Les châsses contenant les reliques de saints sont assez rares en Saintonge, contrairement à certaines régions de France, d’Espagne ou d’Italie. Sous le regard protecteur de Saint Roch, guérisseur des maladies de peau et de toutes sortes de pestilence, l’église de l'Assomption de Montlieu-la-Garde en possède une appartenant à Ixile, jeune martyr chrétien du IIIe siècle dont les reliques sont arrivées en Saintonge par un hasard quasi "miraculeux". Cette histoire insolite a été présentée samedi dernier lors de l’assemblée des Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis.
Ixile, jeune martyr chrétien du IIIe siècle |
Inauguré dans la première moitié du XIXe siècle, le Petit Séminaire de Montlieu-la-Garde, qui avait vu ses effectifs augmenter considérablement, souhaitait offrir un protecteur à ses élèves (qui furent jusqu’à 2000, une véritable université). Le choix des ecclésiastiques se porta sur un enfant de 13 ans dont le tombeau contenant les ossements avait été retrouvé en 1834 dans les fameuses catacombes de Rome. C’est ainsi qu’en juin 1855, après avoir été acheminé d’Italie jusqu’à Saint-Aigulin (en passant par l’église d’Orignolles), le moulage d’Ixile, réalisé par un artiste italien, fit son entrée en grande pompe dans le bourg de Montlieu-la-Garde en présence de quelque 10.000 paroissiens.
Un événement retentissant dont on n'imagine pas l’ampleur ! 12 arcs de triomphe avaient été érigés sur son parcours, « Ixile était la vedette ! » souligne le maire de Montlieu-la-Garde, Nicolas Morassutti. Après les célébrations, on déposa la châsse dans la chapelle du Petit Séminaire dont on peut encore voir le chœur.
En 1905, conséquence de la séparation des églises et de l’Etat, le Petit Séminaire dut fermer ses portes. Les 6000 ouvrages de la bibliothèque furent dispersés ainsi que de nombreux objets et mobiliers, tandis que les jours d’Ixile étaient comptés. Des âmes pieuses se saisirent de la châsse et la cachèrent jusqu’à des jours meilleurs. En 1913, elle rejoignit Notre-Dame de l’Assomption, église construite dans le bourg et consacrée en 1858.
Ixile y repose désormais en paix, au-dessus des querelles religieuses, avec ce sourire qui n’appartient qu’à lui. L’interprétation du sculpteur quant à son physique est libre car nul ne sait quel était le vrai visage d’Ischylacis (il s'agit de l'inscription qui figurait sur son tombeau). Toutefois, il serait regrettable de s'en tenir aux seules apparences. A ceux qui s’arrêtent et se recueillent devant lui, cet adolescent venu d’une autre époque n'enseigne-t-il pas la patience et l'espérance face au tumulte du monde ?…
La châsse de Saint Ixile, sous le regard de Saint Roch |
La présentation faite par Francette Joanne, historienne, et Nicolas Morassutti, maire de Montlieu La Garde |
• Extrait de l’histoire documentaire du Séminaire de Montlieu
Au XIXe siècle, c’est le Père Nampon qui, par ses démarches, a permis au Petit Séminaire de Montlieu d'obtenir les reliques de l’enfant martyr Ischyllax, découvert en 1834 sous la voie Appienne, dans le cimetière de Saint Calliste, lui-même situé dans les catacombes de Saint Sébastien, parmi les plus anciennes de Rome. D’après Mgr Gerbet, elle aurait enfermé jusqu’à 174.000 martyrs, mais très peu portaient une inscription nominative.
En mars 1855, le Père Nampon, qui se trouvait de passage à Rome, sollicita le cardinal Patrizi afin d’obtenir le don de reliques insignes au Petit Séminaire. On lui répondit de s’adresser à un artiste mouleur, M. Campo-Donico, à qui on avait confié deux corps d’enfants martyrs, nommés Ischyllax et Adjutorius. Il les céderait à 500 fr. pour son travail de moulage et d’ornementation. Le marché ayant été conclu sur ces bases pour Ischyllax, on s’occupa de l’expédier à Montlieu (fin mai).
L’acte en latin authentifiant ces reliques, daté du 28 avril 1855, est signé par Antoine Ligi Bussi d’Urbin, de l’ordre des Frères mineurs, archevêque d’Iconium, abbé de Saint-Laurent-Hors-des-Murs et vicaire général de Rome. Il atteste, en substance, que le corps de saint Ischyllax, enfant martyr, a été exhumé du cimetière de Calliste, le 17 mars 1834, sous la direction de Mgr J.-M. Castellani, évêque de Porphyre et préfet apostolique, avec une fiole de verre teintée de sang et portant l’inscription « ICKYLLAKIC ». Il certifie aussi que les ossements, enveloppés d’une étoffe de lin, ont été placés dans un moulage en cire de forme humaine, habillé de vêtements tissés d’or, et que les os qui paraissent au front et aux mains sont bien naturels. Enfin, la fiole de sang a été mise dans une urne en bois doré. Le tout a été enfermé dans une boîte scellée et adressé à M. Rainguet, Supérieur du Petit Séminaire de Montlieu, avec pouvoir de le garder, de le placer et de l’exposer à la vénération des fidèles dans n’importe quelle église, chapelle ou oratoire, sans toutefois un office propre, aux termes du décret de la Congrégation des Rites du 11 août 1691.
L’inscription en petites capitales grecques - ce qui était assez fréquent dans les catacombes car le grec était parlé à Rome - paraît être une forme latine d’ISKYLLACIS qui serait le génitif d’Iskyllax. On l’a traduit par le nom français d’Ixile qui n’existe pas dans la latinité classique ; celui qui s’en approche le plus est Icilius. Spurius et Lucius Icilius étaient des tribuns de la plèbe au Ve siècle avant notre ère ; le premier entraîna le peuple sur le mont Aventin et le second, fiancé de Virginie, renversa le joug des décemvirs. Il y eut encore Marcianus Icelus, affranchi et favori de Galba, qui périt avec cet empereur.
Corneille a ainsi traduit ce vocable, en le comprenant parmi les complices de Cinna (acte V, scène I) Pompone, Albin, Icile.
10.000 paroissiens : Un événement qu’on ne reverra sans doute jamais à Montlieu ! |
Arrivée de Saint-Ixile à Montlieu : une douzaine d’arcs de triomphe
Toujours est-il que la caisse contenant le corps du martyr arriva le 27 mai à Saint-Aigulin et fut d’abord déposée dans l’église d’Orignolles. Une fois ouverte, les reliques furent mises dans une châsse pour être transportées solennellement au Petit Séminaire le dimanche 24 juin 1855.
Ce jour-là fut une fête dont on se souvint longtemps. Par un soleil radieux d’après-midi, une procession nombreuse alla chercher le jeune martyr. Au retour, la foule, évaluée à 10.000 personnes se déroulant tout au long de la plaine, chantait des hymnes et de nouveaux cantiques en l’honneur du saint : « Lève-toi de la tombe, Ixile, viens parmi nous, témoin des anciens jours, jeune héros armé par l’Evangile, viens et défends-nous toujours, nous te suivrons toujours, toujours, toujours » !
La châsse, portée par de jeunes ecclésiastiques, eut à longer une avenue factice de 1500 pins et passer sous une douzaine d’arcs de triomphe, à travers le bourg de Montlieu. Arrivée au Petit Séminaire, elle fut déposée sur la terrasse du réfectoire et le Père Nampon prononça près d’elle un vibrant panégyrique qui émut l’assistance. Enfin, la bénédiction du très saint sacrement, donnée à la foule agenouillée dans la cour, clôtura la cérémonie.
Depuis cette époque, jusqu’en 1906, le premier dimanche libre après la Saint-Jean, la même fête s’est répétée dans des proportions moindres : procession solennelle à Montlieu La Garde de la châsse portée par de jeunes lévites, sermon prononcé généralement par un ancien élève ou un éminent professeur de la Maison.
Extrait du journal le Messager de la Charité de l'Abbé Mullois |
« Nous irons à Montixile applaudir aux bons lutteurs »
Lorsque les reliques du saint furent installées au Petit Séminaire, M. Rainguet caressa l’espoir d’acquérir, pour la Maison, un petit bien de campagne qui pût servir de but de promenade aux élèves ; un projet de marché fut même conclu par lui en 1850, mais ne fut pas ratifié par tous les vendeurs. Le Supérieur fut plus heureux en 1857. Après divers pourparlers, par acte reçu par Me Voisin, le 17 février 1857, il acheta en son nom (mais au compte du Diocèse), aux époux Jean Marchand et Marie Ménard, de La Garde, une chambre, une grange et quatre hectares de terres adjacentes, dont près de la moitié en lande et pinèdes, au lieu dit le Bois-de-la-Garde, et moyennant 4.400 fr.
Les élèves y firent aussitôt leur première excursion, en parcoururent et admirèrent les environs pittoresques, parmi lesquels la Combe des Abeilles, maintes fois chantée par les poètes qui ont célébré la limpidité de sa fontaine, le charme de sa solitude et les inspirations qu’ils y puisaient.
On donna comme sujet de concours littéraire aux élèves l’appellation du nouveau proediolum. Le jeune saint était un patron tout indiqué. Les uns proposèrent Marixile, les autres Boisixile. Un certain Gustave Roblin fut proclamé vainqueur avec le nom de Montixile qui a depuis été conservé et a même prévalu sur l’ancien vocable.
Chaque année, aux alentours du 5 mai, on allait passer la journée entière sous les pins verdoyants. Les grands jeux ixiliens, comparés chaque fois à ceux d’Olympie, faisaient retentir la vallée de leurs joyeux échos : « Nous irons à Montixile applaudir aux bons lutteurs, au coureur le plus agile, au plus leste des sauteurs (M. Moreau, couplet de la chanson La Promenade).
Le martyr des Catacombes romaines inspira une tragédie à M. Rainguet. Elle eut deux représentations au cours de 1861, la première avec chœurs récités, la seconde, en présence de Mgr Landriot, avec les chœurs chantés d’après la musique et sous la direction de l’abbé Wolfram Moreau, éminent professeur de Montmorillon.
Cette pièce fut encore rejouée au Petit Séminaire, le 23 mai 1874, pour la bénédiction de la chapelle Saint-Roch, et partiellement à diverses autres fêtes ; elle fut aussi représentée dans d’autres maisons d’éducation comme le collège Sainte-Marie, à Caen, et le Séminaire du Vals-du-Puy. Enfin, Amédée Maurin, ancien élève de Montlieu La Garde, entré chez les Lazaristes et mort prématurément en Egypte, la fit apprendre et jouer à ses élèves d’Antourah, près de Beyrouth (juin 1870) et à ceux d’Alexandrie (août 1871).
L'église paroissiale de Montlieu où se trouve la châsse de Saint Ixile |
• Que nous rapporte la mémoire locale et populaire ? Que de nombreux enfants du pays saintongeais se sont appelés Ixile tant l’évènement, aujourd'hui tombé dans l'oubli, avait eu un large retentissement dans la région. On peut lire également dans les écrits de l'historien J.C. Neveu « qu’après la fermeture du Petit Séminaire, les restes d’Ixile furent entreposés dans un cercueil dans une maison voisine avant d’être emmenés plus tard dans une charrette à foin jusqu’à l’église de Montlieu ».
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