lundi 10 février 2025

Royan : L'Eglise en béton de Notre-Dame, symbole de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale

Symbole du renouveau de Royan, ville meurtrie par les bombardements des Alliés en janvier et avril 1945, l'église a été conçue par l'architecte Guillaume Gillet. Quand vous entrez dans la ville, vous ne  pouvez pas manquer son clocher qui se dresse sur la butte. De cet emplacement, il semble dire à ceux qui le regardent : Voyez, je suis debout par la volonté de ceux qui n'ont pas baissé les bras. Si l'aspect extérieur de l'édifice peut sembler rébarbatif comparé au beau calcaire de Saintonge, l'intérieur s'envole vers l'immensité, porté par la volonté du concepteur d'en faire l'œuvre de sa vie. Une œuvre partagée. Oublié ce béton qui pose des problèmes d'érosion (d'où des restaurations), le message spirituel est délivré dans une dimension cosmique où chaque espace, chaque ouverture ont été minutieusement pensé. Les œuvres, dont le verrière centrale de Claude Idoux, sont remarquables.  

Cosmique !
Verrière en cristal de Claude Doux
L'orgue de Notre-Dame, œuvre de Robert Boisseau, est le premier en étain martelé construit depuis le XVIIème siècle. Il a été classé monument historique en janvier 2006

En 1945, quand Royan s'est réveillée, réalisant qu'on avait expérimenté sur elle un poison de façon massive, le napalm, elle faisait pitié. Fini les années folles, Jacques Henri Lartigue et ses charmantes photographies, les casinos aux lignes remarquables, la gaité de vivre, les plages et la désinvolture. Il n'y avait que désolation, cendres, les creux et les bosses des impacts sur une nature défigurée. S'y ajoutaient les nombreuses victimes innocentes et les blessés. Le traumatisme était violent. Quelques maisons avaient échappé au massacre, mais les Royonnais avaient perdu leur point de repère. Leur église du XIXe siècle, située place Charles de Gaulle, était entièrement détruite. 

Après cette tragique période, vient l'heure du renouveau. Que faire ? Reconstruire à l'identique ou inventer de nouvelles perspectives ? Le "maire des ruines", Charles Regazzoni, lance un premier plan en 1951. Le cabinet Baraton-Bauhain-Hébrard est retenu avec un projet influencé par l’architecture brésilienne. Les choses traînent en longueur, période oblige. Son successeur, Max Brusset, veut s'inscrire dans la modernité. Il remercie l'équipe précédente et confie à Guillaume Gillet, auteur de la renaissance de Sisteron, le soin de présenter un autre avant-projet : il a quinze jours pour exécuter la demande ! La mairie a une priorité : l'église sera verticale, symbolisant une ville debout qui se relève de ses plaies et le clocher doit lancer un signal fort, un amer visible de l’océan comme depuis l’entrée de la ville. Averti du projet, l'Evêque partage cet avis.


L'intéressé relève le défi avec l'aide d'ingénieurs dont Bernard Laffaille. Ce dernier est spécialiste des bâtiments industriels et des éléments en béton précontraints en V. L'ensemble des compétences conjuguées donne au lieu de culte son apparence élancée, audacieuse et futuriste. Une sorte de vaisseau spirituel qu'on croirait issu d'une autre galaxie ! 

Séduit, Guillaume Gillet présente les plans à la municipalité et les appels d'offres sont lancés. La première pierre est posée en juillet 1955. Originalité, l'église est réalisée en béton armé : « construite sur un emplacement minutieusement choisi, elle devait être visible de toutes parts ». Le 10 juillet 1958, elle est bénite par Monseigneur Marella, nonce apostolique (elle sera consacrée en 1978). 


Les paroissiens sont impressionnés : la nef en ellipse, qui mesure 45 mètres de long sur 22 mètres de large, peut contenir 2000 personnes. Elle est flanquée d'un déambulatoire et d'une tribune, éclairée de vitraux en losange, située à trois mètres du sol. La toiture, en « selle de cheval » a une mince épaisseur, ce qui représente une prouesse pour l'époque. À l'intérieur de l'édifice, les voûtes atteignent 36 mètres aux extrémités et 28 mètres au centre. Un tirant permet aux différents éléments de ne pas s'écarter. Il n'est ni actif, ni passif, il s'agit d'une sécurité. 

La conception de cette église est un tiroir à secrets. Notre-Dame a été pour Guillaume Gillet une œuvre grandiose et c'est pourquoi il a choisi d'être inhumé entre ses murs. La relation qu'il entretenait avec Bernard Laffaille est à souligner : « ils venaient d'horizons différents et pourtant, ils se sont parfaitement accordés sur cette réalisation » remarque l'historien Frédéric Chassebœuf. 

Gravement menacée en raison d'un béton de mauvaise qualité

Sans doute parce que les matériaux d'après-guerre étaient d'une qualité médiocre, l'église de Royan, par ailleurs soumise aux embruns et à l'érosion, présentait ces dernières décennies des "blessures" - dont des infiltrations - qui ne présageaient rien de bon. Rongé par le sel humide de la Gironde qui entre dans sa composition, le béton était attaqué et laissait apparaître des fissures inquiétantes pour l'ensemble et la solidité de la structure. « Ici, tout est construit comme un château de cartes » constataient les spécialistes. 

Dans un premier temps, les responsables ont pensé employer une technique belge. Elle consistait à purger le chlorure de sodium avec une sorte de cataplasme, méthode utilisée dans le Nord. Trop onéreuse, elle a finalement été écartée. Un principe à base de résine a été retenu. Les travaux ont été effectués par les Compagnons de Saint-Jacques.

L'église de Royan offre un chantier intéressant quant au vieillissement du béton. « Contrairement à la pierre, le béton est un matériau récent et nous manquons de recul. Ces monuments sont issus de l'après-guerre et leur entretien génère un coût ». Notons au passage que tous les bétons de l'église de Royan ne sont pas d'égale valeur. Les travaux sont encadrés par l'architecte en chef des monuments historiques, avec le soutien de la Ville et l'ADER, association de défense de Notre-Dame. Récemment, une intervention a concerné la verrière axiale du chœur, représentant l’Assomption de la Vierge, réalisée par Claude Idoux en 1958. Cette réalisation, somptueuse de couleurs, est composée de dalles de cristal coloré élaborées par Baccarat. Remarquable, vous ne pouvez que la contempler...

Les fonts baptismaux
Le puits de lumière (comme à Chambord !)


• L'info en plus

• Notre-Dame de Royan : Le Musée d’Art Moderne de New-York la compte parmi les quatre plus intéressantes réalisations de l’époque.

• Henri Martin-Granel est le principal maître-verrier de Notre-Dame avec ses fils

• Citation de Guillaume Gillet (rapport de septembre 1986) : « Nous référant aux exemples d’Anatole de Baudot à Saint-Jean de Montmartre et d’Auguste Perret à l’église du Raincy, nous avons voulu créer une œuvre originale, ce que nous avons fait a mérité d’être cité dès la naissance de notre œuvre par le Musée d’Art Moderne de New-York parmi les quatre plus intéressantes réalisations de l’époque. Il serait souhaitable que la France sache aussi qu’elle existe et l’aide à survivre. Elle est adoptée par les habitants de la ville, et des écrivains tels André Malraux, François Mauriac et Claude Rostand ont approuvé et loué dès l’origine cette expression d’architecture contemporaine et c’est à ces divers titres qu’il semble qu’elle mérite d’être sauvegardée ».

• Notre-Dame constitue la synthèse des deux principales recherches de l’ingénieur Bernard Laffaille : le « V » et la couverture en « selle de cheval ». Cette synthèse avait déjà été réalisée pour des silos à grains en 1953. Elle va acquérir à Royan une nouvelle dimension, grâce à la rencontre de l’ingénieur Bernard Laffaille et de l’architecte Guillaume Gillet.

• En 27 mai 2015, le mobilier de l'église Notre-Dame de Royan a été classé au titre des Monuments Historiques. L'édifice regroupe plusieurs œuvres de différents artistes représentatifs de la diversité artistique des années 50-60 : Gaston Watkin, Jacques Perret, Nadu Marsaudon, Jean-Pierre Pernod, la famille Martin-Granel.

Sainte-Thérèse par Nadu Marsaudon, artiste bien connu de la région royannaise

Notre Dame a succédé à cette église détruite pendant les bombardements (©archives)

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