lundi 12 janvier 2015

« Les terroristes du 7 janvier sont nés
en France, ont fréquenté l'école
de la République. Alors pourquoi cet acte effroyable ? » s'interroge Yvon Chevalier, directeur d'école

Yvon Chevalier, directeur de l'école André Malraux à Jonzac (Charente-Maritime), fait part de ses réflexions sur le système scolaire, après la semaine dramatique que nous venons de vivre. 

« Après ce tragique mercredi 7 janvier, la France fut en émoi, choquée, bouleversée. On a parlé, on s'est rassemblé, on a twité, on a dessiné... Je ne sais pas dessiner et je n'ai pas de compte facebook. Alors je vais essayer de dire quelque chose, en toute humilité par le biais de la presse écrite chère aux journalistes.
Après l'émotion, viendra le temps de l'analyse. Pourquoi ? Comment peut-on vivre cela au XXIème siècle ? Je ne suis pas en mesure d'apporter des réponses et encore moins des solutions.
Après la parution du livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous! », j'avais écrit un petit article pour crier « Au secours ! ». J'évoquais alors le système scolaire, ses lacunes, ses conséquences. Les terroristes du 7 janvier sont nés en France, ont fréquenté l'école de la République. Ils n'ont donc pas franchi les frontières, nous les avons nourris dans ce pays des lumières et des valeurs républicaines. Alors pourquoi cet acte effroyable?
Avant d'être les prédateurs que nous connaissons maintenant, n'ont-ils pas été d'abord des proies? N'ont-ils pas eu l'absence d'esprit critique, l'absence de la culture, de la connaissance qui leur auraient permis d'échapper au fanatisme ? Il y a eu, dit-on, des failles dans la traque des cellules nébuleuses terroristes. Mais n'y a-t-il pas eu des failles en amont ? Le système scolaire a-t-il donné toutes les garanties aux jeunes qui sortent sans formation, sans espoir ? Il est si facile de manipuler des désespérés, d'en faire des moutons. Il est si facile d'agir auprès d'esprits qui ignorent la lecture des livres qui émancipent, la lecture des livres d'histoire qui nous apprennent que les Croisades du Moyen-Age, l'Inquisition, les Guerres de religion, la Terreur post révolutionnaire française, le Nazisme, la Shoah, les Khmers rouges, le Goulag etc... ont assassiné des millions de personnes d'une manière absurde et inutile. Ghandi disait : « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre ! ».
Le grand bêtisier de fin d'année se nourrit de l'ignorance des personnes qui mélangent des dates d'histoire par exemple. Faut-il en rire ? Certainement pas ! L'école de Jules Ferry avait lancé ses « hussards noirs » de la République pour déclarer la guerre à l'analphabétisme. Ne faut-il pas continuer ce combat face à l'inculture, à l'ignorance et l'incompréhension de notre monde ? Doit-on laisser creuser ce fossé entre élites et soumis qui s'ignorent ? L'école peut-elle remplir son rôle aujourd'hui en recrutant à la hâte des enseignants en Seine Saint-Denis par nécessité, en diffusant des messages publicitaires à la télévision à cette intention ? On ne peut pas être enseignant par défaut.
On a tant réformé, on a tant changé les programmes qu'on en a oublié les fondamentaux, l'essence même de la mission. On a tant intellectualisé les apprentissages qu'on a perdu le bon sens. On veut par exemple enseigner l'histoire des arts avant même d'asseoir l'histoire de l'humanité.

Les enseignants sont tenus aujourd'hui de rédiger sans cesse des projets dans leurs actions pédagogiques alors que le rôle et la fonction du métier sont évidents. Il faut un projet pour tout même en connaissant les objectifs. 

La première cellule sociétale est la famille. L'école prend ensuite le relais pour la socialisation. Elle devient ce lieu où l'on apprend nos différences pour les accepter et les tolérer. Les connaissances devraient nous permettre d'élargir cette tolérance en découvrant l'histoire des religions et la laïcité. On a supprimé des heures d'enseignement de l'histoire dans le second degré, on a trop banalisé le recrutement et la formation des maîtres pendant des années. Comment peut-on occulter des notions de psychologie et de sociologie dans la formation ? Peut-on enfin rendre la noblesse à la mission d'enseigner dans les faits et non dans les discours ? L'ascenseur social est en panne. Il y a trop de déshérités culturels, trop de laissés pour compte, trop de proies fragiles et faciles.

Quarante années passées au sein de l'école élémentaire m'ont permis d'écrire ces quelques lignes en toute modestie sans certitude du diagnostic. J'ai aussi conscience que vouloir refonder l'école au coeur n'est pas suffisant face à la menace du fanatisme religieux. Mais il est temps de ne plus lâcher nos jeunes avant même qu'ils deviennent citoyens. Il ne s'agit pas de cibler des responsables, mais bien de comprendre. Je fais partie de cette génération du « pouvoir des fleurs » qui berçait nos esprits. Aujourd'hui, c'est le « pouvoir des peurs » qui angoisse nos jeunes. La plus terrifiante d'entre elles est la peur de l'avenir. Les terroristes avaient l'âge de mes enfants. Je ne peux pas les pleurer et je ne le veux pas car ils ont brisé davantage mes idéaux et mes illusions. Mais oui, il y a bien eu des failles ! Je suis Charlie et je suis responsable ».

Yvon Chevalier, directeur d'école

Yvon Chevalier et ses élèves, lors d'une cérémonie organisée en l'honneur de personnes ayant adopté la nationalité française à la sous-préfecture de Jonzac

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