jeudi 12 octobre 2017

Les arènes de Saintes : Histoire de faire parler les pierres…

Actuellement, de nombreuses conversations gravitent autour de l'avenir des arènes. Mais elles ont d'abord eu un passé glorieux quand la ville gallo-romaine de Mediolanum était à son apogée aux premiers siècles de notre ère. Retour sur leur construction avec la guide conférencière Cécile Trébuchet.

Brochure en vente à l'accueil de l'amphithéâtre de Saintes
Les vestiges de l'amphithéâtre que la mairie veut actuellement valoriser (© Nicole Bertin)
Inauguré sous le règne de Claude, vers 40 après Jésus-Christ, le début de la construction de l’amphithéâtre de Mediolanum (Saintes) a vraisemblablement eu lieu à la même période que celle de l’édification de l’Arc votif de Tibère, appelé communément Arc de triomphe, dans les années 20 après J.C. La précocité de ces constructions de pierre, par rapport à la plupart des autres colonies romaines, s’explique par la singulière alliance instaurée à l’époque césarienne entre les troupes militaires romaines et les Santons, menacés d’être envahis par le peuple des Helvètes. C’est en relisant « la Guerre des Gaules » de l’Imperator César que l’on comprend combien cette architecture, dans un pays sans triomphe militaire, deviendra plus tard et au-delà du passage de la République à l’Empire, la représentation d’une gouvernance politique puissante. Miroir de la Grande Rome, les constructions de ses bâtiments publics et de loisirs, font de la cité de « Mediolanum » un grand exemple de romanisation.

La porte des vivants dite de la Victoire
(© Nicole Bertin)


L’amphithéâtre de Mediolanum est une structure mixte, asseyant les portes orientale et occidentale à même le sol, avec des murs d’appui entièrement construits, appuyant par ailleurs la construction des gradins directement sur le vallon pour les versants nord et sud. On parle de « structure pleine » pour la partie de la cavea s’appuyant sur les versants du vallon et de « structure creuse » pour les parties entièrement construites. C’est donc une conjugaison audacieuse qui donne à l’amphithéâtre cette terminologie de « mixité ». Utiliser la dénivellation naturelle permettait, bien sûr, de grandes économies de construction et de travail pour les bâtisseurs.
La typicité de la construction, que l’on pourrait aussi appeler « organique » tant elle tient compte de la nature, rappelle bien plus la pensée grecque que les autres amphithéâtres datant de la fin du 1er siècle après J.C. (Nîmes, Arles) qui sont d’une structure creuse. Le Colisée lui-même, dans la reconstruction que l’on connaît, date de la fin du 1er siècle.

Sur la colline de Mediolanum, reposent donc directement les vomitoires (ensemble des dégagements par les escaliers) et les gradins. Le fait que gradins et escaliers n’aient pas de renforcement, ni de soutènement souterrain, explique la fragilité de la construction, très sensible aux vibrations lorsque le niveau sonore d’une manifestation fait trembler les pierres. Pourtant, l’amphithéâtre de Mediolanum est encore l’un des mieux conservés de toutes les Gaules. Sa précocité et son archaïsme justifient en partie l’absence d’éléments tel un velum ou des naumachies (lieu de combat nautique).


Dans le doute de l’existence d’une couronne-attique, courant probablement au niveau de l’esplanade, on s’interroge quant au nombre exact de gradins estimé globalement à une trentaine. Cela représente environ 8000 ml linéaire, soit une capacité de 15 à 20.000 spectateurs.
La Porta Sanavivaria, Porte Est de la Victoire, était avant tout spectacle, l’entrée de la Pompa, le défilé solennel des combattants qui arrivaient sans armes tant que celles-ci n'avaient pas été vérifiées. Le salut au dignitaire politique marque le départ d’une incroyable journée pour peuple et dirigeants, tous installés selon un ordre très défini.

Une structure vieille de deux millénaires, fragile et à protéger

La rencontre des religions polythéiste et monothéiste...
 Les patriciens se situent sur les gradins de pierre, en bas du bâtiment et sont protégés par un filet tendu à l’aide du balteus, mur de protection courant tout autour de l’arena. Les autres citoyens prennent place selon leur catégorie sociale sur des gradins de bois qui se succèdent par palier, groupe fermé entre deux précinctions (sorte de palier qui, dans les amphithéâtres et dans les théâtres antiques, régnait au-dessus de chaque étage de gradins et sur lequel s'ouvraient les vomitoires).
La plèbe, positionnée sur la moitié supérieure des gradins, utilise 28 escaliers d’accès à la mi-pente de la cavea, tandis que bas peuple et esclaves restent au plus haut du bâti.
La magie de la construction reste ce formidable jeu d’escaliers, au nombre total de 90, qui permet en très peu de temps d’installer toute une société obsédée par la distinction de ses catégories sociales.

L'entrée de la porte des morts
Une architecte grandiose (au dessus se trouve la route)


L’utilisation de la voûte et du petit appareillage dans la construction de la Porta Libitinensis (déesse des funérailles) montre aussi combien l’invention du mortier est une « révolution » architecturale. La petite salle à l’angle de la porte Est, reconnue comme l’un des carceres où se prépare le gladiateur, symbolise, quant à elle, tous les questionnements que l’on peut avoir face à la réalité des mises à mort gratuites et sanglantes de ces hommes de métier. En effet, il est certain que péplums et toiles de nos illustres peintres ont créé un imaginaire collectif autour de la mort dans l’amphithéâtre, remis en partie en question de nos jours. La relecture de textes, règlements et contrats provenant d’écoles de gladiature, nous permettent de dire que si la mort, au fil des combats, était le sort inéluctable du gladiateur de métier, sa vie pour autant avait grande valeur d’argent et d’investissement. La mort, somme toute, n’était pas aussi gratuite et admise que l’on croit...

Se méfier des clichés...
 Entre les chasses du matin (type de jeux appelés venationes), les mises à mort des condamnées (meridiani) les combats des esclaves, puis les grandes et célèbres munera de l’après-midi, l’histoire de la Gladiature ne peut se résumer par une seule caricature. Elle exige au contraire une grande subtilité de narration dans son évolution, dépassant largement la simple présentation des costumes et des armes des combattants. Ce sont surtout les appropriations politiques, que chaque Empereur en a fait au fil du temps, et depuis l’héritage et la désacralisation du munus (cadeau d’un combat simulacre en offrande aux mânes d’un défunt notable) qui permettent de comprendre combien l’Amphithéâtre symbolise, à lui tout seul, une civilisation fascinante et son mode d’organisation politique.
Monument emblématique de notre histoire à l’époque de l’ancienne Aquitania, puisse-t-il encore et encore, au fil des générations, continuer à faire son spectacle !

L'église Saint-Eutrope en toile de fond. Quand les dieux en rejoignent un seul...
 PHOTOS NICOLE BERTIN

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