Cette conférence a été donnée à l'automne dernier à l'assemblée générale de la Fédération des Sociétés savantes de la Charente-Maritime sur le thème "les révoltes". L'orateur a souligné, en particulier, le rôle des femmes dans ces mouvements contre l'injustice et les autorités en place...
L'historien Marc Seguin |
Pourquoi ces colères ?
En toile de fond, on trouve les obligations militaires particulières et permanentes, une conjoncture économique altérée et, enfin, une pression fiscale déjà mortifère sur une région supposée très riche qu’on va bientôt qualifier de « Pérou des rois de France ».
• La question des « guets et garde » et des abonnements
Le clocher de l'église de Saint-Jean d 'Angle (aux côtés de la halle) |
Ces contraintes représentent une lourde charge pour le paysan qui est déjà « le mulet de l’Etat », mais pas encore le malheureux, accablé et soumis, que tente de décrire le Parisien La Bruyère ; tout au contraire, jusqu’en 1548 au moins, c’est un personnage rétif et acharné à défendre ses droits, jusque devant le parlement qui lui donne généralement tort. Cela se produit à Saintes en 1511 quand les habitants de Saint-Porchaire et des alentours refusent de venir faire leur service en ville , ou à Taillebourg en 1514.
Cela n’a pas échappé au pouvoir. En mai 1472, Louis XI, qui séjourne à Saintes après la mort de son frère, accorde aux « isles » d’Arvert et de Marennes, un abonnement de 600 livres par an. Cela, les paroissiens de Saint-Agnant ne l’ignorent pas et en ressentent l’injustice ; eux-aussi ont tenté d’attendrir le fisc, en développant le raisonnement larmoyant et inefficace qui est partout le même : les « pauvres supplians sont residans et demourans sur ladite mer et par ce subgectz aux pilleries et descentes de pirates de mer. Et pour obvier, sont contrainctz faire continuellement le guect pour la seureté d’eulx et de tout le païs de Xaintonge ». Suit le chantage, tout aussi classique : ils vont partir, « eulx constituez en telle pouvreté et mendicité, prestz à appareillez et habandonner ledit lieu, qui seroit dommaige irreparable à la chose publicque… parce que si ledit païs estoit habandonné, noz ennemis pourroient par une nuit y descendre et courir… jusques aux villes de Saint-Jehan, de Xaintes et Pons ».
Une génération plus tard, on retrouve la même argumentation chez ceux de Soubise qui œuvrent « pour le bien universel de Xainctonge, coste de la mer du pays de Bourdeaulx et gouvernement de La Rochelle et de Poitou ». Leur châtellenie serait « de petite estandue et fort desgarnye et depopulée de habitans » réduits à la mendicité à cause des pertes subies « tant à l’occasion des grandes inondations de la mer que de la descente faicte par les Espagnolz et autres nos ennemys es années precedentes, ruynes et demolitions de leurs maisons et domaynes, ravissemens de leurs biens meubles et autres pertes ». Pourquoi ne seraient-ils pas traités « comme sont ceulx de l’isle de Ré qui est une ysle de grande estandue, fort peuplée de riches gens et opulens en biens » ? Ils ont la chance d’appartenir à une puissante famille et François Ier leur accorde un « abonny » de 200 livres par an.
Fureur des voisins qui savent par expérience que le fisc applique le principe des vases communiquants : le cadeau aux uns devient une surcharge pour les autres ! Ces gémissements ne seraient que mensonges : les habitants de Soubise n’ont jamais été envahis « fors une fois seulement qu’ils ont aulcuns d’eulx puis cinq ou six ans en çà (vers 1520), et leur fut volontaire comme il est tout notoire car aulcuns d’eulx prindrent intelligence à certains Espaignolz pirates et les firent dessendre par faveurs qu’ils leur faisoient et marcher en leurs maisons, hostels et retraicte et leur firent piller quelques meubles sur aulcuns de la chastellanie ausqueulx ils avoient eu differens ou procès » .
Au mécontentement fondé sur des revendications outrées mais légitimes, s’ajoute une colère conjoncturelle, liée à la météorologie.
• La décennie 1495-1505 : les mauvaises années
Les habitants de Saint-Agnant tirent l’essentiel de leur subsistance de la mer. Les uns sont sauniers et passent leur temps à « gouverner et faire saler les maretz qui sont environ ledit lieu », pour le compte de propriétaires étrangers puisque ces salines appartiennent à « plusieurs notables gens du pays de Xaintonge et d’ailleurs ». La plupart y « gaignent leur pouvre vie ». Un siècle plus tard, le poète André Mage de Fiefmelin nuance cette image calamiteuse :
« Si qu’à vivre un Saulnier dans sa salante plaine
A du pain, de la pesche, et du gibier sans peine »
En 1498, le « pays des isles » est en train de devenir une ruche surpeuplée, car, contrairement à ce qu’assurent les suppliants, on n’y meurt pas de faim puisqu’on y bénéficie des ressources de la mer et de la possibilité d’importer des grains payés par l’argent du sel. Sans le comprendre, les suppliants mettent en évidence un malaise « économique et social » nouveau : il n’y a plus de travail pour tous, ce qui signifie que les rémunérations, sans doute convenables quelques décennies auparavant, lors de la « reconstruction » consécutive à la guerre de Cent-Ans, s’amenuisent peu à peu. Il suffisait jusqu’alors d’aménager de nouveaux marais, mais cette ressource disparaît d’autant plus vite que se développent deux phénomènes que les contemporains ne sont pas en mesure d’apprécier : les débuts du « petit âge glaciaire » entraînent une légère baisse du niveau marin, et la déforestation du bassin de la Charente provoque un alluvionnement néfaste. Il devient difficile d’établir de nouvelles salines, sauf dans les zones les plus basses, ce qui coûte très cher ; il faudrait plutôt envisager de renoncer à celles qui sont désormais trop haut.
Par ambition ou par nécessité, beaucoup se tournent vers le rude métier de marin, « sur la mer, marchandement, ou comme locatifz, ou autrement », choix tout à fait incongru pour le Français d’alors qui est d’abord un terrien et pour qui l’océan est le domaine de toutes les terreurs.
Avec le vocabulaire de leur temps, les plaignants constatent qu’il existe désormais un prolétariat de plus en plus nombreux – si on veut bien accepter l’anachronisme – contraint de chercher sa subsistance à l’extérieur, sans pour autant renoncer à sa demeure. Le pays est en train de devenir un vivier extraordinaire d’entrepreneurs et de marins pour les aventures atlantiques et les violences des XVIe et XVIIe siècles. La relative prospérité de cette région exceptionnelle est donc altérée et les plaignants d’autant plus sensibles à la misère ambiante qu’ils n’en ont pas l’habitude.
Les victimes mettent en avant les explications classiques : le fisc, la guerre, les intempéries. L’ennemi, on ne sait lequel, en tout cas celui du roi, est responsable des « grandes pertes qu’ilz ont eues et souffertes par les pirates de mer et ennemis de nostre royaume qui ont prins plusieurs navires et autres biens et marchandises », et d’autres bateaux « se sont perduz par vimaires, tormente et tempeste de mer ». Cette météorologie, inhabituelle, semble-t-il, a fait « que, depuis deux ans en çà, le sel n’a comme rien valu au pays, et le blé si tres fort enchery qu’il n’est memoire d’homme d’avoir veu le temps si fort et mauvais à passer qu’il a esté ». Résultat : les « pouvres supplians ont esté constituez en telle pouvreté qu’ilz n’avoient et encores n’ont de present de quoy vivre ».
• Les exactions du fisc
Et pourtant, quels contribuables zélés ! Comme dans toute lettre de rémission, le rédacteur insiste sur les vertus des plaignants, en particulier sur leur empressement à payer les « tailles, aides et impostz extraordinaires mis sus en nostre royaume et mesmes en nostredit païs de Xaintonge ». Ils font leurs comptes : on dénombrerait 140 feux (« ou environ »), ce qui semble peu pour quatre ou cinq grosses paroisses, et ils verseraient au moins 400 livres de taille, c’est à dire à eux seuls presque autant que les « isles » de Marennes et d’Arvert qui sont bien plus peuplées. Cette moyenne d’un peu moins de 3 livres par feu (rappelons qu’à la fin du XVe siècle, une livre représente le salaire d’un journalier pour un quinzaine de jours) serait « une charge insupportable ». Pourtant, ces sujets admirables, « pour la grande obeissance qu’ilz veulent et desirent toujours, l’ont liberalement jusques à present porté et soustenu au mieulx qu’ilz ont peu, jusques à vendre leurs biens meubles et apres leurs heritaiges, inclusivement ». Même les mieux accommodés sont tombés « en grant pouvreté et necessité de querir et demander l’aumosne ». Il va de soi que le roi et sa politique italienne n’y sont pour rien et qu’ils ne doivent ces malheurs qu’aux Elus de Saintes. Cette année 1498, ces derniers, par un excès d’injustice, exigent un supplément de 57 livres. Alors qu’on ne demande rien aux voisins, pourquoi paieraient-ils, « sans tenir ung seul pié d’eritage et sans avoir aucune liberté ou franchise, droit, prerogative ne chose qui soit qui leur tourne à prouffit, soulagement et liberté » ? Conclusion, et chantage rituel : ils sont prêts à sauter dans leurs bateaux et à partir.
On sait qu’en ce temps-là, les revenus du sel peuvent être comparés à ceux du pétrole aujourd’hui. En théorie, les prétentions du fisc ne sont pas déraisonnables puisqu’au printemps, les marchands étrangers viennent acheter de grandes quantités de sel et un peu de vin, apportant ainsi un numéraire qui fait défaut ailleurs. Les pays de marais sont donc ciblés ; au cours des années 1490, les charges « ont esté comme insuportables ou pays d’Aulnis plus que en autre lieu ». Or, les suppliants le répètent : les marais ne leur appartiennent pas, mais à des propriétaires extérieurs, établissements religieux, nobles, gens de loi et marchands de Saintes, Bordeaux ou d’ailleurs qui spéculent volontiers et ne laissent rien sur place, sinon la maigre part des sauniers. Ces bénéficiaires qui s’enrichissent très vite sont les parents des élus, parfois les élus eux-mêmes, responsables locaux du fisc, qui font mine d’ignorer la réalité et frappent aveuglément une main d’œuvre qui, à l’inverse, ne perçoit presque rien et voit sa part diminuer. Tous les ingrédients seraient donc réunis pour un mouvement de fureur.
• L’émeute de Pont-l’Abbé-d’Arnoult
Scène populaire (tableau de Bruegel dit l'Ancien) |
Le supplément de 57 livres reste en attente. Les habitants adressent une requête au parlement de Bordeaux qui, dans leur esprit, représente le souverain, afin de « remonstrer leur pouvre cas à ce qu’il nous pleust, de nostre grace en avoir pitié et leur faire misericorde ». Est visé Pierre Guibert, receveur du domaine de Saintonge, prévôt-fermier de Saintes, un « homme fier et cruel » qui, paraît-il, hait certains des plaignants. L’affaire devient aussi personnelle, une question de « haine mortelle », comme on écrit alors.
Les sergents sont déjà arrivés, ont capturé un habitant, le premier trouvé, l’ont « trayné apres eulx, menacé de le pendre à l’escheveau de sa maison ou au premier arbre qu’ilz trouveroient, et de fait s’estoient efforcez luy mectre le licol de l’un de leurs chevaux au col ». Le malheureux, persuadé d’une mort prochaine, pousse de grands cris et appelle à l’aide. Des femmes accourent et le délivrent. Des « paroles injurieuses telles que paillardes, mastines » fusent à l’encontre de celles-ci, pourtant toutes «très femmes de bien ». On passe aux coups, avec des armes rudimentaires ; « l’une d’elles qui ne peust aucunement porter lesdites injures gecta une pierre ou deux contre l’un d’eulx » sans lui faire aucun mal puisqu’il était à cheval et bien loin. Les intrus rentrent à Saintes ; le premier acte s’achève, à grand bruit, mais sans dommage.
Pierre Guibert, qui ne tient aucun compte de la requête au parlement, intervient en personne avec ses hommes dans l’intention de confisquer les biens des débiteurs. Il en trouve deux, dont un malade, et leur ordonne de les accompagner; ces pauvres diables, pensant agir « pour l’onneur » du roi, n’osent pas refuser. Il « les fist lier comme larrons avec les licolz des chevaux », puis en libère un, le nommé Bordaige, dont il apprend qu’il « estoit moult pouvre ». Pierre Guibert sait par expérience qu’on ne rançonne que les riches. Le prisonnier est traîné jusqu’aux prisons du pont de Saintes et « rudement traicté l’espace de six sepmaines et plus ». Fin du second acte.
Aveuglé par son succès, le prévôt-fermier commet l’erreur absolue : intervenir le jour du marché de Pont-l’Abbé-d’Arnoult alors que les contribuables se trouvent rassemblés, et les femmes en grand nombre. Il se met avec ses gens en embuscade, « en guect », sur le chemin qui vient de Saint-Agnant et ils ne tardent guère à capturer, virilement, deux hommes, une femme et un prêtre, apparemment cardiaque, « lequel, tantost apres, et de peur qu’il eust, est mort ». Pierre Guibert réalise trop tard son erreur. Sitôt la nouvelle connue, le marché s’enflamme, « se sourdist ung moult grant bruit », les hommes accourent, « avec armes et bastons », et les prisonniers sont bientôt libérés. Il va de soi que les émeutiers précisent par la suite qu’ils n’étaient mus par aucune mauvaise intention, bien assurés que le roi allait les entendre. Sans doute faut-il déplorer les « menaces » à l’encontre du procureur du roi à Saintes qui manifeste un vif mécontentement.
Pierre Guibert s’abstient de revenir mais délègue ses sergents auxquels les habitants, assurés de leur bon droit, n’obéissent point puisqu’ils se sont adressés au parlement, étant « appellans, comme pouvres simples gens ignorans ». Ils omettent cependant de rappeler qu’ils firent sonner le tocsin, « se assemblerent avecques armes et bastons pour garder qu’ilz ne feussent oultraigez » et ont refusé d’obéir aux sergents. C’est bien ce qu’on qualifie alors de crime de lèse-majesté, mais tous jurent qu’ils voulaient « vivre et mourir pour nous comme leur prince et seigneur souverain ». Fin du troisième acte.
Pierre Guibert fait appel au roi, directement, par « ung grand cry » et donne le détail des désobéissances. Des ordres sont adressés au sénéchal de Saintonge (Aymery de Rochecouart), et à son lieutenant particulier qui est obligé de se transporter sur place. Surprise ! Les plaignants – les hommes seulement - ont mis leur menace à exécution : ils sont partis. Le lieutenant « n’a trouvé que les maisons toutes vuydes pour ce que lesdits pouvres supplians, doubtant rigueur de justice, se sont absentez, les ungs hors de ce royaume, les autres en Bretaigne et autres loingtains païs, et ont laissé et habandonné cy peu de biens qu’ilz avoient, et leurs femmes et petitz enffans tous depourveuz, en necessité de mendier leur vie ». Il n’y a plus rien à confisquer « au moyen de la grande pitié et pouvreté qu’il y a trouvées ». Il sauve les apparences et fait ajourner les fugitifs par la justice.
Que reprocher à ces derniers « induiz par la tres grant pouvreté en laquelle ilz sont » ? Ils ont, certes, « commis rebellion et desobeissance envers nous et justice, et fait assemblées illicites », mais sont si nécessaires à la défense de la côte qu’il est indispensable de les rappeler. Louis XII pardonne donc, prétextant son «nouvel et joyeulx avenement à la couronne ».
L’incident semble clos. On ne déplore qu’un mort, un prêtre trop émotif.
• L’émeute d’Angoulins (17 mai 1498)
A Angoulins, les faits remontent au 17 mai, un jour pluvieux. Dans ce bourg de la châtellenie de Chatelaillon, la situation est la même qu’à Saint-Agnant à ceci près que le sel y est moins présent, que le vin y est alors de « vil prix » et le blé très cher, comme à Aytré, tout à côté, où les tailles sont aussi excessives. Le bénéficiaire de la lettre de rémission s’appelle Guillaume Chotart, c’est un vigneron de 70 ans qui a femme et enfants, un homme écouté, une manière de notable à cause de l’âge qu’il s’attribue. Il serait né vers 1430 et aurait ainsi assisté à l’apparition détestable de la taille régulière ; c’est peut-être pourquoi lui et ses voisins ne renoncent pas à cette idée aussi optimiste que déraisonnable : l’impôt n’est pas attachée à un Etat intemporel mais à la seule personne du roi. Comme tous les bénéficiaires de lettres de rémission, c’est un contribuable modèle qui a « tousjours supporté et payé bien, gracieusement et sans reffuz sa quote-part ».
Il y a plus d’un mois que l’infortuné Charles VIII est mort à Amboise (7 avril) ; la nouvelle doit être connue à Angoulins depuis trois semaines, peut-être. Cela éveille un vif espoir, « pensant luy et autres habitans estre par ce moyen acquictez du reste de la taille imposée pour ceste presente année ». Ils se sont concertés avec ceux des paroisses voisines et sont tombés d’accord : ils ne doivent plus rien, mais ne sont cependant pas tout à fait assurés de leur fait. Or, voici que surviennent Guillaume Viollet et Regnard, tous deux sergents des élus de Saintonge. Des sergents ! Des habitants se précipitent à l’église et sonnent le tocsin, « ainsi qu’il estoit souvent accoustumé faire oudit bourg quand il est question d’aller à la coste de la mer pour la defense du pays ». Nouveau crime de lèse-majesté !
Des paroissiens accourent avec armes et bâtons ; les sergents prennent peur et se réfugient dans l’église, « en sauveté », comme font les délinquants qu’on pourchasse et qui sont sauvés pour quelque temps. Au travail dans une vigne, Guillaume Chotart lève la tête mais continue sa tâche, comme d’autres, d’ailleurs, ce qui en dit long sur le zèle des miliciens à risquer leur vie. Une demi-heure après, « à l’occasion de certaine undée de pluye lors cheute sur la terre », il rentre chez lui et s’informe : pourquoi a-t-on sonné le tocsin ? Sa femme l’ignore, et cela lui est indifférent. Il veut savoir. Par précaution, il se saisit de son épée et se dirige vers l’église à l’intérieur de laquelle il trouve « grant assemblée » autour des deux sergents qui redoutent une fin prochaine. Guillaume Viollet qui connaît le vigneron entrevoit là une possibilité de salut, lui donne son bâton de sergent contre la promesse de n’être pas « oultraigé ». Les habitants-contribuables veulent savoir quelle était la mission des deux intrus. Ces derniers hésitent, assurent qu’ils sont venus amasser les deniers de la seigneurie, puis livrent leurs mandements et finissent par avouer qu’ils ont mission de percevoir la taille, par tous les moyens. A l’instant, on prend une copie de leurs parchemins, mais celle-ci n’inspire pas confiance ; on se rend chez un notaire d’Aytré. Du coup, les habitants de cette paroisse interviennent à leur tour. Eux non plus ne paieront pas puisqu’il « n’y avoit point de roy en France ».
La question paraît réglée, mais les sergents, peu confiants, n’osent pas quitter l’église ; le vigneron vient les délivrer, leur offre même à souper. Personne n’est tué et les habitants d’Angoulins et d’Aytré s’endorment ce soir-là avec la certitude que la mort de leur souverain les délivre de l’obligation de payer leurs arriérés. De leur réveil, nous ne savons rien.
• Que retenir de ces évènements après tout anecdotiques ?
D’abord, en cette année 1498, un enchaînement qu’on rèpère tout au long de l’Ancien Régime : la conjonction d’une météorologie désastreuse et l’avidité du fisc qui pousse les habitants au désespoir. Les autorités le savent déjà : il faut se méfier des jours de marché et des rassemblements de femmes. Ensuite, il convient d’insister sur les caractéristiques de ce temps, avant la grande fracture que représentent la répression de la Révolte de la Gabelle puis les guerres de Religion. En 1498, le paysan n’est pas encore ce malheureux maigre et craintif dont on observe les haillons sur les estampes de Callot, mais c’est tout au contraire un individu qui a des droits et les défend. Il est intégré dans une véritable organisation militaire dont l’Etat ne peut se dispenser, mais qui peut se montrer redoutable si elle est bien commandée et détournée de sa vocation comme elle le fut en 1548. Enfin, on ne peut éviter d’insister sur les brutalités du fisc qui semble déjà acharné à étrangler « les Isles », région exceptionnelle, en somme à tuer la poule aux œufs d’or.
Les lamentations de 1498, on les retrouve, à peu près identiques, sous Louis XIV, mais avec cette différence que l’Etat s’est alors doté des moyens d’imposer l’obéissance, par la violence, si nécessaire.
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