mardi 20 octobre 2020

Didier Colus : « L’objectif est d’exterminer le rire, la joie de vivre, la beauté, la jeunesse, l’humour, le savoir et finalement l’intelligence »

La France, déjà ébranlée par l'épidémie de Covid-19, est en deuil. L'assassinat de Samuel Paty, professeur sacrifié sur l'autel de l'extrémisme religieux, suscite de très nombreuses réactions dans le pays. Parmi elles, les points de vue de deux Saintongeais, Didier Colus et Catherine Queille, que nous publions ci-dessous : 

• Didier Colus, professeur de lettres, historien « Nox fiat, voilà leur horizon »

« Pas de vagues, surtout pas de vagues ! » Tout le monde le sait désormais, voilà la consigne qui régente depuis des décennies l’Éducation Nationale. Ne pas se faire remarquer, n’effaroucher personne, surtout, surtout, pas d’histoires, ne pas mettre la hiérarchie dans l’embarras. Sinon gare aux primes, adieu les promotions.

Aussi, comme à Varsovie, le calme a-t-il pendant longtemps régné dans nos écoles. En apparence du moins, avec quelques bouffées de vapeur de-ci de-là, vite étouffées, vite présentées comme des épiphénomènes. Quelques livres incendiaires aussi, éphémères succès de librairie mais souvent vrais cris de souffrance, authentiques appels au secours, mais surtout réaliste état des lieux. Corollaire inévitable, mais erreur funeste : le monopole du discours sur le sujet abandonné au Rassemblement National.

Pourquoi dit-on qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ? N’existe-t-il pas pour la chose publique plus dangereux encore ? Par exemple celui qui, refusant d’agir, ne veut pas voir, ne veut pas comprendre ?

Des dérives de tous ordres sont à l’œuvre dans la grande machine de l’éducation. Réceptacle et exutoire de tous les maux de la société, l’école n’a plus ni boussole, ni gouvernail, malgré le dévouement désespéré et la qualité de l’immense majorité de ses agents de terrain.

Que l’on ne se trompe pas sur le sens à donner au drame immonde qui s’est déroulé dans l’ancien fief de Michel Rocard. Non, il ne s’agit pas de l’acte d’un déséquilibré, comme veulent le faire croire ceux qui cherchent avant tout à apaiser les masses et à se rassurer eux-mêmes. Non, il ne s’agit pas davantage d’une entreprise isolée. Non, il ne s’agit aucunement d’une action dirigée au hasard contre un objectif quelconque.

Aussi peu organisée et apparemment décousue que paraisse l’entreprise terroriste, elle obéit à une logique, elle a défini un projet et poursuit une ambition. Conduite par des sachants manipulant des enragés incultes ou frustrés, elle n’est pas, comme on l’entend trop souvent, une guerre DE civilisations, mais une guerre CONTRE la civilisation. Car, ne nous y trompons pas, le fanatisme haineux entend détruire aussi bien Averroès que Montesquieu ; son exécration obtuse s’exerce indifféremment sur toute lumière, tout savoir. Entre l’abominable assassinat de notre collègue et la destruction des bouddhas de Bâmiyân, les massacres des terrasses de bistrot, du stade de France ou du Bataclan, les attentats de Jemaa el-Fna ou de Bali, la tuerie de Charlie, il n’y a de différence qu’en apparence. L’objectif est d’exterminer le rire, la joie de vivre, la beauté, la jeunesse, l’humour, le savoir et finalement l’intelligence. C’est-à-dire tout ce qui constitue ou devrait constituer la substance même d’un dieu créateur et aimant. Un dieu de Lumière qui demanderait à ses sicaires d’éteindre les Lumières ? Voilà bien une contradiction dont ne s’embarrassent pas les exaltés !

Samuel Paty sera-t-il mort en vain ? Après la vague d’indignation et l’hommage national, l’apathie retombera-t-elle comme une chape de cendre sur tout ce qu’il ne faut pas dire ? Laisserons-nous des milliers d’Ahmed, de Fatima, de Mohamed ou de Leila français être pris en otages au nom d’un dieu qui n’est pas celui qu’ils connaissent ? Se laisseront-ils eux-mêmes prendre en otage ? Les politiques auront-ils la hardiesse de poser des noms sur les choses ? La dignité de préférer la sauvegarde de la Nation à la vente de Rafales ? Et la société française tout entière saura-t-elle retrouver l’usage de la boussole, la force de répondre et l’audace d’agir ? On peut en douter, tant les tergiversations, voire le cynisme politique, la veulerie généralisée et les prises de position ont jusqu’à présent pris le pas sur l’initiative, ont brisé toute velléité de contre-attaque et délégitimé la légitime défense.

Il y a plusieurs façons, hélas, de perdre la tête. Puisse la République, qui a sur ces sujets depuis longtemps perdu la sienne, annoncer et démontrer au monde que Samuel n’a pas en vain sacrifié sa vie ; que rien n’importe davantage à une société que d’être composée de citoyens et non pas d’esclaves ; que, pas plus que la Liberté, la démocratie n’est un allant de soi ; que, dans un monde dominé par les impératifs aveugles de l’économie, seule l’École est encore capable de transmettre l’esprit critique, la faculté de juger, le goût du savoir. Pour peu qu’on lui en donne les moyens et surtout qu’on lui en laisse le loisir.

Il y a bien longtemps, j’ai appris à lire en déchiffrant les gros titres d’un bulletin syndical que recevait ma mère, institutrice. Ça s’appelait « L’École libératrice »...

1- Nox fiat : Que la nuit soit

• Catherine Queille, fonctionnaire territoriale retraitée : « On a accepté trop de dérives »

« Il ne faudrait pas qu'on finisse par banaliser l'horreur qui se répète et va crescendo à force, comme si c'était un élément du quotidien, une fatalité de notre civilisation. On paie une grande lâcheté déjà ancienne. On a accepté trop de dérives : des menus à la cantine sans viande de porc, des horaires de piscines pour femmes, des gynécologues femmes pour examiner les femmes musulmanes, des femmes voilées dans l'espace public, des cours d'histoire expurgés de tout ce qui pourrait choquer les islamistes, des associations sportives - ou soit-disant culturelles - où on laisse faire les prières, les pratiques religieuses, les menaces de mort envers les  filles en jupes, le sexisme, la justice laxiste, des imams prêchant des discours de haine envers les mécréants… et tant d'autres choses inacceptables dans une République laïque.  

Les élus, l’Education nationale, les médias, tout le monde a laissé faire depuis des années pour ne pas faire de vagues, pour ne pas apparaître islamophobe, pour ne pas être traité de fasciste, par lâcheté, pour acheter la paix sociale. Certains islamistes en ont profité pour semer la peur en utilisant des gens paumés, sans éducation, vivant dans la marginalité, plus faciles à manipuler et à convaincre qu'ils accèderont à un monde meilleur en éliminant des mécréants. Non, ce n'est pas terminé. C’est sûr, il y aura d'autres actes de barbarie imprévisibles, sans qu'on sache où, ni quand ils vont se produire. On n'aurait jamais dû accepter les moindres atteintes à la laïcité depuis le début.

Alors maintenant, on va faire des grands défilés de soutien, des grands discours de fraternité, on va pousser des cris de vierges effarouchées : nous sommes très forts dans la compassion de masse,  mais c'est trop tard et stérile. Et pendant ce temps-là, Marine le Pen attend son heure car de plus en plus d'électeurs écœurés vont voter pour elle, dans l'espoir de plus de fermeté et de répression. Je suis en colère contre toute cette lâcheté et ces renoncements depuis trop longtemps qui nous ont conduits à cette situation et risquent de détruire notre démocratie ». 

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