mardi 29 octobre 2019

Histoire/Jonzac : la construction du pont de pierre entre procès, attaques et rebondissements !

Lorsqu'on emprunte le pont de pierre qui franchit la Seugne à Jonzac, on est loin d'imaginer que sa construction, au XIXe siècle, a connu moult rebondissements. Il faillit d'ailleurs être en fonte...
Retour sur cette époque qui n'avait rien d'un long fleuve tranquille ! Dans la nuit du 15 au 16 janvier 1843, un événement est à l’origine d’une profonde modification de l’urbanisme jonzacais. En effet, une nouvelle crue dévastatrice de la Seugne prive la population des trois ponts de bois franchissant les deux bras de la rivière et le canal de fuite du moulin. La ville haute est coupée de la ville basse (le quartier des Carmes) et la construction d’un nouveau pont est à l'ordre du jour.

 Au lendemain du sinistre, le conseil municipal se réunit. Il faut évaluer les dégâts, régler le problème des crues et celui du franchissement de la Seugne. La ville réclame alors la construction d’un pont plus large, passant de cinq à huit mètres, ce qui implique de reculer d'environ un mètre cinquante les façades de toutes les maisons situées entre la porte de ville et le palais de justice.
Le conseil municipal souhaite également surélever le pont d’un étage et rectifier le lit de la rivière en arasant l’îlot bâti qui sépare ses deux bras et par le creusement d’un canal recoupant le méandre du marché. Ces travaux ont pour but d’accélérer l’écoulement des eaux dans le goulot d’étranglement de Jonzac et d’éviter ainsi des inondations aussi importantes et destructrices que celles de 1792, 1813 et 1830.
En attendant l’aboutissement du projet, la ville désire qu’un pont provisoire soit installé (à l’emplacement de l’actuel pont de la Traîne). Dès la semaine suivante, M. Duchâtel, ministre du Commerce et de l’Agriculture et ancien président du Conseil Général, décide le versement d’une indemnité aux sinistrés. Apparemment, le maire, M. Blanc-Fontenille, est passé outre la voie administrative normale (le préfet) pour formuler ses doléances.

La ville de Jonzac entend faire financer les travaux par le Département, auquel elle formule cette demande en vain depuis quarante ans. Pour cela, elle s’appuie sur le fait que ce pont appartient à la route départementale N°2 reliant Barbezieux à Port Maubert.
La prise en charge de la transformation du paysage urbain, estimée à environ mille fois le budget de la commune, est ressentie comme une demande bien luxueuse par le Conseil Général ! Lui a déjà financé quelques années auparavant l’actuelle avenue Joffre...
Les Jonzacais adressent directement à M. Dûchatel, devenu entre temps Ministre de l’intérieur, une pétition qui a pour effet de mobiliser le préfet. Ainsi, M. Blanc-Fontenille évite la poursuite des contentieux avec le Conseil Général. Au bout d’un mois et demi, le projet est lancé.
Le dossier du pont est confié à M. Forrestier, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui envisage de réaliser un pont suspendu dont le coût est fort onéreux. Nous sommes en novembre et les Jonzacais, pour entrer en ville, sont toujours obligés de faire le détour par le pont de St-Germain.

Entre projet et réalisation, que d'étapes !
En 1844, la ville renouvelle sa demande d’un pont plus large et plus élevé. Plusieurs années s'écoulent. Un nouveau projet pour Jonzac voit le jour : les frères Cotton proposent un pont en fonte pour un montant inférieur à 13 millions de francs. Finalement, Paris octroie le marché du pont en fonte à l’entreprise Philippon d’Archiac. L’Etat prend à sa charge les travaux.

Des riverains en colère

Le chantier commence enfin et M. Forrestier est chargé des expropriations. Afin de boucler le budget, l’idée d’un péage voit le jour… puis disparaît. On pense aussi à réaliser des économies sur le coût des matériaux ou sur les indemnités d’expropriations, mais celles-ci ont déjà été négociées. Le Préfet pense alors ajouter une clause visant à éviter de payer un surcoût en cas de retard. Le conducteur des travaux oublie seulement de l’ajouter...
En mai 1846, face à l’augmentation des coûts de transport due au passage par Saint-Germain de Lusignan, la ville demande au Département la construction d’un pont provisoire sur l’actuelle avenue Gambetta (futur pont de la traîne).

En juin, les riverains proches de la Seugne en centre ville demandent une indemnité supplémentaire pour faire face aux frais entraînés par l’enfouissement du rez-de-chaussée de leurs maisons (des remblais ont été nécessaires). Ils menacent d’empêcher la poursuite du chantier. La commune refuse la proposition du Préfet de participer aux indemnités. Finalement, on décide de ne pas reculer les cinq maisons les plus proches du Palais de Justice et de verser leurs indemnités aux expropriés.

Le pont sera finalement en pierre !
Un pont en pierre et non en fonte

Nouveau coup de théâtre en 1847, les Jonzacais, sans doute avertis du projet réel, font une pétition en faveur d’un pont en maçonnerie, moins rigide que la fonte.
Du côté du Conseil Général, les critiques se font alors sévères et on accuse Jonzac de sacrifier aux intérêts du Département, ce qui vaut à la Ville d’être sanctionnée par un blâme.
Avec la Révolution de 1848, on abandonne l’idée d’utiliser de la fonte. Le Pont de Pierre sera composé de trois arches de sept mètres et de deux piles de 1,70 mètre d’épaisseur. Outre l’aspect esthétique, ce projet présente l’avantage de permettre une économie de 200.000 francs.
En juillet 1849, encore des problèmes : les travaux de remblaiement des rampes d’accès au pont, qui permettront d’atteindre les quais grâce à l’enfouissement des niveaux inférieurs des habitations, sont interrompus. En effet, les héritiers de Jean Dessendier, qui devaient reculer deux des quatre immeubles qu’ils possèdent dans la rue, refusent de s’exécuter. Ils envoient une sommation d’huissier demandant l’arrêt immédiat des travaux et une remise en l’état dans les 24 heures.
Les Dessendier portent plainte contre le Préfet pour non respect des indemnités et ce dernier, en retour, pour non respect des engagements signés par leur père.
Le tablier du pont est terminé mais les finitions, qui nécessitent de reculer les façades Dessendier, sont bloquées par des procédures qui durent cinq ans.
Le Préfet obtient gain de cause en appel en février 1853… Or, le jugement n’est communiqué à la famille qu’en février 1854. Celle-ci discute à nouveau le montant de l’expropriation.
Le mois de mars 1855 marque la « reddition » des Dessendier qui se contentent de la somme initiale. Plus tard, ils vendent les immeubles 81 et 83 de la rue Sadi Carnot à M. Réaux. Après les avoir démolis, il les reconstruit en retrait.
Après douze ans de rebondissements, le pont de Pierre est enfin terminé.


Les conflits ne sont pas apaisés pour autant. En effet, la commune réclame le rétablissement du lavoir et de l’abreuvoir qui existaient précédemment aux abords du vieux pont. Après une polémique de quinze ans opposant Républicains et Bonapartistes, le lavoir public est reconstruit rive droite en 1865.

Ainsi s’achèvent les riches heures du Pont de Pierre et les travaux pharaoniques qui ont marqué l’urbanisme de la ville.


En partant du pont de Pierre, une jolie balade est à faire en bordure de Seugne. Ici, les canards attendent le pain des visiteurs !

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