mercredi 7 janvier 2015

Charlie Hebdo décapité

En s’en prenant au comité de rédaction de Charlie Hebdo, les terroristes ont cherché à couper la tête du journal satirique bien connu. Une pratique qui a déjà fait de nombreuses victimes, dont des journalistes. 
Bilan de ce carnage organisé : douze morts, huit blessés dont quatre dans un état très critique. Combien tomberont encore sur l’autel de leurs idéologies ? Sous le choc, la France est en deuil. 


Cabu et Wolinski ont rangé leurs cartons. Nous ne reverrons plus leurs dessins et leurs traits d’humour salé - sinon en rétrospective - qui mettaient en scène les grandeurs et les vicissitudes du genre humain. Charb, le directeur de Charlie Hebdo, a rejoint lui aussi un monde où il pourra s’exprimer sans crainte de représailles.
Mercredi matin vers 11 h 30, les barbares sont entrés dans Paris, rue Nicolas Appert. Ils ont fait interruption dans les locaux du journal satirique et le plus lâchement qui soit puisque leurs cibles étaient sans défense, ils ont abattu froidement « ceux qui avaient offensé Allah ». Une exécution rapide faite par des hommes expérimentés, encagoulés, munis de gilets pare-balles et d’armes de guerre. Il était impossible d’échapper à une telle attaque. Nous ne reviendrons pas sur ce drame, les télévisions et les médias du monde entier l'ayant largement commenté.

Il y a longtemps que le feu couvait entre Charlie Hebdo et les intégristes. Ils ont fait taire la dérision comme on met des coups sur le bec du canard. Avec sans doute cette joie malsaine d’avoir anéantie des familles et surtout d’avoir fait mal à la France, de l’avoir précipitée dans la rue, triste, déboussolée et hagarde à quelques jours à peine du Nouvel An qu’elle célébrait dans la liesse. Les intégristes ne badinent pas avec la religion. 


En publiant les caricatures de Mahomet, Charlie Hebdo avait provoqué la colère des intégristes. Les journalistes avaient alors fait l'objet de nombreuses menaces. Certains d'entre eux étaient protégés par la police.
Depuis plusieurs mois, le Gouvernement était sur ses gardes. Après les premiers couteaux, à l’œuvre à Dijon et à Joué, les hommes aguerris de Daech sont intervenus. Nous étions avertis. En décembre, les révélations de l’allemand Jürgen Todenhöfer, qui avait côtoyé pendant une dizaine de jours les membres du groupe Etat Islamique en Irak et en Syrie, étaient préoccupantes. En effet, il déclarait que « l’Etat Islamique était bien plus puissant et bien plus dangereux » que nous ne le pensions. Il était également surpris par la détermination des combattants et leur désir de mourir pour la cause. L’objectif de Daech était de déstabiliser l’Occident : « Nous allons conquérir l'Europe un jour. La question n'est pas de savoir si nous allons le faire, mais quand. Les Européens doivent savoir que quand nous viendrons, ce ne sera pas joli ». Vous venons, en effet, de le vivre en direct…
Jean d’Ormesson, dans Le Figaro, partageait la même analyse : « Nous sommes en guerre. Une guerre qui n'ose pas dire son nom, nouvelle, étrange et obscure. Sans déclaration, sans armées en mouvement, sans champ de bataille, sans offensive de masse, sans raids d'aviation sur les grandes métropoles. Une sorte de guerre au rabais, une guerre d'otages et de guets-apens. Daech est une organisation terroriste et criminelle qui se réclame de l'islam. C'est là qu'il ne faut pas se tromper. Il faut lutter chez nous contre les conditions qui expédient au djihad tant de jeunes gens et même des femmes et des enfants. C'est une autre et lourde affaire. Tout ce qu'il est possible de dire ici, c'est que le monde et son histoire ont beaucoup changé et qu'il va falloir nous occuper de bien d'autres questions que celles qui nous occupent encore et qui semblent soudain futiles ». Prémonition, semble-t-il.

Cet attentat, qui vise cette fois-ci la liberté d’expression, n’est ni le premier, ni le dernier. Rappelez-vous l’affaire Merah en 2012 et le World Trade Center, destruction massive orchestrée par Al Qaida. En frappant Charlie Hebdo de plein fouet, Daech utilise le même mode opératoire : tuer par surprise, agiter l’opinion, installer la peur et la division. C’est pourquoi nous ne devons pas céder à l’intimidation, d’une part parce que nous sommes en mesure de nous défendre, comme l’a rappelé le président Hollande, et d’autre part parce qu’il ne faut pas confondre les musulmans modérés, avec lesquels nous vivons, avec un groupe qui jure par la violence et l’extermination.
Toutes les grandes religions universelles, comme d'ailleurs les grandes idéologies, ont voulu régner sur le vaste monde. La liberté de penser a toujours été un obstacle naturel à cette ambition. Lorsqu'elles disparaissent comme en Irak, Libye ou Syrie, elles laissent la place aux devins, aux califes de tous poils et parfois à des fous furieux qui s’inventent une destinée. Nous devrions y réfléchir au lieu de tenter d'imposer notre mondialisation comme le modèle savant qu’il faut adopter à tout prix. Loin d’avoir apporté la démocratie, le printemps arabe est un échec : il a ouvert la boîte de Pandore et « c’est le chaos au Moyen-Orient » selon les termes d’Alain Juppé.

Quel sera l’avenir ? Pour l’instant, la France pleure ses victimes, ses journalistes, ses dessinateurs, ses policiers ; elle s’indigne sur leurs vies brisées et la dure réalité qu’elle prend dans la face comme le pire des boulets. Demain sera jour de deuil national. A ceux partis en ce jour funeste, nous crions notre douleur avec la ferme volonté de ne jamais les oublier. Parmi les plus beaux messages qui circulent actuellement sur les réseaux sociaux, celui-ci : « ils voulaient mettre la France à genoux. Ils l'ont mise debout ».


Nicole Bertin

• Nouveau drame dans le Sud de Paris : Au lendemain de l'attentat qui a coûté la vie à 12 personnes à Charlie Hebdo, une fusillade a éclaté jeudi matin dans une commune du sud de Paris. Deux policiers sont dans un état critique, un suspect a été interpellé.

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