mardi 27 janvier 2015

La construction du pont de pierre à Jonzac : procès, attaques et rebondissements !

Dans la nuit du 15 au 16 janvier 1843, s’est produit un événement qui est à l’origine d’une profonde modification de l’urbanisme jonzacais.
Cette nuit-là, une crue dévastatrice de la Seugne prive la population des trois ponts de bois franchissant les deux bras de la rivière et le canal de fuite du moulin. La ville haute est coupée de la ville basse (le quartier des Carmes) et le problème de la construction d’un nouveau pont est alors posé.


Au lendemain du sinistre, le conseil municipal se réunit. Il faut évaluer les dégâts, régler le problème des crues et celui du franchissement de la Seugne. La ville réclame alors la construction d’un pont plus large, passant de cinq à huit mètres, ce qui implique de reculer les façades de toutes les maisons situées entre la porte de ville et le palais de justice d’environ un mètre cinquante. 
Le conseil municipal souhaite également surélever le pont d’un étage et rectifier le lit de la rivière en arasant l’îlot bâti qui sépare ses deux bras et par le creusement d’un canal recoupant le méandre du marché. Ces travaux ont pour but d’accélérer l’écoulement des eaux dans le goulot d’étranglement de Jonzac et d’éviter ainsi des inondations aussi importantes et destructrices que celles de 1792, 1813 et 1830. 
En attendant l’aboutissement du projet, la ville désire qu’un pont provisoire soit installé (à l’emplacement de l’actuel pont de la Traîne).
Dès la semaine suivante, M. Dûchatel, ministre du commerce et de l’agriculture et ancien président du Conseil Général, décide le versement d’une indemnité aux sinistrés. Apparemment, le maire, M. Blancfontenille, est passé outre la voie administrative normale (le préfet) pour formuler ses doléances.

La ville de Jonzac entend bien faire financer les travaux de l’opération par le Département, auquel elle formule cette demande en vain depuis quarante ans. Pour cela, elle s’appuie sur le fait que ce pont appartient à la route départementale N°2 allant de Barbezieux à Port Maubert.
La prise en charge de la transformation du paysage urbain, estimée à environ mille fois le budget de la commune, est ressentie comme une demande bien luxueuse par le Conseil Général qui a déjà financé quelques années auparavant l’actuelle avenue Joffre.
Les Jonzacais adressent directement à M. Dûchatel, devenu entre temps Ministre de l’intérieur, une pétition qui a pour effet de mobiliser le préfet. Ainsi, M. Blancfontenille évite la poursuite des contentieux avec le Conseil Général. Au bout d’un mois et demi, le projet est lancé.
A Saintes, le dossier du pont est confié à M. Forrestier, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, qui envisage de réaliser un pont suspendu dont le coût se monterait à plus de 15 millions de francs actuels. Nous sommes en novembre et les Jonzacais, pour entrer en ville, sont toujours obligés de faire le détour par le pont de St-Germain.

Le temps d'avant !
A la suite de l’inondation de 1844, la ville renouvelle sa demande d’un pont plus large et plus élevé.
Après six mois d’attente, le Préfet demande au Département de verser une dotation pour la reconstruction des ponts. Il ne présente alors ni projet, ni devis. Trois ans plus tard, lorsque la seconde commission du Conseil Général chargée des routes, découvre enfin le projet, elle pense que Jonzac a agi à son insu.
Pendant ce temps, à La Rochelle, un nouveau projet voit le jour : les frères Cottons proposent un pont en fonte pour un montant inférieur à 13 millions de francs.
Finalement, Paris octroie le marché du pont en fonte à l’entreprise Philippon d’Archiac. L’Etat prend à sa charge les travaux.

Des riverains en colère

Le chantier débute enfin et M. Forrestier s’occupe des expropriations. Afin de boucler le budget, l’idée d’un péage voit le jour… puis disparaît. On pense aussi à réaliser des économies sur le coût des matériaux ou sur les indemnités d’expropriations, mais celles-ci ont déjà été négociées (toute ressemblance avec les terrains de la future rocade de Jonzac est purement fortuite !). Le Préfet pense alors à ajouter une clause visant à éviter de payer un surcoût en cas d’ennui, seulement le conducteur des travaux oublie de l’ajouter.
En mai 1846, face à l’augmentation des coûts de transport due au passage par St-Germain, la ville demande au Département la construction d’un pont provisoire  sur l’actuelle avenue Gambetta. En juin, les riverains proches de la Seugne demandent une indemnité supplémentaire pour faire face aux frais entraînés par l’enfouissement du rez-de-chaussée de leurs maisons (des remblais ont été nécessaires). Ils menacent d’empêcher la poursuite du chantier. La commune refuse la proposition du Préfet de participer aux indemnités. Finalement, on décide de ne pas reculer les cinq maisons les plus proches du Palais de Justice et de verser leurs indemnités aux expropriés.


Un pont en pierre et non en fonte

Nouveau coup de théâtre, en 1847 les Jonzacais, sans doute avertis du projet réel, font une pétition en faveur d’un pont en maçonnerie, moins rigide que la fonte.
Du côté du Conseil Général, les critiques se font alors sévères et on accuse Jonzac de sacrifier aux intérêts du Département, ce qui vaut à la ville d’être sanctionnée par un blâme. 
Avec la Révolution de 1848, on abandonne l’idée d’utiliser de la fonte. Le Pont de Pierre sera composé de trois arches de sept mètres et de deux piles de 1,70 mètre d’épaisseur. Outre l’aspect esthétique, ce projet présente l’avantage de permettre une économie de 200 000 francs. 
En juillet 1849, encore des problèmes : les travaux de remblaiement des rampes d’accès au pont, qui permettront d’atteindre les quais grâce à l’enfouissement des niveaux inférieurs des habitations, sont interrompus. En effet, les héritiers de Jean Dessendier, qui devaient reculer deux des quatre immeubles qu’ils possédaient dans la rue, refusent de s’exécuter. Ils envoient une sommation d’huissier demandant l’arrêt immédiat des travaux et une remise en l’état dans les vingt quatre heures. 


Les Dessendier portent plainte contre le Préfet pour non respect des indemnités et ce dernier, en retour, pour non respect des engagements signés par le père.
Le tablier du pont est terminé, mais les finitions qui nécessitent le reculement des façades Dessendier, sont bloquées par les procédures qui durent cinq ans.
Le Préfet obtient gain de cause en appel en février 1853… mais le jugement n’est communiqué à la famille qu’en février 1854. Celle-ci discute à nouveau le montant de l’expropriation. En 1854, le conseil municipal refuse aux Dessendier, qui passent outre, le droit d’ouvrir des fenêtres sur l’aile du moulin. Une fois réalisées, la ville reconnaîtra qu’elles embellissent le paysage ! 
Le mois de mars 1855 marque la « reddition » des Dessendier qui se contentent de la somme initiale. Plus tard, ils vendent les immeubles 81 et 83 de la rue Sadi Carnot à M. Réaux qui, après les avoir démolis, les reconstruit en retrait.
Après douze ans de rebondissements, le pont de Pierre est enfin terminé. 


Les conflits ne sont pas apaisés pour autant. En effet, la commune réclame le rétablissement du lavoir et de l’abreuvoir qui existaient précédemment aux abords du vieux pont. Après une polémique de quinze ans opposant Républicains et Bonapartistes, le lavoir public est reconstruit rive droite en 1865. 

Ainsi s’achève les riches heures du Pont de Pierre et les travaux pharaoniques qui ont marqué l’urbanisme de la ville.


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