadoo.fr

marlind'oo a dit…

j'ai les mêmesx voûtes en sous sol chez moi, bravo quelle belle restauration magnifiques
j'attends vite les beau jours pour la voir à l'intérieur j'y suis allé ce dimanche pour la voir extérieurement, émouvant vraiment les annonces sur radio bleu quelle bonne idée
merci et gloire à Dieu!